popcorn (karen&sasha)

Je pourrais prétendre que j’essaye de ne pas trop parler de Lilou aux gens, mais ça serait mentir. Je parle de ma vie dans son entier pour dire la vérité. Que ce soit ma fille, les conneries que j’ai pu faire durant ma prime jeunesse, ma vie actuelle, je ne cache pas grand chose aux gens, que je les connaisse ou pas ne change pas grand chose à mes yeux. Je suis un véritable livre ouvert. Ce n’est même pas que j’apprécie de parler de moi, il n’y a rien de glorieux à ma vie, on ne va pas se mentir. Mais disons que je ne connais pas grand chose à la vie, alors je parle de ce que je connais. Après je ne prétends pas que j’aborde n’importe qui dans la rue, juste pour parler de moi. J’ai mes limites quand même. Mais disons que quand la discussion glisse vers quelque chose de plus privé ou des sujets que je connais par expérience, je n’hésite pas à les aborder. Là, par exemple, on parlait d’enfant, il était normal à mes yeux que je parle de ma fille. Alors certes, elle ne l’est plus vraiment, mais j’ai été mère, pendant quelques minutes. Et puis je l’ai été durant 9 mois de grossesse, j’imagine que ça compte un peu quand même. Je ne sais jamais comment vont réagir les gens face à mon aveu. En général ça change selon qui j’ai en face de moi. On ne me fait que très rarement des critiques ouvertes, mais parfois je sens des regards de reproches ou des tons qui ne laissent aucune place au doute quant à ce que la personne pense. C’est tellement facile de juger, alors qu’ils ne me connaissent pas. Au tout début, c’était vraiment très difficile pour moi d’en parler et quand je le faisais et que je sentais qu’on me jugeait, je fondais en larmes. J’imagine que l’autre en face se sentait un peu mal, s’il avait un minimum de compassion. Mais j’avais fort heureusement le soutien de mon oncle et de ma tante. Aujourd’hui, ils ne sont plus là, mais j’assume beaucoup plus mon geste.

La réaction de Karen ne m’étonne pas vraiment. Comme je vous l’ai dit, on a vraiment l’impression d’être en face d’une femme bien, gentille, prévenante. Rien que sa façon de parler de son fils donne une idée de la personne qu’elle est vraiment. Je ne prétends pas qu’elle n’a pas de défauts, mais très clairement, on sent qu’on peut se confier à elle sans avoir peur d’être jugé. Et je ne suis pas déçue de constater que j’avais raison. Elle m’attrape la main, me la serre en guise de soutien et se dit désolée d’apprendre ça. "C’est la vie … Parfois il faut savoir faire des choix, en espérant que ce seront les meilleurs pour nos enfants !" Je dis ça maintenant mais je n’ai pas toujours pensé ça. Durant tout le long de ma grossesse, j’ai été partagé entre l’envie de ne jamais rien avoir à faire avec ma fille et l’envie de la garder auprès de moi. Parfois je regrettais mon choix et ne voulais plus aller jusqu’au bout dans cette histoire d’adoption. Et parfois j’étais enthousiaste à l’idée de pouvoir retrouver ma vie d’avant après cette longue parenthèse. Et jusqu’au bout, j’étais partagée, ne sachant pas vraiment si c’était la meilleure chose à faire ou la pire. Il y avait des moments où je la détestais et d’autres moments où elle était mon bien le plus précieux. J’imagine qu’on est toutes un peu comme ça, je l’ignore. Je ne pose jamais vraiment la question aux autres mamans, de peur de découvrir que je suis définitivement la pire mère de l’année. Mais j’étais très jeune et totalement perdue dans la vie. Et ça n’a pas vraiment changé aujourd’hui. Karen revient sur le film en plaisantant et il est vrai que moi non plus je ne sais absolument pas de quoi ça parle. J’ai pas franchement suivi et en vrai je m’en fous un peu. "Je n’en ai pas la moindre idée !" Dis-je sans rougir. Ca va, ce n’est pas la mort. On est assise confortablement dans une pièce chauffé, à manger des popcorns et à bavarder tranquillement sans franchement gêner grand monde. Il y a pire comme situation.

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C’est dans ce genre de moment que tu sais si tu vas apprécier une personne ou pas. Quand tu arrives à un sujet important de ta vie et que la personne y réagit bien ou pas. Elle pourrait s’en foutre royal, après tout ce n’est pas vraiment son problème et en plus c’est du passé, il n’y a aucune raison. Elle pourrait aussi se foutre de ma gueule parce que je suis clairement une mère indigne ou que c’est mal l’abandon d’un enfant, qu’il faut savoir prendre ses responsabilités ou un truc du genre. Ou alors elle peut bien réagir, comme elle le fait actuellement, en étant de tout coeur avec moi. Elle ne le dit pas vraiment mais tout dans son attitude démontre qu’elle comprend ou au moins qu’elle compatit. Ce n’est pas grand chose mais c’est toujours ça de pris. Même si elle réagit bien à cette confession, je suis contente qu’on ne continue pas sur le sujet. Il n’y a pas grand chose à en dire de toute façon. que veut-elle que je lui dise ? Que ma fille est plus heureuse sans moi, s’épanouissant dans un foyer équilibré et visiblement très à l’aise financièrement parlant ? Que j’ai fait de nombreuses conneries dans ma vie et que malheureusement je ne peux même pas avoir comme excuse que c’était quand j’étais jeune mais que depuis, j’ai appris de mes erreurs ? Des conneries, j’en fais toujours. Elles sont différentes, peut-être, mais ça reste des erreurs, qui ont des conséquences sur ma vie et sur celle de mes proches.  Je pourrais continuer à parler de moi mais si c’est pour foutre une mauvaise ambiance ou alors pour qu’elle ait pitié de moi, je préfère passer mon chemin. Si on est amené à se revoir, j’imagine qu’elle finira par découvrir que sa nouvelle rencontre est une épave et qu’elle aurait certainement mieux faire de passer son chemin.

Au lieu de ça, Karen m’avoue n’avoit pas suivi grand chose au film et je confirme que c’est pareil de mon côté. Elle décide que foutu pour foutu, autant se mettre à l’aise pour finir la séance et je la vois se déchausser et s’installer confortablement. Sans vraiment en prendre conscience sur le coup, je tourne mon regard vers le reste de la salle, pour vérifier que notre attitude ne choque personne. Sauf que tout le monde s’en fout. On ne va pas me dire que je ne me sens pas un poil gênée mais pourtant, j’essaye de ne rien en montrer et je suis son exemple. Sasha, 1er petit mouton suiveur dans le monde entier. C’est mon truc, suivre le mouvement. Ne pas prendre la peine de réfléchir et de prendre mes propres décisions, me contentant de suivre les autres et d’avoir comme excuse “ce n’est pas de ma faute, ce sont les autres qui ont décidé”. Sauf que c’est aussi de ma faute, puisque mon tort à moi c’est d’avoir choisi de les suivre en sachant pertinemment que c’était mal. C’est ce qu’on a essayé de me faire comprendre plus jeune et c’est ce qui m’a valu le droit de retourner à Bray. Il faut croire que je n’apprends jamais, même si notre crime actuel n’a pas de grande conséquence. On est loin d’être de grosses délinquantes et au pire, on risque juste de voir quelqu’un débarquer pour nous demander de remettre nos chaussures et de nous asseoir correctement. On est loin d’une peine de prison. Karen m’apprend qu’elle vient quasiment tous les dimanches au cinéma et qu’elle n’aura qu’à le revoir le weekend prochain. Je dois avouer que je ne suis pas très calée sur les séances, ne venant pas souvent au cinéma. "Je ne suis pas une grande habituée du cinéma en général. Je n’y pense pas forcément pour dire vrai." J’adore, le problème n’est définitivement pas là mais c’est vrai que je n’y pense pas souvent et mon budget étant parfois limité, je ne m’amuse pas toujours à dépenser sans compter. Même s’il est vrai que le prix est plutôt attractif aujourd’hui. On ne va pas se mentir, je suis capable de dépenser sans compter pour m’acheter une paire de chaussures mais je vais être plus regardante pour une place de cinéma. C’est pourtant moins cher, me direz-vous, mais on en profite aussi moins longtemps. Après on peut faire des rencontres plutôt intéressantes et ça c’est non négligeable. "Il y a toujours aussi peu de monde le dimanche ?" Demandais-je un peu surprise et curieuse. On ne va pas nier que j’apprécie que ça ne soit pas blinder, ça change un peu des salles remplies où il est bien difficile de trouver une place pour s’installer et entourée de plein d’inconnus.

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Forcer et cinéma dans la même phrase, c’est clair que ça ne va pas ensemble. On ne va pas se mentir, le cinéma est plutôt vu comme un divertissement et non comme une torture ou une contrainte. Après il peut arriver que par moment tu t’y rendes pour faire plaisir à quelqu’un, sans trop savoir ce que tu vas voir ou sans être emballé par ce que tu vas regarder, mais en règle générale, ça reste une occupation des plus plaisante. Mais est-ce que ça suffit pour avoir envie de prendre un abonnement ? Je l’ignore. C’est sûr que ça me “forcerait” à sortir un peu, même quand je n’en ai pas forcément envie, pour regarder un film. Ca me ferait certainement découvrir des films que je n’aurai pas forcément eu l’idée d’aller voir à la base. Mais le problème ça reste l’argent. Alors je ne suis pas sans le sous, je vous rassure, mais je ne touche pas non plus des cents et des milles à la librairie. Je peux me permettre de payer mon appart et mes charges mais après il ne me reste pas des milliers d’euros sur mon compte à la fin du mois. Alors certes, c’est un coup qu’une fois, pour toute l’année mais ça reste un sacré coup. Même un abonnement que tu payes au mois, ça à un coup important. Alors du coup je ne sais pas. J’ai très envie de dire oui, certainement plus pour lui faire plaisir qu’autre chose. Et puis ça pourrait être plaisant, ça me tente quand même un peu, on ne va pas le nier. Mais je sais que ça ne serait pas raisonnable. Mais vu qu’il est hors de question que je lui dise la vérité, je vais faire semblant d’hésiter, de peser le pour et le contre. C’est moche, certes, mais ce n’est pas un réel mensonge, après tout, rien ne nous dit qu’à la fin, je ne prendrai pas cet abonnement. "Je… oui, je vais y réfléchir. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée !" Dis-je en souriant, cachant mon malaise derrière de belles dents blanches. Je sais qu’elle ne me met pas le couteau sous la gorge et encore heureux, mais je n’aime pas décevoir les gens, du coup ça me met une pression supplémentaire.

Elle m’explique ensuite que le dimanche matin est assez calme en général. Qu’il faut évité la première séance, pour éviter les déchets du samedi soir sortant des boîtes au petit matin, mais que la deuxième séance est du genre tranquille. Je prends note. Même si je n’achèterai certainement pas l’abandonnement, cela ne m’empêchera pas de revenir quelques dimanches pour regarder des films. Cela ne me fera pas de mal, ça coûte moins cher et je pourrais peut-être la revoir si elle vient vraiment aussi régulièrement qu’elle le prétend. "D’accord, je prends note alors !" Je lui offre un sourire et j’essaye tant bien que mal de me remettre dans le film, mais il a bien trop avancé pour que je comprenne quelque chose. Karen en profite pour me proposer d’aller faire un tour après, au centre commercial, pour faire quelques boutiques. Cela me parait être une très bonne idée et je m’empresse d’accepter "Avec grand plaisir ! Tu sais déjà ce que tu recherches ?" Je suis curieuse de voir quel genre de vêtements elle porte d’ordinaire. Je suis sûre que c’est une femme très élégante à qui tout va. Il y a des gens comme ça où quoi qu’il porte, ça leur va bien ! Ce n’est définitivement pas mon cas malheureusement. Je pioche dans le paquet à popcorn, contente de la tournure que prend cette séance au cinéma.

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Elle a pris du poids ? Je glisse mon regard vers elle pour essayer de voir un peu ce dont elle parlait mais on ne peut pas réellement dire que j’étais dans les meilleures conditions pour ça. On était assise dans une salle où la seule lumière était celle de l’écran. Alors oui je la voyais, évidemment, mais pas aussi bien qu’à la lumière du jour. Mais je savais une chose, c’était qu’elle était loin d’être le genre de personne qu’on pouvait qualifier de grosse. Après, même si elle l’était ça ne serait pas vraiment dérangeant mais elle en était très loin. Est-ce qu’elle vivait mal cette prise de poids ? Je l’ignore, elle n’en avait pas l’air mais je ne saurais l’assurer. Après tout, on ne se connait pas, je ne saurais dire si elle est du genre à afficher facilement ses sentiments ou pas. "Mon oncle disait souvent à ma tante quand elle prenait du poids que c’était pour qu’il ait plus à aimer chez elle." C’était une des nombreuses choses que j’aimais chez lui. On sentait qu’il aimait vraiment sa femme et que ses prises de poids ne le dérangeaient pas vraiment, limite s’il ne les voyait pas. Mais ma tante souffrait du regard des autres et de la pression de la société, comme beaucoup. Elle essayait de nombreux régimes, sans forcément grand succès. J’imagine qu’elle le faisait plus pour elle-même que pour mon oncle, parce que lui s’en moquait. Aujourd’hui j’arrivais à parler d’eux sans avoir envie de fondre en larmes. Ils me manquaient toujours autant, mais j’avais réussi plus ou moins à faire mon deuil. Je n’acceptais pas ce qui leur était arrivé mais j’acceptais qu’ils ne soient plus là aujourd’hui. Et c’était parfois agréable de repenser à eux et de parler d’eux aussi ouvertement. Ils ont été largement plus mes parents que mes propres parents l’ont été. Pourtant je ne leur en veux pas, à mes géniteurs, je crois qu’au fond, c’est moi qui est construit une barrière autour de moi et eux n’ont pas forcément cherché à passer au dessus. Ils ne m’ont jamais vraiment compris, mais je sais qu’ils m’aiment à leur façon et ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour me protéger. Sans eux, je serais encore à Londres en train d’être mouillé dans une sale affaire ou alors en prison.

Le sujet n’était pas forcément sur sa prise de poids mais sur ce qu’elle comptait acheter. Elle envisage de passer dans différentes boutiques au vu de son petit listing non exhaustif. Moi ça me va, j’adore faire du lèche vitrine, c’est toujours plaisant. "Tu veux refaire ta garde robe en fait !" dis-je en plaisantant. Il n’y avait aucun jugement derrière ma réplique, une simple plaisanterie, rien de plus. Elle était libre d’avoir envie de se faire plaisir si l’envie lui en prenait, le tout c’est juste qu’elle ait les moyens pour ça. Et encore, même si elle n’avait pas les moyens, de quel droit j’avais de la juger ou de l’en empêcher ? Elle était assez grande pour savoir ce qu’elle faisait et pour prendre ses propres décisions. Je n’étais pas sa mère, ni quelqu’un de suffisamment proche pour la conseiller sur son mode de vie et je ne suis pas sûre que je sois de très bons conseils au vu de ma vie. Elle propose aussi d’aller essayer un nouveau salon de beauté qui aurait ouvert dans le coin. Visiblement ils se spécialisent dans le nettoyage de pied via des petits poissons. J’ai déjà vu des photos de ce dont elle me parle, mais je n’en ai jamais vu en vrai et encore moins essayé. "Ah oui j’en ai déjà entendu parlé mais je n’ai jamais testé !" J’imagine que ça peut-être très amusant comme expérience et très bizarre aussi. Mon sourire et mon ton ne laissent pas de place au doute, je suis emballée par l’idée. Après si on finit par ne pas le faire, il n’y aura pas mort d’homme, mais si on a la possibilité et que ça ne coûte pas un bras, je suis partante !

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