We need to talk | PV Sayanel

Tu la comprends, cette traitrise. Tu comprends encore plus le sentiment de haine que cela peut créer, peut déclencher au plus profond de ton être. Parce que c'est d'un ridicule absolu de clamer haut et fort pendant des lustres que l'OBCM sont vos ennemis jurés, ceux à mettre en priorité, rien que pour vous retrouver ainsi à coopérer avec eux. Tu n'étais pas là, à cette mission. Tu n'avais pas signé, les instructions trop vagues. Puis autant se le dire, tu avais été occupée, à ce moment-là. Normalement, tu es toujours volontaire pour sauter à deux pieds dans une mission, en besoin d'action et de prouver ta place. Sauf que cette fois, tu n'étais pas là et c'était mieux ainsi. Tu te souviens de cette colère qui s'était grattée une place à ton ventre lorsque tu avais entendu ce qui était arrivé, à cette mission. Les murmures, les inquiétudes, au QG sur la coopération entre l'OBCM et votre organisation. Les doutes, aussi. Ça avait eu son effet, c'était le cas de le dire. Il t'a fallu un moment pour te ressaisir, ne pas simplement ouvrir la porte du supérieur d'un seul coup et lui gueuler ce qui te venait en tête. Il t'avait également fallu un moment pour ne pas simplement tout plaquer en criant à la traitrise. Tu as dû prendre sur toi, respirer, rester droite dans tes bottes. Ils ont leurs raisons, tu t'es dit. Ils ont toujours une raison et tu sais, au final, après nombreuses réflexions, que ça ne vient en rien changer le fait que l'OBCM est un ennemi important. Mais ce n'est pas tout le monde qui parvient à se ressaisir comme tu le fais. Ce n'est pas tout le monde qui parvient à digérer la pilule, aussi difficile à avaler se fait-elle. Toi, tu n'étais pas présente pour tomber face à face avec des visages connus. Tu n'étais pas là pour subir la traitrise en pleine face. Toi, en quarante-huit heures, tu t'étais fais une raison, tu t'étais provoquée une gifle mentale. Tout comme la Bratva, tu ne pouvais pas poser de question et simplement obéir. C'était préférable ainsi. Après tout, tu n'es pas là pour ça. Pour remettre en doute, en questionnement, les actes de tes supérieurs. Sauf que pour Sayanel, c'était tout autrement.

Sayanel, c'est le type avec qui tu as chassé quelque fois. Cette grande brute que tu apprécies tout de même qui s'est ramassé à la mission. Puis, du jour au lendemain, c'était presque comme une disparition. Comme si la mission l'avait changé du tout au tout, ou presque. Tu ne sais pas ce qui s'est passé, là-bas, outre les paroles qui font écho dans le QG. C'était pourtant l'une des rares personnes qui aura eu une réaction aussi dramatique. Chose pourtant fascinante lorsque l'on considère sa lignée. Parce que Sayanel, c'est un Pritchard. S'il y a bien quelqu'un que l'on ne s'attend pas à tout plaquer d'un seul coup, c'est bel et bien quelqu'un de cette famille-là. Ils sont le fondement même des Dux Tenebris et tu as l'impression que son départ soudain, ça pourrait rapidement se terminer comme la situation de Vlasi et les Bäckähäst. Vlasi, qui avait été porté disparu, volatilisé, d'un seul coup et que tu as dû chercher, tenter de retrouver, alors que la famille entière s'éteignait à petit feu. Tu avais l'impression de subir la même situation et franchement, tu en as marre de voir les gens disparaître. Tu n'allais pas laisser les choses prendre le risque de s'effondrer. Pas une seconde fois. Alors tu te devais d'agir et ce, rapidement. Qu'importe qu'il ne veuille pas te voir, qu'il ne veuille pas discuter. Ta détermination était sans doute bien plus grande que son entêtement. Puis, toi aussi, tu sais te faire têtue. Dommage pour lui, sans doute.

Tu n'avais pas pris de temps à te vêtir, enfilant un jeans, tes bottes, un chandail simple à manches longues et ton manteau. Tu avais simplement lancé à Vlasi que tu partais au bar et tu avais quitté son domicile pour te mettre derrière le volant de ta bagnole. Tu t'étais stationnée un peu plus loin, terminant la distance à parcourir à pieds jusqu'à l'hôtel. Il t'avait fallu un moment pour le retrouver, pour savoir où il était rendu. Après tout, vous vous connaissiez peu. Le seul endroit commun que vous aviez, que tu connaissais du moins, c'était le QG. Et là, il ne se présentait plus. Tu avais attendu un peu, te disant que sans doute avait-il besoin de décompresser, démolir quelques trucs avant de sagement revenir et reprendre son boulot et des cibles de chasse. Puis les quelques jours se sont avérés être quelques semaines. C'est là que tu as commencé à t'inquiéter. Tu as d'abord cru qu'il lui était peut-être arrivé quelque chose, une chasse qui a mal virée, sauf que tu te doutais bien que tout comme le reste, les rumeurs se seraient propagées. Et celle que tu avais entendue, dernièrement, était bien loin d'un cadavre retrouvé. Quelques recherches, quelques questions posées ici et là puis tu avais réussi à retrouver sa trace. Le Kihashi Hotel. Cet hôtel en ruine financière. Cet hôtel dont tu connais le propriétaire, pour avoir gardé sa gamine plusieurs fois. Sayanel y était comme garde de sécurité, à l'occasion. Et ce soir, il était de service. Tu laisses une dernière fois la fumée de ta clope quitter tes lèvres dans ses volutes âcres pour l'écraser au sol de ta semelle et finalement, pousser la porte de l'entrée. Tu connais la réputation de ce lieux. Des morts, encore et toujours. Tu en entends parler sans cesse et tu plains presque son propriétaire. Sauf que la dangerosité de ce lieu ne faisait que rendre les faits plus logique encore d'y retrouver ton partenaire occasionnel de crimes. L'émeraude de tes iris parcoure vaguement la pièce d'accueil pour au final tomber sur ta cible de la soirée. Sur le grand chasseur à la carrure imposante. « Tu l'as choisi, ton lieux, pour te cacher. Quoi que c'est pas non plus étonnant. » Tes lèvres s'étirent, ton attitude bien trop joyeuse sans doute pour tout ce qui s'apprêtait à suivre alors que tu t'approches de la grande bête de Pritchard. Ton regard fouille encore brièvement les lieux, autant pour t'assurer qu'il n'y avait personne de trop près que pour en observer l'état. Va savoir pourquoi, ce lieu te fascine. Sauf qu'au final, tes mirettes se posent directement dans celles de ton interlocuteur et s'y verrouillent. Malgré le sourire à tes lèvres, la lueur de tes prunelles en dis long: Hors de question qu'il ne se défile de cette conversation qu'il se doutait bien qu'elle viendrait un beau jour, peu importe qui la tiendrait exactement. Les gens poseraient des questions, c'était d'une évidence sans nom après tout. « Faut qu'on parle. T'as du temps? » Une question rhétorique, bien sûr. Il allait t'en accorder, du temps. Puis, s'il n'en avait pas, tu trouverais moyen d'en trouver, qu'il en soit certain. Tu ne quitterais pas le lieu sans avoir pu discuter avec lui. Encore plus difficile sans l'avoir convaincu de revenir chez les Dux. Tu en as marre, des gens qui disparaissent.

Le retour du Pérou s’est fait il y a à peine quelques jours, et pourtant j’ai l’impression que trop de choses se sont passées entre temps. Peut-être parce que la colère m’a porté trop loin, encore une fois, et que cette fois-ci j’ai eu besoin de le crier au monde entier au lieu de simplement le garder pour moi. Cette mission, ça a sans doute été la pire de toute ma carrière. Pas parce que je me suis pris une raclée, j’en ai vu des pires et j’ai plutôt bien géré compte tenu de la situation. Pas non plus parce qu’on s’est retrouvés à l’autre bout du monde non plus, et même pas parce qu’on a dû faire équipe avec l’OBCM. Ou du moins, ce fait là serait mieux passé si y avait pas Janet dans le lot. Je ne comprends toujours pas pourquoi ils m’ont envoyé. A leur place, j’aurais tout fait pour que ma propre personne ne soit pas embarqué dans le jet et ne découvre pas ce genre de vérité. Mais à quoi ils pensaient? Je suis pas le genre de connards à être trop inconscient de ce que je suis pour pas savoir à quel point je suis instable et à quel point j’aurais pu tous les faire buter. Mais après tout, qu’est-ce que je pouvais bien attendre de deux - oui parce que les deux sont en faute - organisations qui avaient trouvé sympa d’y foutre, en plus de Janet, un traitre aux Dux Tenebris. Je sais même pas comment Lenny a pu garder son calme, et je veux même pas le savoir, probablement que ça me dégoûterait.

Tant qu’on était au Pérou, encore, ça allait. Y avait cette sensation de danger, la mission qui passait avant tout le reste et qui nous forçait un peu à revoir nos priorités. Remettre à plus tard la conversation que je redoutais le plus, avoir le temps de voir Janet sous un jour que je lui aurais jamais inventé dans mes pires cauchemars. Alors en revenant j’ai fait la première chose qui m’est venu à l’esprit. J’ai claqué la porte des Dux avec grands fracas, gueulant sur Lenny comme j’ai jamais gueulé. Qu’ils aillent se faire foutre avec leurs missions, parce qu’à cause d’eux j’ai pratiquement tout perdu. Même si finalement, je suis pas assez con pour pas savoir que ça a rien à voir avec eux. Ce ne sont pas les Dux qui ont forcé Janet à se ranger de l’autre côté, ni même eux qui l’ont faite telle qu’elle est avec les pouvoirs qu’elle a. Mais c’est plus simple de les prendre comme cible alors que je pourrais bien en buter toutes les têtes pensantes sans que ça me fasse pleurer des deux yeux. Alors que Janet … J’ai été incapable, même après la confrontation au garage de Gadreel, de ne serait-ce qu’informer ma famille de ce qu’elle est vraiment, alors m’en prendre physiquement à elle? J’ai la rage contre les Dux, c’est un fait, mais cette rage, elle est surtout là pour m’empêcher de réaliser que j’ai été pris pour un con et que je me suis fait avoir par ma faiblesse la plus évidente. C’est pour ça que Lenny m’a laissé partir et que j’ai pas été encore emmerdé par mon frère, ma soeur ou aucun membre quelconque de ma famille, d’ailleurs.

Pourtant, les Dux Tenebris, ça a été ma vie depuis que j’ai passé l’âge adulte. La chasse ça l’est depuis mon enfance, mais ça, il était hors de question que j’arrête alors je trouve des jobs ici et là, loin de Bray généralement, vers Dublin, vers Cork, là où on m’appelle mais surtout loin de ceux que je n’ai pas envie de croiser. Pourtant, j’y suis toujours rattaché, ne serait-ce qu’à cause de Lizzy, revenue trop récemment et qui, d’après ce que j’ai compris, est bonne pour repartir dans une poignée de jours. C’est pendant l’un de mes passages en ville que j’ai reçu un appel de Kabu qui avait besoin d’un mec de garde pour s’occuper de l’hôtel ce soir. C’est triste de se dire que de toute manière j’ai nulle part ailleurs d’où passer mes soirées, pas vrai? Pourtant c’est le cas, si je suis pas au Kihashi Hotel, je suis en train de me foutre une mine avec le patron, j’y peux rien, c’est la vie que j’ai décidé de mener. La chose qu’on peut en dire, de l’hôtel, c’est que c’est relativement calme, en plus d’être complètement lugubre. Il se passe pas des bastons comme avec le squatt de punks tous les jours, et c’est presque quelque chose que je regrette. La batte de Kabu dans les mains, je la tapote pour tromper l’ennui, tout en étant plongé dans mes pensées. J’ai du mal à le lâcher, ce malaise. Janet, les Dux, Lisbeth. Je comprends plus grand-chose, à se demander quand ma vie est devenue plus compliquée à suivre que les instructions sur mes boîtes de médocs.

La porte s’ouvre, pour la première fois de la soirée, et je hausse légèrement les sourcils. C’est plutôt rare de voir quelqu’un d’autre à cette heure ci que les résidents temporaires totalement éméchés. Mais ma surprise se transforme en grognement quand je reconnais Katarina. Bah voyons. Pour sûr qu’elle vient pas chercher une chambre, même si elle dénotait pas dans le décor. Un peu comme moi finalement. “ Je me cache pas, je bosse.” Je suis appuyé contre le comptoir, en train de jouer avec une batte de baseball, mais ouais, on dirait pas comme ça, mais je suis payé. Je sais que la présence de Kat n’a absolument rien d’une visite de courtoisie, tout simplement parce qu’on fait pas ce genre de trucs, la courtoisie. Chasseuse, comme moi, chez les Dux, y a peu de choses qui nous réunissent tous les deux, à savoir la chasse et … Et c’est tout. Je croule pas sous les centres d’intérêt faut dire, la moto, la mécanique et le meurtre c’est ce qui résume les trois quarts de mon existence. “ Je suis un peu débordé, là.” L’ironie un peu cassante de ma voix est clairement audible, l’endroit est tellement désert qu’on pourrait entendre les résidents parler trois étages au dessus… Enfin, faut dire que les murs sont fins aussi. “ C’est Lenny qui t’envoie?” Je suis pas agréable, on me le dit souvent. Mais j’ai aucune envie de rendre de compte à cet enfoiré, encore moins alors que je lui ai déjà dit que je voulais plus entendre parler de lui.

C'était hors de question que tu laisses les Pritchard s'éteindre comme la famille de Vlasi. Vraiment, hors de question. Parce que les organisations qui se meurent peu à peu, tu en as marre. Si tu n'as pas la même valeur sentimentale envers les Dux que ta précédente organisation, elle reste tout de même importante. Tu sais qu'au fond, elle veut aider. Du moins, tu crois. Alors une aide qui viendrait partir en fumée, comme ça, tout bonnement ? Une organisation qui cherche à aider les humains, comme les créatures surnaturelles? Ça ne peut pas disparaître. Il y avait encore trop de créatures dangereuses et inconnues à Bray. Et malgré tout, Sayanel faisait parti du fondement de l'organisation. Comme beaucoup d'autres, certes, mais il en faisait tout de même part. Perdre cet homme, c'est perdre un gros morceau chez les DT. Tu sais que c'est un chasseur doué, qui fait du bon travail malgré son caractère discutable par moment. Mais n'est-ce pas le cas de tout les chasseurs? Il suffisait de te voir à l'oeuvre également, après tout. C'est un cas répandu, peut-être même un prérequis au final. Mais qu'importe; l'homme fait du bon travail et c'est ce qui est primordial. Le reste est secondaire, à ce point-ci, non?

La porte se pousse et tu repères rapidement la silhouette appuyée au comptoir. En même temps, difficile de ne pas la voir: Il y a personne dans le hall d'entrée. Aucune âme qui vive. Sauf vous deux. Et même encore. Aviez-vous réellement une âme, à ce point? Vous passiez vos journées à tuer des gens, même si non-humain, afin de les ramener à un laboratoire. Que vous traquez comme si c'était des animaux, au final. En même temps, tu te dis parfois que ce n'est pas plus pire que la chasse d'animaux. Certains décident de prendre la vie d'un ours, d'autres de fées et sirènes. Ainsi va la vie, faut-il croire. Sauf que tu l'entends rapidement, son grognement. Difficile de ne pas l'entendre après tout: Il n'y a que ce bruit qui traine dans les environs de façon soudaine, outre les quelques paroles assourdies des autres étages. Bien entendu qu'il n'est pas content de te voir. Sans doute aurait-il préféré voir n'importe qui d'autre que quelqu'un des Dux. Ou toi, tout simplement. Sûrement parce qu'il te connait assez pour savoir que tu lâches rarement l'affaire. Pourtant, ça ne t'empêche pas de garder ton sourire aux lèvres, même quand il te répond enfin avec ce désintérêt le plus total, typique du gars qui se fait chier à son boulot. Tu hoches un peu la tête lorsqu'il te mentionne être en train de bosser. « Ouais, je sais. » Bien entendu que tu sais. Tu ne serais pas là autrement. Tu n'avais pas besoin d'une chambre et il devait bien se douter que tu n'étais pas là pour ses beaux yeux. Tu avais bien autre chose à faire que de jouer à cache-cache avec un autre chasseur, surtout. Alors te présenter sur son lieu de travail, c'est pas idéal, mais ça allait devoir faire l'affaire. Tu as la patience quand vient le temps des dossiers de chasse. Quand vient le temps de retrouver Vlasi également, parce que c'est quelqu'un de cher à tes yeux. Mais malgré son importance, tu ne jouais pas au chat et à la souris avec un autre chasseur rien que parce qu'il avait été blessé d'une trahison des Dux Tenebris. Qu'il ravale sa frustration et qu'il revienne, comme tout les autres. Qu'importe la raison. Tu pestes doucement un rire tandis qu'il te lance cette phrase avec ironie. « Oh, j'ferai vite, t'en fais pas. » C'est bourré de malice dans le regard, le sourire incapable de disparaître de tes lippes. D'un autre côté, c'était préférable de les voir étirées, ou dans une mimique amusée, celles-ci. Sans ça, c'est un signe clair que la colère n'est pas loin et là, ça se complique. Si l'hôtel a cette réputation de cadavres et de baston occasionnelles, qu'il y a quelque chose de louche dans les lieux et que personne ne poserait de question de retrouver une cliente ou le gars de sécurité avec des ecchymoses ou bien en train de se gueuler dessus, tu ne voulais franchement pas t'amener à ce point avec lui. Probablement parce qu'il pourrait te foutre une raclée. Également parce que tu tiens quand même à lui, malgré tout.

C'est Lenny qui t'envoie? Tu lèves un peu les yeux vers le ciel avant de ramener tes iris vers lui. Les paroles sont lancées sur un timbre de voix loin d'être agréable, certes, mais ses questions sont trop ridicules pour t'amener à mal le prendre. Bien sûr que non, ça ne viens pas de Lenny. Ça aurait pu, ceci dit. Si ça se trouve, demain matin il demandera à te voir pour te demander d'aller chercher Say' et tenter de le ramener aux DT. Mais non, là, c'est purement volontaire. « Si je dis oui, ça te feras sentir désiré et tu vas revenir, peut-être? » C'est lancé sur la moquerie, alors que tu t'appuies, bras croisés, contre son comptoir. Franchement, ça aurait pu être ça. Tu aurais pu être là rien que parce que ton supérieur te l'aura demandé. Pourtant, c'était loin du compte. Vous étiez trop peu de chasseurs aux Dux Tenebris pour laisser la brute s'échapper comme ça, rien que parce qu'il en a envie. L'air joueur s'éteint brièvement dans ton regard, rien que pour ainsi être plus sérieuse dans tes dires. « Non, ça viens de moi, ça. » Autant être honnête, sur ce coup-ci. Certes, c'est peu commun de ta part de simplement partir comme ça, de ton plein gré, pour tenter de ramener quelqu'un. Pire encore, quelqu'un de têtu comme lui et qui a sans doute toutes les raisons du monde d'avoir ainsi claqué la porte. Mais tu as tout autant de raisons d'être là à vouloir le ramener. Tu soupires un peu, tes doigts tapotant distraitement le comptoir en observant le chasseur, réfléchissant une seconde sur quoi lui dire. « Je sais qu'ils ont merdé sur ce coup-là. Et t'as entièrement raison d'être... Blessé ou fâché, va savoir ce que t'as au juste. Tu ne peux pas claquer la porte comme ça. » T'es loin d'être une sentimentale, toi. Alors tu creuses fort sur tes émotions, sur cette part encore humaine en toi, afin de tenter de le ramener. Mais pour y parvenir, tu devais comprendre, déjà. « Tu m'expliques un peu? » C'est loin d'être typique de vos caractères, tout ça. Très loin, même, quand on sait que vous n'êtes que des machines de guerre par moment. Sauf que tout le monde avait besoin, par moment, d'une oreille pour l'écouter, n'est-ce pas? Alors même si tu étais ridicule pour la compréhension de la plupart des sentiments, tu pouvais bien faire un effort et lui tendre l'oreille. Qu'il se défoule, le grand chasseur. Tu n'aurais peut-être pas les mots, mais tu saurais l'écouter. L'important, dans tout ça, c'est qu'il revienne, au bout du compte.

C’est sciemment que j’ai décidé de partir des Dux. Sur le coup de la colère, certes, comme la sensation d’avoir été trahi. Janet en est la première responsable, je ne tente pas non plus de trouver un autre coupable seulement pour la détester moins. Mais ils ont joué un rôle dans ce qu’il se passe, et peut-être que c’était simplement là leur but. Ils voient toujours plus loin, observent toujours plus, et le fait est qu’elle passait beaucoup trop de temps au garage de Gadreel et en notre présence pour ne pas être notifiée. Peut-être que c’est pour ça qu’ils ont décidé de ne rien dire, de nous faire nous conforter, juste pour briser ce qu’on avait, pour mettre fin à une amitié qui les dérangeait. Honnêtement j’en ai pas la moindre idée, mais d’une manière ou d’une autre, c’était un coup de bâtards. Alors ouais, j’ai peut-être agi sur l’impulsion du moment, mais ce que personne n’arrive à accepter, c’est que je le regrette pas. Je continue de chasser, de faire ce que j’ai toujours fait, et je rends plus de compte à personne. ça me rend plus dangereux, plus imprévisible, ça leur plaît pas et je risque de me prendre le revers de la médaille très bientôt si je fais pas gaffe, famille encore asservie ou pas. Mais j’en ai rien à branler, c’est pas mon problème s’ils ont foiré, ils l’ont fait c’est tout, je vais pas non plus m’excuser d’être parti en sachant que si je l’avais pas fait y en a un ou deux qui se serait retrouvé sur un lit d’hôpital. Ou pire que ça, je sais pas trop jusqu’où je peux aller quand je pars, et c’est une mauvaise nouvelle pour eux, parce que si je peux pas encore me faire à l’idée de toucher Janet, y en a avec qui j’aurais jamais ce problème.

Peut-être que c’est la raison pour laquelle j’ai pas encore été trop emmerdé, personne veut se lancer. Gadreel et mes parents ont bien tenté, mais ils me connaissent à force, et c’est pas comme si on était du genre à s’ouvrir dans la famille. En règle générale quand y a quelque chose qui va pas, on se renferme et on attend que ça passe, et y a personne qui veut vraiment lancer le sujet qui dérange de peur de se faire envoyer chier. Aussi parce qu’on supporte pas les discussions à rallonge et qu’on a clairement pas envie d’en lancer une de plein gré. Mais Katarina, elle fait pas partie des Pritchard, y a des codes qu’elle doit pas encore bien saisir quand il s’agit de nous. Parce que si je parle pas à ceux que j’ai côtoyé toute ma vie, je comprends pas comment elle peut s’imaginer que je vais m’ouvrir avec elle. Même si, qu’on soit bien clair, je comprends bien qu’elle veuille pas que je parle, mais que je change d’avis, purement et simplement. Pourtant, elle était pas là. Elle comprend pas. Et même ceux qui étaient présents ont échoué à mesurer ce dans quoi ils m’avaient embarqué. Probablement parce qu’il y a trop de choses que je ne dis pas, que je cache, pour que ce soit compréhensible. La seule qui aurait les connaissances nécessaires pour comprendre ce que je traverse, c’est Lizzy, mais c’est pas sorcier de voir qu’on fait tout pour se croiser le moins possible, et toujours avec témoins.

Je peux pourtant rien y faire, Katarina est devant moi et c’est pas comme si je savais comment la faire partir. Elle a le même caractère de merde que moi et elle abandonne rien. Je suis de mauvaise foi à dire que ça me fait chier, parce que je suis pareil dans bien des aspects, mais c’est quand même assez rageant. Je hausse les épaules. “ Tu peux toujours lui dire d’aller se faire foutre, mais c’est pas exactement la même chose.” Revenir chez les Dux. Pour quoi faire? Ce que je fais déjà? Mais ils s’y attendaient, faut pas me dire le contraire. Décider de prendre dans leur organisation de merde tous les chasseurs solitaires du monde pour qu’ils bossent sous la même enseigne, faut pas me prendre pour un con en me disant qu’ils s’attendaient pas à des retombées à un moment ou à un autre. Ils pensaient peut-être qu’après des années à les suivre ce serait pas venu des Pritchard mais des nouvelles recrues, j’en sais rien. Je fixe la chasseuse en face de moi. “ Et pourquoi pas hein? Pourquoi est-ce que je pourrais pas claquer la porte? J’ai commencé à chasser sans eux et je continuerais à le faire jusqu’à ce qu’un de ces monstres finissent par me buter. C’est ma vie depuis que j’ai appris à marcher, je sais rien faire d’autre, mais c’est pas pour ça que je dois approuver toutes leurs conneries sous prétexte qu’ils se prennent pour des leaders. “ Le fait est que je pense tout ce que je dis. Je suis pas connu pour ma capacité de réflexion mais pour une fois mes émotions m’y ont un peu poussé. “ T’étais pas là, fais pas comme si tu pouvais comprendre.” Je sais que les membres présents ont été tenus au silence, sûrement pour ne pas tracer des cibles dans le dos des Surnaturels d’en face, et c’est peut-être pour ça que ni ta famille ni les autres chasseurs n’ont réussi à faire le rapprochement entre la mission au Pérou et les histoires avec Janet. Pour ça que Gadreel essaie de jouer les entremetteurs depuis un mois. Je finis pourtant par soupirer. Elle partira pas de toute façon, pas avant que je lui ai donné quelque chose de concret. Parce que la trahison, l’alliance, c’était bien beau mais ça justifie pas mon départ, et je le sais. C’est l’explication facile, celle que tout le monde fait semblant de croire, mais au final ça tient pas debout. Parce que j’ai décidé d’y aller, à cette mission, en sachant pertinemment avec qui on se retrouvait. Du moins c’est ce que je croyais. “ J’ai toujours vécu qu’avec ma famille. Je donnerais ma vie pour eux et ils me le rendent bien, ça c’est affirmé et j’ai aucun problème avec cette idée. Je suis pas doué pour les sentiments et on se tape plus sur la gueule que ce qu’on se parle, mais ce que je ferais pour eux, ça me ferait presque vriller. J’ai jamais ressenti ça pour personne d’autre. Excepté une seule personne.” J’en dis trop, beaucoup trop, j’ai l’impression que les mots sortent pas naturellement, à force de jamais m’exprimer et de tout garder jusqu’à ce que ça explose. La dernière fois que je m’y suis risqué, j’ai fait exploser une bagnole. “ Et je l’ai retrouvée dans le camp d’en face. Et j’ai pas encore décidé ce que j’allais faire de ça. Tu comprends pourquoi je préfère fermer ma gueule et me barrer maintenant? ” Parce que j’ai deux choix. La faire disparaître ou la laisser en vie. Mais à partir du moment où le reste des Dux ou même un Pritchard, y compris Gadreel, serait mis au courant, ça signait son arrêt de mort. Et j’irais aux portes de l enfer de mon plein gré avant que quelqu’un décide à ma place.