HAMLET + “Affectez du moins l'apparence de la vertu.”

Hamlet Anthony Strokes

"Affectez du moins l'apparence de la vertu"

«  Mon nom est Anthony Strokes, et je suis un métamorphe. Mais c'est loin d'être la chose la plus extraordinaire qu'il me soit arrivé dans ma vie. Laissez-moi vous raconter mon histoire, je pense qu'elle vaut le coup d'être entendue.

Je suis né dans une petite contrée qui n'existe plus à l'heure actuelle. Un village mort depuis quelques années maintenant, d'où ma présence en cette ville. Mes parents étaient de ces gens qui privilégient le confort de leur famille plutôt que le leur. Ils ont toujours tenus à me protéger de tout, et lorsque ma sœur, Camélia, est née, il en fut de même pour elle. Avant mes quinze ans, je ne savais pas vraiment que ma famille était loin d'être banale. Je vivais ma vie, j'avais des amis, les enfants des quartiers. On apprenait à marcher ensemble, à lire, à écrire. Les meilleurs amis du monde. Quelque chose, pourtant, dans mes sensations, mes mouvements, ma façon d'être, n'était pas comme eux. Au fond, j'ai toujours su que j'étais différent, mais ça ne m'a pas empêché de l'ignorer. Jusqu'à cette fameuse conversation.

Nous étions à table, mes parents et moi, ma sœur se trouvant chez une amie, du moins c'est ce dont je me souviens, il est possible que ce soit autre chose, mais cela n'a pas beaucoup d'importance dans ce récit. Cela faisait quelques jours qu'ils étaient agités, apeurés au moindre bruit, même l'adolescent que j'étais n'avait aucun mal à s'en rendre compte. Et c'est là qu'ils m'ont avoué la vérité. Nous n'étions pas humains. Du moins pas réellement, pas comme vous l'entendez. Nous étions spéciaux. Avoir la capacité de se transformer en animal, ce n'était pas dans les gênes humains de base, n'est-ce pas ? Il m'a fallu une démonstration de mon père pour y croire, parce que je ne pouvais tout simplement pas l'assumer. Mais les révélations ne s'arrêtaient pas là. Ils étaient pourchassés. Nous étions pourchassés. Par qui, dans quel but, même eux ne le savaient pas. Le génocide de créatures est quelque chose de réel, et si je vous parle aujourd'hui c'est pour vous mettre en garde. Nous ne sommes en sécurité nulle part. La nuit même, ma mère m'a réveillé, paniquée, sans plus d'explications, pour me faire remplir une valise. Elle en avait déjà préparée une pour Camélia, que je devais récupérer chez son amie. La dernière vision que j'ai de ceux qui m'ont donné la vie a été celle de ma mère refermant la porte derrière moi, et mon père me regardant partir, larmes aux yeux, par la fenêtre. Malgré les années, je ne l'ai jamais oubliée.

J'ai vécu dans la peur depuis. Nous sommes allés nous installer en pleine forêt, avec Camélia, pour apprendre à nous apprivoiser. J'ai dû lui expliquer la vérité, et nous avons tous deux travaillé dur pour arriver à cette maîtrise de notre corps. Mon animal totem, au départ changeant selon ma personnalité, s'est finalement arrêté sur l'ours, tandis que celui de ma sœur sur un chat. C'est quelques années plus tard, alors que nous avions la vingtaine à peine dépassée, que m'arriva la chose la plus extraordinaire de ma vie. Je marchais dans cette verdure que je considérais comme mienne, lorsque je suis tombé sur Lui. Je ne sais pas vraiment comment il s'appelle, personne ne le sait, même si je crois que par inadvertance, je suis entré dans la vérité, chose que je ne lui ai jamais dite. Nous l'appellerons Hamlet, car c'est une œuvre qu'il a toujours apprécié, et qu'il m'a lue au moins une dizaine de fois. Il était en mauvais état, lorsque je l'ai trouvé. Un homme d'une vingtaine d'années, en train de se vider de son énergie vitale, blanc comme un linge, voilà ce que je pensais qu'il était. Alors je l'ai ramené chez moi. Je l'ai posé sur mon lit, et je lui ai préparé à manger, tandis que ma sœur tentait tant bien que mal de le soigner. Contre toute attente, il se remit. Un jour que j'étais près de son lit, il m'a touché le bras. Il m'a dit «  Tu ne seras plus jamais inquiété de rien. Vous vivrez longtemps, je te le promets. » J'ai mis longtemps à comprendre le sens de ces paroles, et là, alors que j'entame sans doute ma dernière année de vie, comme je peux le sentir dans tous mes os, j'ai compris. Il n'était pas fou, il était juste bon. Plus tard, il m'a raconté son histoire. Je ne connaissais l'existence d'autres créatures que par le biais de ce que j'ai pu voir, jamais je n'avais rencontré d'authentiques djinns. Mais celui-ci … Il était spécial. Celui-là pouvait aimer. Quelques jours plus tard, pourtant, il avait disparu. De ses récits, j'en ai conclu qu'il avait été révoqué par son magicien. Ma sœur en a pleuré des jours et des nuits, et pourtant, j'étais certain que sa promesse n'en serait pas moins tenue.

Si je devais choisir un jour de ma vie qui a fait ce que je suis maintenant, c'était celui où j'ai sauvé Hamlet. Si je vous ai raconté ça, c'est, en premier lieu, pour ne pas que cette histoire tombe dans l'oubli, mais aussi, et surtout, comme un avertissement. Si même les djinns ne sont pas à l'abri d'un chasseur, vous devriez vous méfier. Nous ne sommes pas les bienvenus dans ce monde. Battez vous pour vivre, mais tentez la paix. C'est la moindre chose que vous puissiez faire pour honorer ceux qui sont morts pour garder le Grand Secret. Si toute la population venait à découvrir la vérité … Vous ne seriez plus que des bêtes de foire. »