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 You're a Lie || Trevor

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I trusted you and there was no one else All you did was make me doubt myself Don’t believe you anymore ‘Cause you’re a lie All my faith has been wasted, wasted ‘Cause you’re a lie
I don’t need you to save me anymore

C’est con comme, pour les enfants, il y a des choses qui marquent plus que d’autres. Des être humains parfaitement lambdas qui accèdent à une gloire émérite, alors qu’ils ne sont rien d’autre que des humains d’une banalité affligeante. Des super-héros du quotidien, qui font briller des dizaines d’yeux sans même être au courant de leur statut d’idoles. En général, père et mère deviennent rapidement des dieux. Puis viennent régulièrement cet instituteur qui distribue des bonbons aux enfants sages, cette factrice qui a toujours un sourire, cette caissière qui a donné, une fois, un autocollant. Des superstars aux noms qui s’effacent à mesure que l’âge progresse et que l’enfant grandit.
Kyle était un enfant comme les autres, avec ses héros et ses princesses, comme tous ses petits camarades. Jusqu’à ce qu’on lui arrache foyer, père et mère, et que les coups de canne commencent à pleuvoir. Jusqu’à ce que son univers se réduise considérablement, peuplé uniquement par des camarades de classe qu’il n’avait pas le droit de fréquenter, des adultes aux doigts crochus dont il ignorait tout jusqu’au nom, et que tous ces super-héros de l’enfance soient remplacés par une colère noire contre l’univers. Il n’en avait plus qu’un, de super-héros : un prêtre replet du nom de Père Matthews, la figure porcine et le coeur aussi gros que le reste de sa silhouette. Un homme qui savait que si le petit blond n’allait pas à la catéchèse par amour de Dieu, il y allait au moins pour lui. C’était suffisant. Il n’en attendait pas plus du gamin, et le gamin du prêtre.

Jusqu’à ce que Matthews lui tende un jour un formulaire à faire signer par sa grand-mère. Une autorisation parentale. Trois fois rien, avait dit l’adulte avec un clin d’oeil. Juste l’occasion de faire sortir tous les jeunes de la paroisse, dans un bus, pour une après-midi d’activités culturelles en plein air. Oh, il avait bien caché le but de la promenade. Les douze bambins du cours de catéchisme avaient réussi à obtenir les signatures sans soucis, remettant une confiance absolue en l’homme. Même Deirdre s’était laissée prendre au jeu. Autoriser son héritier, aussi impur soit-il, à participer aux grâces de l’Eglise était une bonne opportunité pour être bien vue par la société. Kyle avait donc pu trotter vers le prêtre, son formulaire serré dans un petit poing écorché, et monter dans le bus avec les autres.
Sauf que c’était sans compter sur les visions très libérales du prêtre. Au lieu de les amener courir sur un terrain ou de les entraîner à travers toutes les églises du secteur, le Père Matthews s’était arrangé pour leur faire découvrir quelque chose de nouveau. De différent. Un spectacle de magie.
Et le monde de Kyle Obsborn s’était agrandi. Sur la scène, les tours s’enchaînaient, sans que personne ne réussisse à comprendre quand ni comment les magiciens avaient fait. Un vase qui se brisait d’un côté, un lapin qui sortait d’un chapeau de l’autre. Alors c’était ça, la vraie magie ? Jusqu’au clou du spectacle. Trevor McQueen, Trevor le Magicien. Tout était immense, dans cet homme, de sa gueule asymétrique à sa carrure. A son talent. Jusqu’à ce qu’il ne soit plus. Jusqu’à ce que son costume d’apparat, parfaitement briqué, d’un noir d’obsidienne, se mette tout à coup à flotter mollement au sol sans plus personne à l’intérieur. Le temps d’un battement de cils. Le temps d’un chavirement de cœur. Le temps d’une inspiration, et le Géant était devenu fantôme. Le vêtement toucha le sol, et un tonnerre de hurlements et d’applaudissements retentit dans tout le chapiteau.

Y’a des SuperMan, y’a des Captain America, y’a des Green Lantern ou des Daredevil. Pour Kyle, son super-héros depuis ce jour, c’était Trevor McQueen. Un homme qui, malgré sa taille, sa carrure ou sa condition, était capable de s’escamoter aussi facilement que s’il avait éternué. Un homme qui incarnait la liberté, qui incarnait la grâce et le talent. Un homme qui était capable de faire tout ce que le garçonnet était incapable de faire : si la vie se mettait en travers de son chemin, si les difficultés s’abattaient sur lui, il pouvait disparaître. Une capacité que le petit blond lui enviait drôlement. Une capacité qui le faisait partir, lorsque les coups de canne s’enchaînaient, martelant son dos et ses bras. Quand Deirdre était dans une mauvaise journée, le petit garçon rêvait qu’il pouvait faire comme son idole et disparaître.
Trevor McQueen était son Dieu. Une foi fervente, à la limite de la folie, qui se traduisait par des dessins, par des histoires, par des exclamations trop enjouées à chaque fois que le prestidigitateur se produisait non loin de Dublin. Conscient de l’engouement de ses petits protégés devant les prouesses du magicien, le Père Matthews les avait emmenés plus d’une fois le voir sur scène, malgré les protestations indignées des parents. Ce n’était pas bien catholique, tout ça.
Et Kyle, petit, jeune, impressionnable, de confier ses prières au Magicien quand toutes les lumières étaient éteintes et que le noir était insoutenable. «Cher Trevor, apprends-moi. Apprends-moi à disparaître.»

Puis les années s’étaient enchaînées, les événements aussi. Aussi naturellement que la Terre tourne sur elle-même, la passion démesurée du petit Triton pour le magicien avait été reléguée dans une zone éloignée de sa mémoire, son esprit trop occupé par l’existence. Il apprit vaguement que Trevor McQueen avait été emprisonné. Mais son âme d’enfant refusait toute explication. L’Homme n’était pas de ceux qui restaient bien longtemps derrière les barreaux. Jusqu’à ce que l’adolescence le rattrape, qu’Andy et Zachary arrivent dans sa vie, et qu’elle change du tout au tout.
Oublié, Trevor McQueen. Juste un souvenir heureux d’une période qui puait la merde. Juste la sensation diffuse d’un émerveillement constant, celle, confortable, d’avoir eu quelqu’un à qui se confier, juste un peu, quand tout allait mal. Un ami imaginaire, dont on garde un souvenir nostalgique et tendre.

La Maison de Jeunes était en pleine émulsion quand il franchit la porte, ce soir là. L’une des bénévoles, Mary, coula un clin d’oeil dans la direction de son collègue et glissa un tract entre ses mains graisseuses. Et le cœur de Kyle de bondir brutalement dans sa poitrine. Les McQueen étaient en tournée pour la première fois depuis quinze ans.

-Oh putain...
-C’est la semaine prochaine et on a le budget pour un bus, j’me suis dit...
-Déconne pas, on y va direct !

La semaine suivante, ils étaient sur les chapeaux de roues, Kyle en tête. Tous les gosses fréquentant le foyer avaient réussi à venir, Kyle mettant de sa propre poche pour permettre aux moins aisés de payer leur billet. La vingtaine de gamins sous le bras, accompagnés de quelques grands frères et grandes soeurs et de deux autres bénévoles, il était aux anges. Tous les souvenirs étaient revenus pêle-mêle dans son esprit. La grâce inattendue de McQueen, quand il étirait ses immenses bras pour faire un pas de côté théâtral. Cette étrange beauté qui se dessinait sur ses traits asymétriques quand il se préparait à l’escamotage. Et la perfection, systématique, de son acte. Dans ce bus, en direction de Dragon Alley, ils avaient tous 10 ans. Surtout Kyle.

Sauf que le rêve ne pouvait pas durer. Plutôt bien assis, ils assistèrent à un spectacle assez basique, sans grande éclatée, mais qui se laissait tout de même regarder. Les gradins n’étaient pas pleins, loin de là, mais l’ambiance était agréable. Malgré que les tours soient passables, les gamins avaient tous des pépites au fond des prunelles. Jusqu’à ce qu’arrive le clou du spectacle. Et que Kyle se tasse dans son siège.
Parce que c’était atroce. Parce que Trevor le Magnifique, comme il l’appelait étant enfant, avait perdu toute sa superbe. Au lieu d’une prestance élégante, il titubait dans un vêtement qui avait vu des jours meilleurs. Il cherchait ses gestes, il cherchait ses mots. Il cherchait même comment faire ses tours, sans la moindre conviction, comme un héron à qui on aurait demandé de faire un discours présidentiel. Les doigts de Kyle s’étaient resserrés si fort sur son accoudoir que Mary lui avait jeté un coup d’oeil interrogatif. Un grincement de dents lui répondit, le regard de Kyle trop préoccupé par le massacre qui se produisait sur scène. Parce qu’il assistait au suicide de son idole. Parce que le clown qui déambulait difficilement sur les planches était une parodie de son héros d’enfance. Parce que ce connard massacrait les rêves de milliers d’enfants, mais surtout les siens.

Le spectacle touchant à sa fin, le Triton se pencha vers Mary. Lui intima de partir sans lui avec les gosses, le ton si bas qu’elle ne demanda même pas pourquoi. Avant de suivre son instinct et de se diriger impulsivement vers les coulisses. Pour quoi faire ? Pour massacrer celui qui venait de détruire la seule chose qui avait fait que son enfance n’était pas qu’un cauchemar. Quelques artistes se mirent sur sa route pour, à défaut de le retenir au moins le questionner, mais il n’en avait cure. Se tournant vers eux, il chantonna un air, modulant sa voix pour apaiser leurs inquiétudes. Il n’était qu’un fan émerveillé qui souhaitait s’entretenir avec le magicien. Rien de plus. Ce fut pourquoi il fut annoncé comme tel, à la porte de la loge de McQueen. Pourquoi il pénétra les lieux, le regard noir, et ferma respectueusement la porte derrière lui. Pourquoi il arriva au niveau de l’immense carrure de celui qui était autrefois son héros, et lui colla une droite où résonnaient tous les échos de cette colère qu’il n’avait que trop contenue.
Juste un coup.

-Mais bordel c’était quoi ça ? T’oses appeler ça un show ?

Juste un fan émerveillé, qui faisait une bonne tête de moins que le géant, et qui hurlait comme un veau. Juste un fan émerveillé dont la main droite pulsait encore sous le choc, et s’armait de nouveau pour gratifier le visage asymétrique d’un autre coup de poing.

-T’as loupé tous les putains de signaux pour faire tes putains de tours alors que tu les connais par coeur, t’as pas honte ? Et tu tiens même pas debout, bordel !

Son poing s’abaissa, mais pas sa garde. Pas sa hargne, celle d’avoir été pris pour un con par celui qui avait été Dieu le Père pendant toutes ces années. Que Trevor n’ait jamais été au courant ne changeait rien pour le Triton. Ne changea rien au grognement sourd qu’était devenu sa voix, alors qu’il poursuivait, les mâchoires serrées.

-Trevor le Magicien est en réalité une satanée loque. Et dire que j’ai été à tous tes spectacles, quand j’étais gosse. Quelle bonne blague.

Trevor le Magicien, celui qui faisait tout disparaître. De lui-même aux souvenirs heureux d’un gamin qui n’avait rien trouvé de mieux que de jeter son dévolu sur lui.



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You're a Lie
I was told when I get older all my fears would shrink But now I'm insecure and I care what people think My name's Blurryface and I care what you think My name's Blurryface and I care what you think
Wish we could turn back time, to the good old days When our momma sang us to sleep but now we're stressed out

▼▲▼

« Qu’est-ce que vous faisiez, avant votre incarcération ? » - « J’étais magicien. » Las. Sans passion. « Du spectacle ? Bien, très bien, cela. Parfait pour sortir de sa coquille, vous avez besoin d’extérioriser tout ce mal que vous retenez à l’intérieur. Vous aimez les enfants ? » - « Non, je déteste les enfants. » Las, dégoûté. « Il vous faut apprendre à les aimer monsieur McQueen, vous serez peut-être père un jour, mais ne le souhaitons pas trop fort. N’avez-vous pas un frère dans le spectacle également ? Vous devriez renouer avec votre vocation, elle vous aidera à vous épanouir. Rendez-vous utile monsieur McQueen, vous retrouverez des bases saines et solides. »

La voix de ta psychiatre te résonnait dans le crâne, de plus en plus froide, de plus en plus moqueuse, de plus en plus indifférente, pendant que tu fixais ton reflet dans le miroir, peinant à soutenir ton propre regard, répugnant ton propre reflet. Des bases saines et solides, dans un milieu qui avait fait de toi une ruine. Tu n’aimais pas les enfants, pas plus que tu n’aimais être magicien. Tu n’aimais pas la scène, le regard des gens, tu n’aimais pas le mensonge, les tours de passe-passe, les paillettes, les jolis costume, les spots, le brouhaha, la chaleur, le jugement. Mais tu te voilais la face, comme chaque jour de ta vie. Tu sortais de ton crâne l’angoisse des planches, devant l’angoisse plus conséquente encore de devoir recommencer ta vie entière. T’avais 36 ans, et c’est pas à 36 ans qu’on se lance dans l’inconnu sans expérience et sans diplôme. Qui t’aurais embauché ? Tu sortais de taule, t’avais aucun sang froid, un cerveau pas très fin et un CV en carton pâte. On pouvait même pas dire que tu présentais bien - t’aurais pu faire videur à la limite, mais sinon c’est le manuel abrutissant et le chômage qui te tendaient les bras. T’avais peur - peur d’affronter le monde du travail et le regard des employeurs, peur des attentes, des responsabilités, peur de te lancer et peur de faire des choix. Alors tu t’es tourné vers le seul domaine que t’avais connu, vers la seule chose que t’as jamais fait - l’arnaque sous les projecteurs.
T’as cherché, t’as contacté du monde, d’anciennes connaissances. Pas mal t’ont raccroché au nez, la conversation s’est échauffée avec d’autres, et y’en a même qui avaient oublié qui t’étais. T’étais pas vraiment le plus aimé des tiens, le public était plus amical que tes collègues - et t’avais trempé dans suffisamment de scandales pour qu’on préfère jurer au reste du monde qu’on ne te connaissait pas. Mais ça s’est fait, finalement : le nouveau directeur de la salle de spectacle de Dragon Alley - qui n’était sans doute plus tout à fait nouveau - s’était fait une joie de te proposer un deal en or massif pour le peu que tu valais à présent. Faire revivre Trevor le Magicien. Jouer sur ta gloire passée comme si rien ne s’était passé entre temps. Comme si tu n’avais pas sombré, comme si tu n’avais pas tué, comme si tu n’avais pas été incarcéré, comme si tu n’étais pas devenu fou, violent, et plus antipathique que tu ne l’as jamais été. Comme si tu étais encore à flot alors que tu avais déjà coulé. Et tu as dit oui. Tu as dit oui parce que c’était ton seul espoir, la seule chose à laquelle tu pouvais te raccrocher, ta seule réussite. Tu n’avais plus rien que ce maigre souvenir, la seule chose pour laquelle on avait pu t’aimer jusque là. Du moins, c’était ainsi que tu le voyais.

L’angoisse. Quelques heures à peine après la signature de ton nouveau contrat, elle était revenue t’écraser les tripes. Des dates, des horaires, des répétitions, de la pression, la pression de l’argent que tu détestes, du public que tu détestes au moins autant. Et la publicité, la publicité qui joue sur ta notoriété d’antan, qui croise ton regard où que tu te rendes, alors que tu ne te sens pas prêt. Tu as peur, tu as cette peur indéfinissable qui te croît dans l’estomac, tu as peur de l’humiliation, des rires, de la haine, tu as peur du scandale, peur de péter les plombs, peur de ne plus être capable de rien. Tu t’es replié, enfermé, tu n’as pas fermé l’oeil jusqu’à retrouver aux tréfonds de ta mauvaise mémoire autant de détails que possible de ton vieux numéro - chaque geste, chaque pas te semblait ridicule, honteux, tu te sentais comme le gamin de 16 ans assis à côté de son frère en train de lui détailler tout ce qu'il devait faire pour ne pas être pris. Un gamin - t’avais quitté la scène à 21 ans, et voilà ce que t’étais maintenant. Une épave, une épave écrasée par le poids de la justice, une épave dont 15 ans de réclusion avaient creusé les traits avec violence comme une vieillesse prématurée. On applaudit un gamin prodige, pas un vieux bagnard. T’avais fait ton temps, ta conscience te le disait. Mais ton patron et ta psychiatre n’étaient clairement pas du même avis. Alors t’as continué, t’as continué à répéter, à te souvenir, à te planter, honteux, pliant sous le poids de ta culpabilité. Tu t’es mis à boire avant chaque tentative pour te déshiniber - tu te sentais mieux mais t’en étais que plus maladroit. L’échéance approchait, t’avais le pied sur l’échafaud, la tête dans la lunette, la lame au dessus du cou. T’étais à genoux sous la guillotine.
Ce soir, le grand soir. L’agitation dans ton dos, les artistes qui se précipitaient ça et là, le temps qui filait vite. Le directeur avait tout misé sur le coup de pub, et pour ça, fallait que tu sois le clou du spectacle. Le point final talentueux après l’affligeante banalité. T’avais un don, pas vrai ? Quoi que tu fasses, même si tu plombais toute la scène, ton numéro serait réussi. Parce que t’avais pas besoin d’être bon pour te changer en cafard. Tu te répétais ce genre de mots à voix basse pour te soulager du poids, pour te rassurer, pour contrer le stress, les minutes qui défilaient et les numéros avec. T’as sorti des bières, tu t’es mis à boire. Y’a un moment, t’es allé tout rendre aux toilettes, tu sais plus trop - tu sais plus si c’était l’alcool ou le trac. Tu t’es rincé la gueule, tu t’es brossé les dents, t’as retenu l’envie de chialer pour faire croire au monde que t’étais un bonhomme, mais t’osais regarder personne. T’es allé mettre ton costume - ton vieux costume, faut être honnête qu’il était plus tellement taillé pour toi. T’avais toujours été grand, et fort, t’avais toujours joué des poings, mais t’étais plus fin et plus harmonieux quand t’étais jeune. T’étais rendu trop costaud pour rentrer dedans et il avait fallu l’ajuster - mais cependant, le patron avait tenu à miser sur le souvenir. Costume et mise en scène à l’exacte pareille. Les vieilles notes de ton frère. Tu espérais - tu espérais retrouver au dernier moment tous tes vieux réflexes, t’en sortir brillamment. De la poudre aux yeux, tu croyais pas aux miracles.

La voix de ce qui servait de monsieur Loyal, l’écho du micro jusque dans tes coulisses. Tu te raidis et te lèves, le malaise te prend encore. Trevor le Magicien. Tu n’as plus le choix, t’as l’impression d’aller à la mort, tu files vers la scène d’un bon pas. La musique, les applaudissements, ton premier pas - ton premier pas depuis longtemps.
Silence.
Tu sais pas si le public s’est tû ou si tu as perdu ton audition. Tous ces regards tournés vers toi. T’entends même plus la musique, t’as plus tes repères, aucun de tes repères pour décider de tes pas. Tu te sens jugé, jugé par tous ces regards. Et si tu te transformais juste, que tu t’évaporais, et que tu revenais pas - si tu te foutais des mots, des gestes, des déguisements, des artifices, que tu te contentais de faire ce qu’ils étaient venus voir et fuir avant de tout ruiner ? Mais tu pouvais pas. Ton coeur s’est accéléré, t’as cru que t’allais rendre une deuxième fois sur scène, tu t’es senti pâlir, t’as senti ton sang se vider, tes oreilles siffler, tes mains trembler. T’avais la voix coincée dans ta gorge, la sueur au front, les genoux tremblant. Par ces motifs, le tribunal déclare M. McQueen Trevor coupable des crimes d’incendie volontaire et d’homicide involontaire ; en répression, le condamne à une peine d’emprisonnement de 30 ans dont 15 ans avec sursis. Etait-ce seulement ces mots exacts ? C’était pourtant ceux-là qui résonnaient dans ton esprit devant tous ces regards. Des regards de juge, des regards de mépris. Coupable, coupable, coupable. C’était pas commun d’entendre des voix, chez toi ça présageait jamais rien de bon. Et t’as cru que t’allais t’évanouir, à la pensée que t’aurais pu tous les tuer, si jamais il te prenait l’envie de…
FAIS QUELQUE CHOSE. Merde, merde, tu peux pas laisser les secondes défiler davantage. Tu réfléchis plus, tu fais. Et tu l’as fait. T’as fait ton numéro sans âme, l’esprit embrumé, t’avais chaud, t’avais des sueurs froides. T’as fait des pas mais d’un pas gauche, des gestes mais sans gloire. T’essayais de dénouer tes épaules, d’avoir l’air d’un magicien plutôt que d’un forçat. Mais 15 ans, 15 ans c’est si long à vivre, contre les 5 que t’avais passé sur scène. T’avais oublié, t’avais perdu ta prestance, et dans le regard des autres t’étais déjà plus un homme. Rien qu’un cafard et qu’un meurtrier, pas le genre de type qu’on adule et qu’on applaudit. Et la honte et le malaise se changeait en colère et en agressivité. Contre toi, contre eux, contre le monde entier - seul contre tous et contre toi-même, t’avais juste hâte de te barrer d’ici au plus vite. La voix dure, la voix qui râcle, les jambes qui peinent et qui titubent. Tu sais pas interpréter leurs regards, tu les vois à peine, tu les entends pas. Il te restait quoi, dis ? Qu’est-ce qu’il te resterait après ça ? Et t’as disparu. Impeccable, parfait, grandiose - dans l’oeil d’un gosse peut-être, mais pour les autres, la fin d’un désastre, et pour toi, un état d’insecte.

T’étais soulagé de quitter la scène et à la fois pris d’une nouvelle angoisse. L’angoisse de ce que te dirait le patron, l’angoisse du public, de recroiser l’un d’eux dans la rue, l’angoisse du scandale, l’angoisse du jugement de tes collègues de travail, l’angoisse de reparaître devant ton frère et ta soeur après ça. T’avais envie de te terrer sous terre - Bonnie, Bonnie où étais-tu quand on avait besoin de toi ? T’avais besoin d’elle, de ses risettes pour calmer les foules, leur faire croire que tout va bien quand tu paniques, que tout était prévu à l’avance. T’avais besoin d’elle à tes côtés, pour rectifier tes bourdes, pour t’encourager, te rappeler que t’étais pas seul dans ton pétrin. Et Mortimer, et ses consignes, ses règles, sa rigueur, ses conseils - Mortimer, le génie derrière le spectacle, dont t’étais que la marionnette, où était-il ? T’avais pas osé revenir le voir, et après ce désastre tu oseras encore moins. Parce qu’il avait réussi lui, là où t’as tout échoué. T’as échoué, t’as échoué. Tu crèves de honte, tu t’enfermes dans ta loge, t’as la face cuisante. Tu t’ouvres une bière, tu râles parce que c’est pas assez fort. T’as enfilé un pantalon de jogging - forcément, après ton numéro, t’étais pas des plus couverts - tu t’es posé lourdement sur ta chaise, tu l’as presque entendue craquer. C’était peut-être quelques maigres minutes avant qu’on t’annonce un fan - un fan à la porte de ta loge. Comment ? Un fan ? Y’avait encore des crétins pour croire à ton gros mensonge ? Peut-être que c’était pas perdu, peut-être que tu pouvais encore fonctionner, peut-être qu’il y avait de l’espoir. Mais tu voulais pas voir de fan, et encore moins lui montrer le Trevor mal fringué, scarifié et bière en main. Tu t'es levé, t’as été ferme, presque menaçant, en refusant, mais on t’a pas écouté. Et il est entré.

Je dis il comme si t’aurais dû le connaître, comme si tu savais qui c’était, mais t’avais pas de nom à mettre sur son visage, et d’ailleurs t’étais certain que c’était une gueule que tu connaissais pas. C’était pas un gosse, ou un ado un peu crédule, mais déjà bien un jeune adulte et à l’évidence il était pas là pour faire des compliments. De toute façon, t’as pas eu le temps de grand chose qu’il a déboulé sur toi et qu’il t’a collé un pain.
Tu comprends pas grand chose, hormis qu’il gueule, mais l’attaque pas mal inattendue t’a sonné et t’as du mal à saisir ce qu’il se passe. Ça revient vite cela dit, mais tu te préoccupes moyen de savoir ce qu’il te reproche, parce que t’as ce réflexe de merde de toujours répondre à la provocation. Mais tu sais où ça pourrait te mener d’envoyer un fan à l’hosto ? Tu sais où ça va te mener ? Tu vas te les prendre dans la gueule, tes 15 ans de sursis, tu vas les passer en ferme, tu vas retourner dans ta vieille geôle et ses relents de mort. Mais t’as mal, tu pètes les plombs, tu lui chopes le col. T’as pas honte ? Qu’il te beugle. Bordel, bordel, il te casse les oreilles avec ses bordels, tu le secoues comme une vieille chiffe et tu hurles plus fort que lui. « Putain mais ta gueule ! Ta gueule ! » T’as pas d’argument, et ses mots font sens. Il a raison. Il a raison putain de merde, c’était pas du spectacle, c’était une honte, un massacre, une humiliation - et t’étais celui qu’était le plus humilié, et t’avais pas envie d’entendre ses plaintes. T’as serré le poing sur le goulot de ta bouteille, tu l’as armé, t’avais clairement envie de le brutaliser et pas avec la plus absolue délicatesse. T’es une loque Trevor, tu vaux rien, t’as plus de réputation à sauver alors autant frapper. Y’a un mot pourtant qui t’accroche, qui te vaut de ciller dans le regard, qui t’empêche de taper sur ce connard. Qui te donnerait plutôt envie de dégueuler, en fait.
Ce type, qui était peut-être plus mature que toi - c’était un des gamins que t’avais du émerveiller, dans une autre vie tant elle remontait à loin. Tu te rends compte Trev ? Voilà ce que ça fait, 15 ans de vide : ton public, il a changé, il a grandi sans toi, et t’y étais pas préparé. Ce type, il faisait peut-être un mètre dix à l’époque, pendant que tu faisais ta vie sur les planches. T’aimes pas les enfants. T’aimes pas les “j’adore c’que tu fais”. Mais là, t’étais touché et t’avais mal - et j’parle pas de la gueule qu’il avait cogné, parce que cette douleur-là t’avais appris à passer outre. La culpabilité, le sentiment d’avoir déçu. Encore, toujours, putain de merde. A quoi ça te servait d’essayer quand t’accumulais rien que des échecs. T’as éclaté ta bouteille sur le mur pour retenir ton coup, peut-être pour lui faire peur aussi je sais pas, et tu l’as envoyé valser vers la porte aussi rudement que t’as pu. « Dégage si t’aimes pas ce que tu vois, qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?! Rentre chez toi, j’ai clairement pas envie de t’entendre ! » T’as serré tes deux poings vides, t’avais juste envie qu’il dégage, et t’avais pas envie qu’il attroupe tes collègues à la porte - t’avais déjà du mal à t’en faire apprécier en débarquant de ta taule comme un vieux miracle pour pas en plus rajouter ça sur le gâteau. Mais lui, tu te dis, il était venu en connaissance de cause, s’il était venu dans ta loge c’était probablement qu’il était venu pour toi. Et ça te rendait malade et tu te faisais honte, et si t’avais pas cet ego à la con, t’aurais rêvé de lui demander pardon.
CODAGE PAR AMATIS

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Douce obsession de l'enfance. Celle où l'on est prêt à croire à tout, même au meilleur, quitte à idéaliser des vies entières juste parce qu'on a une imagination débordante. Trevor McQueen était un Dieu parmi les hommes, de ceux qui foulent la surface de la planète une fois toutes les morts de pape juste parce qu'ils le pouvaient. Juste pour offrir aux humains tous simples, tous cons, un soupçon d'espoir auquel se raccrocher. Avec ses longs bras, avec ses longs cils, il avait illuminé la vie toute entière de Kyle. Ce qui n'avait pas été si difficile au vu des circonstances, et pourtant. Et pourtant...

La douleur sourde dans son poing encore serré pulsait tout le long de son bras, un rappel bien réel que les dieux ne sont que des hommes et que la religion n'a de sens que pour celui qui croit à ces foutaises. Et Kyle, Kyle était désespéré. Tiraillé entre la recherche du sens, entre ce besoin de continuer d'y croire, et la vision de son idole qui, au final, ne valait pas mieux que lui. Il avait amorti comme il le pouvait la brutalité de l'étreinte de Trevor. Avait essuyé les postillons que ce dernier avait jetés sur son visage, le regard noir, vibrant d'une colère qu'il n'avait plus ressentie depuis Dublin. Le brun n'avait pas plus de vocabulaire que lui, clairement. Le brun s'exprimait à violence contre violence, plutôt que par de longs discours. Tant mieux. Ils parlaient la même langue, comme ça.
Lorgnant la bouteille levée dans sa direction, le Triton plongea un regard de défi dans les yeux vitreux de son idole. La rougeur de ses joues ou de son long nez n'étaient pas exclusivement dues à la colère.

-Vas-y frappe, grosse merde. T'as déjà tout bousillé, de toutes façons.

Une sorte d'acceptation, sous les injures. Une forme de résignation, même si la colère continuait de pulser sous ses mèches blondes, son coeur battant la chamade contre ses tempes et empêchant ses pensées de s'activer correctement. Comme avant. Puni par Deirdre pour son admiration sans bornes pour ce Dieu vivant qu'était Trevor. Puni par son Dieu pour avoir compris qu'il n'était, lui aussi, qu'un homme. Résignation. Finalement les souvenirs de son enfance n'étaient pas aussi beaux que ça, en vrai. Finalement même les dieux descendaient du Mont Olympe pour lui casser la gueule. Il soupira, baissa les bras, prêt à prendre sa correction et se dissocier de la douleur, comme avant. Peu de personnes sapaient sa combativité, mais Trevor l'avait réussi. D'un regard. Le même que celui de Deirdre.
Les yeux fermés, il attendit un coup qui ne vint jamais. Rouvrit les paupières au bruit du verre se brisant, tourna même la tête vers les débris et la trace rougeâtre du vin qui coulait contre le mur. Il allait lui demander pourquoi que Trevor le poussait déjà vers la sortie. Un geste désespéré, accompagné d'une répartie grotesque. Mauvaise. Non seulement car elle rappelait à Kyle pourquoi il était ici, mais aussi pourquoi il avait baissé les bras. Si les souvenirs étaient revenus pèle-mêle en attendant l'exécution, ils s'envolaient à présent en tourbillons dévastateurs, ravivant le feu de cette colère par trop démesurée. Le sang n'avait pas coulé. Il n'avait pas pris sa raclée.

-Mais j'en ai rien à battre que t'aies pas envie de m'entendre, mon grand ! Et tu vas même pas avoir le choix !

Entendre. Entendre tout ce qu'il était, tout ce qu'il a été, tout ce qu'il aurait pu devenir aux yeux du petit garçon devenu homme. Retrouvant ses appuis, il jaugea la grande silhouette de Trevor. Vacillante. Il s'élança aussitôt, bondit sur lui épaule la première pour lui couper les jambes et le faire tomber. Quelques objets alentours dégringolèrent sûrement, mais il s'en foutait. Des gens entendraient peut-être la rixe et viendraient les séparer, mais il s'en foutait tout autant. Agrippant rapidement les grandes pattes de McQueen, il s'assit aussitôt sur son ventre, de tout son poids, ses genoux parfaitement ancrés dans le sol. Il pouvait sentir la respiration erratique du Dieu sous ses cuisses, il pouvait sentir la tension dans ses poignets sous ses paumes. Mais le pire, c'était ce regard. Le même que celui de Deirdre.

-T'étais un putain de Dieu, tu l'sais ça ? Un putain de Dieu qui était capable de tout faire, de disparaître, putain, de DISPARAÎTRE. Tu peux pas savoir comme j'aurais VOULU disparaître comme toi, quand j'étais mioche. T'étais pas qu'une idole, connard, t'étais le but suprême, celui qui me permettait de tenir quand on me foutait sur la gueule !

Quel intérêt avait-il à dire tout ça à ce sombre con ? Aucun. L'homme qu'il immobilisait sous sa masse pouvait-il avoir la moindre idée tout ce qu'il avait enduré ? Non. Mais les mots filaient plus vite que la pensée, la colère embrumait jusqu'à toute forme de rationalité. Le regard de Trevor était trop proche, trop similaire, de tous les souvenirs négatifs auxquels il était associé. Son souffle charriait l'odeur d'un débit d'alcool à lui tout seul, mais ce n'était pas ça, le problème. Kyle glissa les poignets du magicien l'un contre l'autre pour les contenir d'une seule main, avant de serrer son poing dégagé. Recula par là-même, ne supportant plus d'être aussi proche de ce visage-là. De ce regard-là.

-J'm'en bats les couilles que tu sois un pochetron, j'm'en bats les couilles que t'aies fait de la taule ou que tu sois devenu une couille-molle. Mais c'que t'as fait sur scène c'est impardonnable.

Impardonnable. Le mot résonna quelques instants à ses oreilles, alors qu'il reprenait sa respiration. Réalisait progressivement ce qu'il venait de faire, comprenait progressivement que Dieu n'avait, au final, jamais été qu'un homme. Il connaissait pas ce gars, et pourtant, gamin, c'était son meilleur ami. C'était son confident, c'était son échappée, c'était son argument pour survivre. C'était, à un certain degré, la raison même pour laquelle il avait tenu toutes ces années sans s'effondrer. On se bat contre les cauchemars comme on se bat contre les souvenirs. Mais des fois, les souvenirs nous achèvent.

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Un Dieu. - La confusion. Quel genre de moquerie infâme avait pu invoquer ce terme dans une conversation pareille. Comment pouvait-on poser ce nom de pureté et de perfection sur un type dans ton genre, ça te dépassait. T’étais un putain de Dieu. T’entends ça Trevor ? Et t’entendrais presque les fous rires d’un public absent à la suite d’une telle déclaration, et la nausée qui remontait dans ta gorge avec elle, tes traits qui se déformaient au seul fait d’être associé à ce mot. Si t’es un dieu, c’est un de la mythologie antique et encore. Tu mens, tu effraies, tu détruis, tu tues, c’est ça que tu fais. Tu sauves pas des vies, tu les arraches, et ça fait trop d’années que tu peux pas te regarder en face. T’étais rien de plus qu’une blatte, un rebus, une infâmie, une obscénité. T’étais pas un Dieu, t’étais le déchet qui osait même pas mettre le nom du Seigneur dans sa bouche de peur de le salir. Rien que d’entendre tes pensées le dire te faisait honte comme si t’avais péché. T’avais pas à demander de miséricorde parce que tu voulais pas être pardonné.

C’était parti d’un “grosse merde”, pourtant. Piètre provocation à laquelle t’aurait répondu par habitude, mais c’était clairement pas de celles qui te touchaient. Au fond, ça sert juste d’excuse pour taper et exciter tes nerfs, mais tu t’en fous qu’il te traite de ça, tu t’en fous parce que tu sais qu’il fait exprès - il veut te mettre hors de toi, que tu le frappes pour avoir un argument de plus contre toi, mais t’as pas envie de lui donner ce qu’il veut. Tu veux qu’il s’en aille, t’es fatigué qu’il se moque de toi. Rien qu’en se tenant là, rien qu’à poser son regard sur ce que t’es, t’as le poids de son jugement qui t’étouffe et l’impatience qui t’oppresse. Dégage, putain, dégage. T’as pas envie de discuter, t’as pas envie de le regarder, t’as pas envie qu’il te regarde.
Tu l’avais vu plonger, mais t’avais pas eu le temps de réagir. Ton corps trop large, tes bras trop grands - tu t’étais écroulé avec vacarme, essayant de te raccrocher à tout ce que tu pouvais, renversant ta chaise, balayant un meuble et foutant tout par terre dans un bruit de bouteilles. Trop occupé à rattraper ta chute pour le repousser, tu t’y étais attelé derechef mais il était déjà sur toi - t’as balancé tes mains en avant, de la force, de la fermeté, mais il avait chopé tes poignets. T’as envie d’être en colère à ce moment-là, mais y’a un vide, un vide dans ta tête, dans ta poitrine, ce vide de l’après-scène, ce manque dans ta vie, ses mots qui te touchent encore. Tu l’as déçu comme t’as dû en décevoir tellement d’autres, t’as plus envie d’essayer. C’était une idée de con de revenir dans le spectacle et tu regrettes. Tu luttes pourtant, tu veux te libérer, tu veux être seul et te cacher, t’as besoin d’échapper à toutes ces paires d’yeux - la pression contre tes poignets, et ce mot, enfin: Dieu.
De l’entendre de sa bouche pour te désigner t’avait fait un choc, si bien que t’avais momentanément cessé de te débattre pour exorbiter tes yeux, avec une incompréhension du plus bel effet. T’étais pas touché ou ému, t’avais mal. T’avais foutrement mal, t’avais carrément la gerbe. Tu l’écoutais à peine, toi tu pensais aux flammes. Aux flammes, ces flammes, celles qui avaient fait flamber ta carrière, celles qui avaient fait tout s’effondrer. T’étais rien d’autre que de la destruction, et t’étais même pas assez fort pour l’encaisser - il se doutait ou pas, de ce que t’avais fait ? Le poids de la culpabilité, des remords. Quinze ans de taule, c’est un enfer, pourtant toi, toi le cafard, t’aurais pu t’en barrer sans demander ton reste - mais tu l’avais pas fait, parce que tu savais que tu méritais d’y être. Un Dieu ? Tu t’étais pas senti comme un Dieu quand les fondations avaient cédé sous tes yeux et que l’immeuble s'est effondré. Tu t’étais pas senti comme un Dieu quand l’envie de hurler des gens enfermés à l’intérieur et en train de crever par ta faute t’as heurté de plein fouet comme une punition. Tu t’étais pas senti comme un Dieu devant les familles que t’avais détruites, leurs visages de larmes et de haine, devant le regard de ta mère, devant l’absence de ta soeur à ton procès. T’étais capable de tout faire - non, tu savais faire que deux choses : détruire et disparaître. Et t'avais tout juste l'humanité qu'il fallait pour surtout pas en être fier. Une idole, un but suprême. Un but, Trevor. Comme si y’avait des gens, sur cette Terre, qui voulaient te ressembler.

L’état de choc a cédé sous le rush d’adrénaline. Il avait cru pouvoir maintenir tes deux poignets d’une main, et c’était clairement une sale idée, parce qu’avec la détermination tu l’aurais déjà jeté par terre. T’as détaché tes bras d’un mouvement sec et tu l’as chopé d’une main ferme, tu tremblais mais c’était de rage et t’avais du mal à penser. Tu réfléchissais pas, mais t’avais ces sons, ces images, ces souvenirs, ces sensations. L’angoisse, l’humiliation, le dégoût de soi, et ce vide beaucoup trop présent dans ta vie, ce vide que seule comblait ta maladie mentale, cette déficience pour laquelle t’enchaînais les thérapies, cette violence pour laquelle on te droguait dans l'espoir de te calmer, tout ce que t’avais pour pas péter les plombs, tout ce mal-être auquel t’avais dû t'habituer parce que c’était ton quotidien. Et le mot Dieu, par dessus tout ça. C'était rien qu'une mauvaise blague. Un cafard, il t’avait aimé pour cet unique talent : être un cafard.
Tu t’en foutais qu’il excuse et balaye ton passé, tu t’en foutais de son opinion soudainement, parce qu'il savait rien de ce dont il parlait. D’ailleurs tu t’en foutais même de ton dernier spectacle - la honte pesait encore mais tu l'avais reléguée au second rang. T’en pouvais plus de ce mot, ce petit mot à la con et pourtant tellement grand. T’avais même pas les mots, ni les gestes pour exprimer l’état dans lequel ça te mettait. T’avais même pas la voix pour hurler, tu cherchais tes insultes mais elles venaient pas. Tu l’as pas laissé se redresser, tu l’as pas laissé fuir - tu le retenais, et tu l’as repoussé sur le côté pour reprendre tes droits, l’écrasant sur les pieds de ta chaise renversée. Et t’as cogné. A ton tour, comme si t’avais pris le relais au moment où l’envie lui était passée, t’as cogné ses dents de lait de gamin trop bavard. Une fois, deux fois, trois fois, avant de retrouver possession de tes mâchoires : « Un Dieu ? UN DIEU ? Mais CRÈVE ! ». L'attaque, ta seule défense. T'aurais pu t'en tirer simplement, t'aurais pu t'en sortir sans te battre, préserver tes arrières. T'aurais pu discuter calmement, qui sait - mais t'étais pas fait pour parler, pas sur un sujet qui te touchait. Tu collais des barrières, ta psychiatre pouvait en témoigner. T'avais rien à lui dire. Et même s'il te prenait l'envie, ou le besoin, de lui causer, ça serait en hurlant, et en frappant s'il fallait - tu pensais pas être capable de le faire autrement. Parce que t'avais mal au coeur Trev, incapable de t'expliquer sereinement, incapable de gérer tout ce que tu ressentais à ce moment. Ce type qui te frappait puis qui t'appelait Dieu. Mais t'étais censé le prendre comment ? T'étais pas fait pour ça, t'étais pas fait pour des compliments que tu méritais pas, à se demander ce que tu foutais dans ce milieu. « Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ce que tu penses ? C'est un tour de magie - un simple tour de magie ! Tu crois que j'veux de ta pitié et de tes plaintes ? Tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ? Ecoute bien ça, fils de putain, parce que j'vais t'apprendre un gros scoop que t'es pas prêt d'oublier : t'avais rien à envier, rien à idolâtrer - et tu peux chialer tout ce que tu veux, ça va pas changer quoi que ce soit. Cela dit, tu vas pouvoir sécher tes larmes et te réjouir, sac à foutre, parce que tu m'reverras pas. » T'avais les poings serrés sur ses vêtements, t'en avais rien à foutre qu'il riposte, tu bloquais pas le moindre de ses mouvements. Tellement sensible qu'il avait suffi de quelques mots mal choisis pour que tu renonces. C'était peine perdue et y'avait rien à sauver. Si c'était pour se taper tous les soirs un connard à la porte de ta loge, autant tout arrêter.
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L'idolâtrie, quand t'es gamin, c'est un peu comme un herpès ou la chaude-pisse. Une infection de laquelle tu ne peux pas te débarrasser, qui a été provoquée par quelqu'un d'autre, qui te ronge, que tu aimerais gratter mais que tu ne peux juste pas. Comme si ce quelqu'un avait réussi à se frayer sous ta peau, grattait chaque parcelle de ton corps, et ne s'en allait pas malgré toutes tes tentatives. L'idolâtrie quand t'es marmot, c'est une forme d'amour. Un trop plein de tout, une compensation de rien. Et, comme la chaude-pisse et l'idolâtrie, ça fait un mal de chien.

Parce que ça faisait mal de voir une aussi grande silhouette que celle de Trevor le Magnifique, sa stature magnifiée par la vision enfantine, se casser la figure comme il était en train de le faire. Tituber sur scène, manquer son timing, abandonner tout espoir, ce n'était au final que des détails. Non, la vraie peine qu'il y avait à avoir dans toute cette mascarade, c'était parce qu'il avait perdu son âme. L'âme même qui avait rendu ses tours grandioses, son visage difforme beau, son expression splendide. Celle-là même qui avait propulsé l'homme au rang de divinité, pour la simple et unique raison qu'il avait l'air de croire en ce qu'il faisait. C'était ça, le fond du problème. Trevor McQueen avait retrouvé son statut d'homme, avec toutes ses faiblesses, toutes ses imperfections. Un tableau grotesque, dessiné avec des mains sans talent, qui avait fracassé toutes les illusions de l'enfant qu'avait été Kyle.
Et ce regard. Ce regard sombre, perçant, malgré le voile de l'alcool. Un regard torve, nerveux, qui vous brûlait les entrailles, qui vous sondait l'âme. La colère avait de cela qu'elle offrait une toute nouvelle version des individus. La vraie version, celle du fond des tripes. C'était ça que Kyle cherchait, dans ces situations-là. C'était ça qu'il attendait de Trevor McQueen, sans même en être parfaitement conscient.
Qu'il arrête de se planquer derrière sa grande carcasse, sa tenue élimée ou les quinze litres de pinard qu'il s'était probablement enfilés avant de monter sur scène.  

L'idolâtrie, l'amour et la chaude-pisse, ça fait douiller sa mère. Il apprit très vite qu'il y avait une quatrième chose qui pouvait avoir ce type d'effet. Bien trop sûr de lui en ce qui concernait sa propre force, poussé par l'adrénaline, il n'avait pas tenu compte de la puissance brute que pouvait décupler le grand brun. Un mouvement avait suffi pour lui faire perdre ses appuis. Déséquilibré, il porta ses mains aux poignets de Trevor pour se retenir à lui, en vain. Son dos heurta violemment l'angle de la chaise renversée, lui arrachant un râle de douleur. Dépliée au-dessus, la large carrure de McQueen envahit soudain son espace visuel.  Mais l'intention qu'il vit dans les yeux du brun, elle, il la comprit parfaitement. Les iris bleus s'écarquillèrent. Ce regard, la haine profonde qu’il y lisait, il ne le connaissait que trop. Un regard qui avait tant de fois fait voler les coups. Un regard qui n’appartenait qu’à celle de laquelle Trevor l’avait toujours protégé, quand il était gamin. Tout du moins une version édulcorée, floue et onirique du mec qui armait son poing au-dessus de Kyle. Une version féérique qui éclatait à présent, dans un tintement audible seulement du Triton, se brisant en une multitude de morceaux en même temps que son amour propre.
Il ne leva même pas les mains pour protéger son visage. A quoi ça servait, après tout ? Deirdre le haïssait des tréfonds de son âme, et il n’y avait personne pour le défendre. Il n’y avait plus de dieux auxquels se raccrocher, d’illusions confuses et enfantines auxquelles croire pour s’enfuir de son propre corps avec elles. Alors il le laissa faire. Parce qu’il n’y avait plus d’échappatoire. L’espoir était mort avec cette paire de billes noires, brûlantes comme les flammes de l’Enfer.

Il put sentir ses postillons sur son visage plus qu'il ne comprit les paroles du magicien, son propre cœur battant à tout rompre contre ses tympans. Le goût du sang qui coulait de ses narines se mélangeait à la salive, et à l’amertume de la bile. Son corps tétanisé, sa conscience reculée dans les tréfonds de son esprit, il compta les coups. Comme il faisait enfant, avant de croiser la route du Magnifique. Un. Deux. Trois. Attendit le quatrième, car il y en avait toujours plus, d’habitude. Deirdre aimait les nombres ronds, elle aimait la dizaine, d’ordinaire. Et l’attente était insoutenable.
Le grondement de la voix du sorcier le rappela à la vie. Un aboiement chaotique, qui n’avait rien de la voix criarde de la Harpie. Qui lui rappelait qu’il n’était ni enfant, ni à Dublin, ni aux mains de la seule personne de laquelle il n’avait jamais compris la violence. Reprenant contrôle de son corps, il passa une main lasse sur le liquide chaud qu’il sentait, au niveau de sa lèvre. Glissa le sang entre son pouce et son index, avant d’inspirer et d’éponger la trace avec sa manche. Cracha un jet de sang et de salive sur le sol jonché de débris, sans le moindre scrupule. Les paroles du dieu déchu lui parvinrent en écho, avec une tonalité étrangement humaine. Non, pas étrangement. Celui qui tenait sa chemise n’était rien d’autre qu’un homme.
Seulement un homme.

Un homme qui crachait son fiel, qui se défendait derrière une logorrhée verbale qui n’avait clairement de sens ou d’intérêt que pour lui-même. Parce que Kyle n’était pas venu pour savoir qu’il ne reverrait pas l’autre homme. Après tout, si tel était le cas, il lui suffisait tout simplement de ne pas acheter de billets. Mais il y avait des mots, dans ce bordel. Des mots à trier, des mots qui faisaient du sens, qui percutaient plus que les coups que l’autre lui avait donnés. Des mots qui n’auraient pas dû le toucher en temps normal, et qui pourtant faisaient écho avec quelque chose qu’il ne connaissait que trop.
Toute cette colère enfouie en Trevor, elle ressemblait beaucoup à celle qui avait animé Kyle pendant des années. Et si le fantôme de Deirdre était bien trop présent, encore, à son esprit, il ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Parce que ce qu’il lisait dans le regard de l’autre, malgré ses hauts cris et ses doigts encore fermement serrés sur son col, c’était la même chose qu’il avait lue dans le sien à chaque fois qu’il s’était croisé dans le miroir en arrivant chez Andy. Ce n’était pas de la colère, non. C’était de la honte.
Il aurait pu frapper. Il aurait pu lui cracher dans les yeux, embrouiller sa vision et lui en coller une nouvelle. Mais Kyle n’en fit rien. Parce que si ce qu’il lisait dans ces prunelles sombres était vrai, si c’était exactement pareil que lui, il n’y avait pas à répondre par la violence. Il l’avait compris malgré lui. Il l’avait appris grâce à Zachary.
Sans la moindre forme de pression, ses mains se posèrent sur les gros poings du Magicien. Son coeur d’enfant en aurait fait un bond, si les circonstances avaient été différentes. Si Trevor n’avait pas fracassé le souvenir, ne l’avait pas déchiré de ses gros doigts, quelques minutes plus tôt. Les iris océan du Triton se posèrent insensiblement dans ceux du prestidigitateur.

-Et alors ?

Son ton était d’une neutralité rare, alors qu’il prenait sur lui de ne rien trahir de la colère qui refluait dans tout son système. Son nez pissait toujours autant le sang, il aurait certainement un bon coquard à l’arrivée, mais il n’en détourna pas le regard pour autant. Parce qu’il tenait un os. Il tenait l’humanité d’un dieu déchu entre ses mains, et il n’allait pas la laisser filer.
Zachary lui avait toujours dit qu’il était trop inconscient. Et ce connard avait parfaitement raison.

-Tu crois que j’ai que ça à foutre que d’avoir pitié pour toi ? Ou que j’ai envie de me morfondre parce que j’ai osé cracher dans les céréales de Saint Trevor ? Non. J’ai déjà pigé que t’étais un sale con.

Il se tendit, prêt à s’en prendre une nouvelle. Mais il n’avait pas fini, et ajouta rapidement, les mâchoires serrées, juste assez vite pour que l’autre l’entende malgré ses réflexes un peu trop rapides.

-T’es juste pas obligé d’être un connard et de baisser les bras aussi vite.


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Fallait que tu frappes. C’était toujours comme ça avec toi, t’avais fini par l’intégrer, par apprendre que c’était dans tes gènes et que t’avais pas d’autre choix. Impulsif, ça tu le sera toujours, une nature ça s’efface pas du jour au lendemain et encore moins après trente-six années de vie. Pourtant tu vois, tous les impulsifs sont pas des connards, tous les impulsifs rentrent pas chez eux le soir avec du sang sur la gueule et autant sur les mains. Tu sais très bien d’où il vient, le problème - ta psychiatre le sait aussi, comme tous ceux qui t’encadrent, ceux que t’as été sommé de voir pour garder le droit de déambuler librement dans Bray, entre deux ou trois thérapies cognitives et comportementales. Tu sais pas exprimer tes émotions. Ou plutôt, tu les exprimes pas normalement, parce que personne n’a pris le temps de t'expliquer comment faire. Tes émotions, comme celles des autres d’ailleurs, parce qu’il a fallu que tu sois empathe - un truc que t’as jamais eu l’intelligence de vraiment comprendre mais qui te pèse. T’as appris à tout retenir à l’intérieur jusqu’à ce que ça sorte tout seul. Parce que t’as honte de ce que t’es, t’as honte de ce que tu ressens, alors tu le caches. Et t’as d’autant plus besoin de le planquer depuis cette enfance ratée où Mortimer t’a heurté mentalement pour le reste de ta vie. Toutes ces émotions, toutes ces peurs, toutes ces hontes, toute cette colère devant ta propre médiocrité, devant tes échecs, ça se change en violence, et celle-là aussi, t’essaies de la contenir. C’est ça - c’est précisément ça, cette essence noire qui déborde, qui t’a rendu pyromane avec les années. Alors t’as appris, au final, que si tu gérais pas autrement cette violence au fond de toi, ça finirait mal. Parce que t’allais péter les plombs et tout faire brûler, parce que t’allais t’arracher le crâne à mains nues et le brûler avec, si ça sortait pas par les poings. Et ta pauvre psychiatre qui a bien du courage, qui veut t’apprendre à gérer tes émotions, mais t’as beau essayer, t’as toujours le même éternel blocage - et plus tu bloques, plus ça monte, et... Il fallait que ça sorte, ou t’allais devenir fou, même si quelque part tu savais que tu l’étais déjà. Alors, envers et contre tout, fallait que tu frappes.

Une fois, deux fois, trois fois. Mais les coups, t’as pas l’impression que c’est lui qui les a pris. Pourtant, clairement, c’est son nez qui pisse le sang, c’est sa gueule qui ressemble plus à rien. C’est lui, et y’a que lui qui peut s’en plaindre. Le problème, c’est qu’il s’est pas défendu - le problème, c’est qu’il est resté là, amorphe, qu’il a attendu que tu frappes, et qu’il réagit pas. Quand tu frappes, t’attends qu’on riposte, qu’on t’agace un peu plus, pour pouvoir frapper encore. Mais la sensation - la sensation de s’acharner sur un innocent, la sensation du massacre immérité, ça te fait mal. Trois coups, c’était déjà trop, les trois t’ont meurtri l’âme, les trois t’ont foutu la nausée. T’as pris l’habitude en taule, des bagarres, au point que t’as oublié à quel point le monde extérieur est différent. Un monde où il existe autre chose que des criminels, des monstres, des sacs de violence, un monde où un coup de poing équivaut pas à un bonjour - le monde des victimes qui vous ont expédié au trou, qui ont rien demandé, qui veulent de mal à personne. T’as du mal à admettre que des gens comme ça existent encore. Pourtant, c’est le premier à t’avoir collé un pain, quelque part ça excuse ton comportement - il t’a plaqué au sol, il est pas blanc dans l’affaire non plus. Mais tu peux pas t’empêcher de vivre mal sa réaction. D’habitude, les gens amorphes, tu les cognes pour les faire réagir. Ils attendent pas que tu cognes pour devenir passifs.
Tu sais plus quoi faire de tes mains, d’ailleurs de ton corps tout entier. Il prend trop de place, il est trop nerveux, t’en as marre et tu t’écouterais, tu te changerais en cafard et t’irais te terrer dans un voyage au centre de la Terre le plus loin possible de sa gueule de con. T’émanes de cette nervosité, tu trembles presque mais c’est l’anticipation, ou quelque chose dans ce genre-là. L’incompréhension, la colère, l’envie de le secouer pour qu’il fasse un truc, pour qu’il s’en aille ou qu’il crève ou peu importe. Pourquoi il est si calme putain ? Pourquoi il te cogne pas ? Pourquoi il s’énerve pas ? Pourquoi il pleurniche pas ? Pourquoi il te vomit pas par les yeux ? C’est presque comme s’il t’ignorait, pour cracher le sang que tu lui as fait couler dans la gorge. T’aurais donné tellement pour qu’il réagisse, pour qu’il te laisse pas là, à contempler ta propre violence. Au final, c’est tout ce que tu vois, quand tu le regardes : ta propre connerie, et tu veux pas la regarder en face. T’as mal juste à le regarder, mais tu pourrais pas envisager de demander pardon. C’est sa faute, pas vrai ? Sa faute pour avoir voulu t’idéaliser ! Parce que dans ton monde dérangé, les petits fanboys plein de naïveté... On les cogne ? T’as du mal à réaliser, le raisonnement en lui-même te fait péter un boulon. Tu pourrais peut-être chialer, ou mordre, ou insulter sa mère, pour le faire bouger, n’importe quoi pourvu qu’il s’énerve pour de vrai, pour que tu te sentes moins coupable. Mais t’es coupable dans l’affaire, et ça te tord le ventre.

Et alors ? Elle est où, la colère. T’essaies de te convaincre que c’est une colère froide, que t’es juste trop con pour la voir - en soi, tu la ressens, mais t’es pas capable de savoir si c’est la tienne ou celle de l’autre, et de toute façon tu ressens trop de trucs pour pouvoir coller un nom dessus. Puis il reprend, et la provocation qu’il bourre dans sa voix, quelque part ça te rassure, ça te conforte, même si ça t’agace aussi. Mais t’aimes mieux ça que l’impression d’un mec mort à l’intérieur. Tu resserres tes poings sur son col, tu veux hausser la voix - tu veux lui dire : Mais casse-toi si t’as mieux à foutre ! Et t’aurais aimé continuer dans cette voie, parce que tu comprends pas pourquoi il est là, pourquoi il espère, pourquoi il se laisse frapper, pourquoi il te provoque, pourquoi il fait tout ça s’il s’attend à rien, s’il en a rien à faire. C’est pour te tourner en ridicule, que tu te dis - c’est le ciel qui te l’envoie pour te confronter une fois de plus à tes échecs. Mais t’as renoncé, tu viens de lui donner ce qu’il voulait. Tu arrêtes, voilà, c’est dit. Tu abandonnes, t’en as plus rien à faire, t’as plus envie. Tu veux plus voir personne. De toute façon t’es un sale con, tu le sais, tu fais tout pour - faut pas t’attendre à de la sympathie après. T’es bourré de contradictions, mais tu veux pas les voir.
Sauf que le gars, il s’arrête pas là, t’as même pas eu le temps de respirer ou d'amorcer ta phrase qu’il avait repris. T’es pas obligé. T’es pas obligé d’être comme ça. Comme quoi ? Un connard, un lâche, un faible qui baisse les bras. T’es pas obligé d’être toi, en fait. Et tu le regardes avec l’air d’y rien comprendre, avec l’air du mec qui vient de se prendre une insulte et qui sait pas quoi en faire. Tu souffles du nez comme un rire nerveux mal maîtrisé, en lui échappant un : « Mais c’est possible d’être aussi con ? ». Tu le dévisages, ta voix se fait la malle pendant un moment, et c’est la confusion qui prend le pas sur tes traits, sur tout le reste, sur la violence, sur la colère, sur l’ensemble. Tu reprends un peu d’assurance et de volume, enfin tu fais de ton mieux - « Tu réalises à quel point t’as pas de sens ? Je te comprends pas, je sais pas ce que tu veux ni ce que t’espères. Je serai jamais la jolie version que tu t’es inventé quand t’étais gosse. Je sais vraiment pas quel genre de connerie flotte dans ton crâne mais fais en sorte que ça s’arrête. » Tu peux pas le frapper, tu peux pas continuer de frapper quelqu’un qui se défend pas - à choisir tu préfères encore casser des meubles, des portes, des murs, ou n’importe quoi. Putain tu détestes ça. Tu le lâches, après l’avoir repoussé durement encore une fois, tu t’es relevé en titubant un brin, tu te passes une main sur le visage, essayant de rendre ton esprit plus clair. On va pas se mentir, l’alcool a légèrement compliqué ça. « Pourquoi t’es là ? Pourquoi tu dégages pas juste ? T’as gueulé ce que t’avais sur la conscience, t’as fini, alors lâche prise maintenant, bordel de merde. Et arrête de salir la religion avec mon nom, j’aime vraiment pas ça. » Ça fait putain de mal, t’aurais aimé ajouter. Tu le vis comme un blasphème, et même si t’es pas pratiquant, c’est quand même un truc que tu respectes et qui te tient un peu à coeur. T’espères qu’il aura assez de cervelle pour comprendre tout seul que cette limite-là, il faut pas qu’il la dépasse. Pourtant tu t'étonnes que ça te touche. Peut-être parce qu'avant la case prison, t'étais le premier à te foutre de la gueule de ce genre de choses - comme quoi finalement ton séjour t'a marqué de plus d'une façon.
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