We are the warriors that built this town + Skyel

Tu avais envoyé ton texto plus tôt dans la journée. Ça t'avais pris quelques jours, ne serait-ce que pour que tu réfléchisses, savoir si c'était toujours une bonne idée. Après tout, tu n'avais rien à voir avec celui que tu étais à l'époque, celle où tout avait commencé. Mais c'était pas une mauvaise chose. T'étais plus comme elle, tu la comprenais mieux, et quelque part, tu l'avais toujours appréciée. Si à l'époque, tu l'avais fait surtout pour énerver ton père, donner au camp adversaire, celui qu'il haïssait le plus, des armes qu'ils n'auraient jamais dû avoir entre les mains, c'était différent maintenant. Cette mission, elle vous avait rapprochée, c'était indéniable. Trois ans plus tard et tu tenais encore à honorer ta dette, même après avoir quitté l'OBCM, même après être entré dans le camp totalement adverse sans que personne ne se méfie de toi. T'as tes raisons, Castiel, pour toi elles sont toujours bonnes, mais tu te demandes quand ça va finir par te retomber dessus. Pas tout de suite, tu espères. Quelque part, rien que le fait de continuer cette relation que n'importe qui trouverait des plus étonnantes, ça te prouve que quelque part dans cette noirceur, dans ce trou qui te tient lieu d'âme, t'as cette lueur qui est restée, ce poison qui te suit jour après jour, sans même que tu puisses la combattre. Tu tiens tes promesses, toujours et encore. Tu lui dois la vie, et quelque part elle te doit aussi la sienne, mais si tu l'as détestée de toute ton âme, elle t'a aidée plus que n'importe quel membre de ta propre espèce. Alors il était temps d'enfin lui rendre la pareille. Si elle n'avait pas eu le temps de progresser avec le peu de séances que vous aviez fait avant qu'elle ne parte, t'étais bien décidé à changer la donne. Parce que tu sais qu'un jour, t'en aurais peut-être besoin, et qu'elle était la meilleure pour ce job. Mais pas sans ton aide.

Alors t'as pris ta caisse, t'as même pas pris la peine de laisser un mot à Anthéa, de toute façon il est fort probable que l'inverse l'aurait alertée, et tu t'es barré. T'as pas oublié d'appeler le bureau en précisant que tu viendrais pas de la journée. Tu l'as pas fait pour le Drunk Mermaid, tu sais d'expérience que tes employés sont beaucoup plus effectifs s'ils ont la peur que tu les surprennes à l'improviste. Et t'as laissé Bray derrière toi. La conduite, c'est ton dada. La musique à fond, t'empêchant de penser, la vitesse qui te fait tourner la tête. Tu te gares sur le bas côté en faisant bien attention à ce qu'un chauffard un peu étourdi ne puisse pas détruire ce que tu considères comme ta merveille, et tu te barres. Là où t'es, y a pas vraiment de route. T'es pas parano, tu sais juste que si on savait ce que tu t'apprêtais à faire, tu serais jugé jusqu'à trouver ta tête plantée sur un pic, alors tu prends les devants. T'es en avance, alors tu mets tes écouteurs, et tu commences à courir. Ça te détend toujours. Le chemin est loin d'être praticable mais de tes années de chasse, tu retiens ta flexibilité. A une époque, t'aurais pas pu vraiment croire en retirer une bonne expérience, mais tu sais d'où elle te vient, cette froideur presque clinique. T'as pas commencé à déraper y a trois ans, Castiel, Gidéon y a veillé bien avant.

Tu finis par trouver la clairière que tu cherchais, au bout d'une demi-heure à courir comme si tu errais aléatoirement. Mais tu fais jamais rien au hasard, on t'a pas élevé comme ça. Ici, ce sera parfait. Trop peu de chances de tomber sur cet endroit au hasard, ni d'être dérangé au milieu du processus. La forêt, ce n'était pas vraiment le terrain des tritons … Et les autres espèces ? Tu les gères plutôt bien. T'aurais pu privatiser une salle dans le complexe, c'est là où vous aviez vos premiers entraînements après tout. Mais depuis le tsunami, l'endroit était plus ou moins tout le temps bondé, et les risques d'attirer les regards dix fois plus grands. Alors tu sors ton téléphone et envoie à la renarde ta localisation exacte. Si ça lui demandera beaucoup de persévérance et une tolérance beaucoup plus élevée que la normale, malgré ce qu'elle a dû vivre, tu te prépares aussi. Parce que si elle réussit, ça risque de pas être une partie de plaisir pour ton esprit.

Tu t’y attendais pas à ce texto. Trois ans depuis votre dernière séance, trois ans depuis cette fois où tu t’étais écroulé dans le gym une énième fois, la douleur terrassant ton âme, ton être, ton esprit. Pourtant, ce n’était pas comme si tu connaissais pas. Pourtant, ce n’était pas comme si t’étais pas habitué à ce qu’il n’y ai plus rien d’autre que la noirceur de ton âme, que la douleur prenne le dessus sur tout, sur ton âme, sur toi, sur le présent, le passé, le futur. Jusqu’à ce qu’il n’y ai plus de temps ni d’espace, jusqu’à ce que tu ne sois même plus capable de contrôler ton propre corps, jusqu’à ce que tu ne sache même plus qui tu étais. T’avais arrêté les entraînements quand t’avais sû que t’étais enceinte. T’avais beau être complètement froide, complètement sauvage, ce côté maternel de toi, tu l’avais aussi. T’aurais défiguré le premier qui lui aurait fait du mal. Au final, t’avais même pas été capable de lui donner naissance correctement. Ton âme s'était déchiré un peu plus, jusqu’à un point de non retour glacial. Maintenant… maintenant, tu n’étais même plus celle que tu avais un jour été, toujours un peu plus froide, ton côté sauvage un peu plus dompté, mais t’aurais probablement pu transformer du feu en glace.

Les coordonnées imprimé dans ton esprit, un petit sac dans ta gueule de renard, tes pattes qui foulent le sol, la vitesse qui te tourne l’esprit. L’idée même de recommencer les entrainements était débile, complètement stupide, et ça te fichait la trouille. Mais tu n’étais pas non plus du genre à refuser un défi, encore moins une nouvelle défense. Et même si la peur du manque de contrôle te glaçait le sang, la douleur avait toujours été ton moteur, celui avec lequel tu avançais, sans relâche. Tu avais grandi avec la douleur imprimé dans ton code génétique, tu ne savais même pas comment être sans. Votre duo, à Castiel et toi, il était peu probable déjà à l’époque, un triton et une renarde, le fils d’un grand pdg et une tueuse à gage. Mais tu l’avais senti, après le tsunami, il te ressemblait bien plus qu’avant. Tu pouvais presque sentir cette froideur qui vous avait réuni à la base, ce trou noir dans votre âme, détruisant tout autour de vous. À quelques mètres de l’endroit de réunion, ton corps qui se transforme en un clin d’oeil. Tu ne savais même plus où commençait ton renard et où toi tu t’arrêtais. L’un empiétant sur l’autre, l’un jamais sans l’autre, l’un incomplet sans l’autre. Tu sort les vêtements du petit sac, et pied nu tu avance dans la clairière. Sans bruit, sans un son, parce que c’était ta force, petite renarde, celle de te fondre dans le décor, celle de n’être rien d’autre que le vent et la pluie, celle de ne faire qu’un avec ton environnement. Tu n’avais pas la force des autres du Centre, du moins, pas celle de Chase ni de Allen, alors tu avais développé d’autre technique pour survivre, d’autres méthodes pour tuer. T’arrive face à l’homme au centre de la clairière, un instant tu le regarde, ton regard aussi froid que l'antarctique. “Tu es prêt?”

T'appréhendes pas vraiment, c'est pas le mot. Disons que tu sais à quoi t'attendre, et que t'as jamais été le masochiste type. Sadique, un petit peu quand tu te contrôles pas, mais te faire du mal volontairement n'a jamais éveillé un brin d'excitation chez toi. T'en connais d'autres que ça fait bander, et si parfois ça te soulage, parce que faut le dire, que ça prend les tripes, ça te fait perdre la raison jusqu'à en oublier ta psychologie, se concentrer sur le physique et oublier, réellement oublier ce pourquoi t'es tombé au sol, ce qui ne concerne pas les blessures béantes et le sang qui s'écoule, ça te fait pas non plus rêver. Toi t'es plus du genre à infliger pour te sentir vivant, c'est un peu le souci dans ce que t'es devenu, t'as plus la pitié qu'on pouvait voir auparavant dans ton regard, t'as plus cette dose impressionnante d'humanité qui te rendait si faible. Non, maintenant tu fais le nécessaire pour atteindre tes objectifs. C'est ce que tu t'es dit à la mort de Nathan, parce que t'as pas eu le choix, c'était soit ça soit tu te rendais compte de ce que t'avais foutu, tu ouvrais les yeux sur le regard vide, mort, de ton frère, le sang qui s'échappait de son crâne. Mort sur le coup, ça ne t'aurait pas enlevé la culpabilité, loin de là. Certes il n'avait pas souffert, il n'avait pas eu le temps, mais tu l'avais tué. Parfois, des mesures drastiques sont à prendre, c'est ce que tu te dis. Tu pries intérieurement pour ne jamais avoir à assumer tes actes, à regarder derrière le rideau pour trouver de nouveau celui que tu as été, l'homme fort mais opposé à celui que tu appelles ton idéal. L'homme qui ne faisait qu'un avec ses sentiments et ne les réprimait pas. C'est la peur, ça. La peur d'être humain et de souffrir d'une façon que tu comprendras pas. Parce que toi tu sais ce que c'est que les blessures, te recoudre seul, tu l'as déjà fait lors de tes entraînements et de tes chasses. Mais on ne guérit pas l'âme, et ton âme elle se cache en attendant son heure. C'est pour cela que t'as autant besoin de cet entraînement que celle à qui tu l'as proposé. Parce que tu veux prendre le contrôle et quelque part, inconsciemment, t'as encore plus envie de le perdre.

Tu la vois arriver, furtive. Tu ne sais même pas si tu l'aurais entendu si elle n'était pas venue complètement face à toi. Quelque part, elle et toi, vous avez des choses en commun. La vie ne vous a jamais loupé, et si tu connais pas les détails de la sienne, tu lis la même détermination et la même noirceur dans son regard que dans le tien. C'est sans doute pour cela que tu l'abandonnes pas et que quoi qu'il en coûte tu veux lui apprendre à se défendre. Parce qu'un jour ce sera la guerre. Tu le sais, tu le sens. Trop d'influences en ville, trop de jeux d'échecs qui pourraient mal tourner. Trop de ton espèce et de l'inverse pour que ça finisse bien. Et beaucoup trop peu de personnes capables de se défendre. Ça devait faire mal, quelque part, de se rendre compte que l'entraînement de toute une vie, cette capacité à survivre quoiqu'il arrive, à se battre, à fuir avec succès alors que la réussite n'était pas prévue au tableau … Se rendre compte que tout était vain lorsqu'une seule créature pouvait faire de vous ce qu'elle voulait avec la bonne note. T'as jamais eu à faire face à ça, et t'espères que ce sera jamais le cas. Mais Skye, elle, c'est une cible. Une cible de choix. Parfaite soldat pour des buts jamais vraiment pieux. « Encore plus que la dernière fois. Toi ?» T'avais envie de lui dire que ce serait pas si facile que votre dernière rencontre, ce qui était drôle parce qu'elle avait pas réussi à vaincre ton pouvoir. Mais c'était normal, une fois ne suffisait pas. Ces dernières années, t'as utilisé ton pouvoir plus que tu ne l'avais jamais fait avant. La facilité, personne ne te disait que c'était mal et si tu le savais, tu préférais faire comme si ça n'avait aucune importance. A quoi bon faire d'efforts alors que pratiquement le monde entier pouvait être à genoux en un haussement de voix. « Rappelle toi de ce que je t'avais dit. Trouve l'endroit où ma voix sera la plus faible. Ne t'attends pas à y réussir du premier coup mais n'abandonne pas. Si tu lâches, ce sera fini.»