mon histoire
[Après une longue journée de travail, Katalina rentre chez elle exténuée avec qu’une seule idée en tête : se détendre au calme. Bien entendu, cette soirée ne se passera pas comme prévu. Entre nostalgie et cauchemar, les émotions s’entrechoquent ; dévoilant le vécu de la jeune femme – le tout parsemé de petites anecdotes glissées par-ci par-là.]
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Epuisée, je montais difficilement les marches de l’escalier. Quel était l’abruti qui avait conçu cette interminable montée ? J’allais entamer une litanie ô combien désagréable sur les conceptions architecturales aussi esthétiques qu’inutiles, mais fut promptement interrompu par un individu empressé qui manqua de m’embarquer dans sa course folle. Guidée par mes instincts primaires et mon équilibre maîtrisé, j’eus la chance de ne pas rebrousser chemin de manière acrobatique - ou chaotique, selon l’appréciation de chacun, et réussissais même, dans un élan de vitalité soudaine, à insulter mon assaillant d’un joli sobriquet. Devrais-je le remercier d’avoir prouvé au monde de l’invisible que malgré toutes mes veines tentatives je restais aussi solide qu’un roc ? Kate l’invincible. Il suffisait d’un rien pour remonter la pente. Ou pas. Je poussais un long soupire ; à nouveau seule face à mon dernier obstacle du jour – du moins, je l’espérais – et reprenais mon ascension.
« Mimi, je suis rentrée ! » Chantonnais-je allégrement tout en refermant la porte d’un coup de pied bien placé. Pas de réponse. D’une démarche nonchalante, je m’engageais dans le séjour et commençais à me débarrasser de mes affaires par-ci par-là ; guère intéressée par le rangement. Je n’avais qu’une seule envie ce soir : prendre un bon bain et filer au lit.
« Mimi ? » tentais-je une nouvelle fois.
Toujours pas de réponse.
Quel ingrat ! Je m’empressais d’enlever ma chemise et la jetais sur le canapé avant de me rendre dans la salle de bain. Je pouvais critiquer cet appartement en long et en large, mais je devais reconnaitre que l’existence de cette fabuleuse baignoire avait le don exceptionnel de me satisfaire. Rien de tel que se prélasser dans une eau bien chaude en tête-à-tête avec soi-même après avoir passé une sale journée.
Pendant que l’eau fumante engorgeait petit à petit la baignoire, je m’empressais de me délester du reste de mes vêtements, détachais mes longs cheveux bruns et passais un coup d’eau fraiche sur mon visage. Je croisais mon regard dans la glace quelques instants.
« Tu lui ressembles » résonna subtilement une voix féminine – mirage du passé. Cela faisait longtemps que je n’avais plus entendu son doux timbre. Croisant les bras contre mon corps nu, j’essayais de me souvenir de la chaleur réconfortante de son contact ; la sécurité que seule une mère pouvait procurer à son enfant.
Tu me manques. Certaines réalités étaient plus dures à accepter que d’autres, mais nous n’avions d’autres choix que de vivre avec ; continuer à mettre un pied devant l’autre sur le chemin de la vie pendant que le douloureux souvenir d’un être cher finissait par prendre son envol lentement – tel un rêve éphémère.
Je me souvenais de son timbre mélancolique lorsqu’elle avait prononcé ces trois mots tout en nattant mes cheveux d’une tresse épaisse. Je n’étais qu’une enfant en recherche d’affection à cette époque.
Mon cœur s’était emballé à l’idée d’en savoir plus sur son passé, sur mes origines et surtout, sur mon géniteur. L’espoir avait gonflé mes poumons au point où j’avais craqué avant même qu’elle n’ait le temps de reprendre son souffle.
- Comment était-il ?
Je ne saurais dire si l’anxiété m’avait gagné ou si j’étais seulement excitée par la perspective d’avoir enfin des réponses ; mais je ne cessais de gesticuler nerveusement mes doigts, les ouvrant et refermant à répétition. Allait-elle se confesser ? Me dire qui il était ? Pourquoi n’était-il pas avec nous ? Nous détestait-il ? Tant d’interrogations et d’espoirs dans une simple question.
- Il…
Elle sembla hésiter un instant. De peur qu’elle se dérobe une nouvelle fois, je lui donnais une légère caresse sur le visage en signe d’encouragement, d’approbation ou qu’importe la signification qu’elle donnerait à ce geste, je souhaitais simplement qu’elle continue. Son sourire illumina son visage.
- Voyons Katalina, ne sois pas si impatiente ! Plaisanta-t-elle. Tu essayes toujours de m’attendrir pour arriver à tes fins. Jeune fille, sache que je vois claire dans ton jeu et que ce n’est pas…
Elle se tut soudainement, incertaine. Je ne connaîtrais jamais la fin de sa phrase. Était-ce important ? D’un geste aimant, elle remit l’une de mes mèches rebelles derrière l’oreille.
- Tu as les mêmes cheveux que lui. Bien que tes yeux reflètent les miens, tu as son regard, ses expressions farouches et surtout une curiosité bien trop prononcée qui finira par te jouer des tours, me taquina-t-elle en me pinçant légèrement l’arête du nez.
Je fis la moue.
- Est-ce qu’il me déteste ?
Toute couleur déserta le visage tendre de ma mère. Elle flippait. Je le voyais. Je le sentais. Elle allait se braquer comme toutes les autres fois, mais il était hors de question que je la laisse s’échapper. J’agrippais fermement la manche de son haut ivoire ; déterminée à lui délier la langue. Son regard ne cessait de contempler ma prise comme une proie prise au piège.
- Pourquoi n’est-il pas avec nous ? Il n’est pas comme toi et moi ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ?
Je continuais d’enchainer les questions sans prendre le temps de respirer. J’avais besoin de vider mon sac, de laisser place libre à mes émotions et surtout de décharger toute la frustration que j’avais accumulée au cours de ces dernières années. Je savais que mon entêtement finirait par la blessée, mais j’en avais cruellement besoin.
- Est-ce qu’il me déteste ? Répétais-je une dernière fois, la gorge nouée.
La détresse s’échappait de tous ses pores, mais la nécessité de me réconforter fut la plus forte. Ses bras m’encerclèrent et d’un mouvement lent, elle caressa tendrement ma tête. Nous restâmes un moment ainsi ; dans les bras l’une de l’autre. Je la soupçonnais d’agir de la sorte pour me calmer, mais surtout, pour me préparer à une énième déception. Qui manipulait qui maintenant ? Elle déposa un doux baiser sur mon front avant de reprendre contenance. Je savais d’ores et déjà que je n’allais pas aimer la suite.
- Non, Katalina. Il ne te déteste pas.
J’allais riposter, mais elle posa un doigt sur mes lèvres m’intimant de me taire.
- C’est compliqué, clôtura-t-elle le sujet comme toujours.Je poussais un soupire de béatitude lorsque l’eau chaude apaisa l’ensemble de mon corps.
Si bon ! Une douce flagrance de pins embaumait la pièce. Pendant un instant, je m’imaginais vagabonder à quatre pattes dans les bois délestée de tout tracas ; juste ne faire qu’un avec la nature, sentir la terre fraiche sous mes coussinets, la lune illuminant mon sombre pelage. Simplement m’évader.
« C’est compliqué ». Parmi tous les souvenirs que j’avais d’elle, pourquoi celui-ci en particulier ? Etais-je toujours frustrée de ne pas savoir ? Je pensais être passée à autre chose depuis le temps. Après tout, le mystère ne serait jamais résolu ; sa disparition emportant tous ses secrets. Je ne connaîtrais jamais mon géniteur et les raisons de son absence durant toute mon enfance. Je devais me faire une raison et garder uniquement les bons moments passés en sa compagnie. Elle m’avait élevé seule aussi longtemps qu’elle avait pu ; s’acharnant à me donner une enfance constructive et aimante. Un peu trop protectrice, mais pouvais-je seulement lui en vouloir ? Je repensais à son sourire chaleureux, ces moments complices que nous avions partagé à de nombreuses reprises, sa motivation à m’apprendre de nouvelles choses et ses histoires qu’elle adorait me compter afin que je découvre ma nature profonde sans me brusquer. Ô qu’elle avait été prévenante, ma courageuse maman. Si seulement ce jour-là elle…
Un claquement de porte me ramena brutalement dans la réalité.
Mais quelle brute celui-là ! Néanmoins, je devais reconnaitre que son intervention arrivait à point nommé. Il y avait des événements dans la vie qu’on préfèrerait ne jamais revivre – même en songes. Celui-ci en faisait partie.
Plusieurs coups frappèrent la porte de la salle de bain. Si je faisais semblant de ne pas être là, peut-être qu’il s’en irait ? On passait un agréable moment M. Canard et moi. Pourquoi tout gâcher ? Je reniflais dédaigneusement, car connaissant l’agitateur, il ne s’arrêterait pas là si je restais muette. Je m’apprêtais à lui signaler ma présence lorsque de nouveaux coups, plus prononcés, résonnèrent.
Et impatient de surcroît ! La clenche pencha dangereusement vers le bas et je vis rouge.
- Essaye seulement et je promets de manger des yeux bouillis ce soir, crachais-je avec hargne.
Le mouvement stoppa, mais ne remonta pas pour autant.
- Tant d’agressivité… soupira le perturbateur.
Tu as visiblement besoin d’un bon massage pour te détendre. Par chance, je suis un expert en la matière !Je levais les yeux au ciel même s’il ne pouvait pas me voir.
- Oses franchir cette porte et tu le regretteras.J’étais véritablement prête à grogner pour avoir ma paix. S'il passait ne serait-ce que le bout de son nez dans la pièce, je jure qu’il ressortirait de cette pièce en claudiquant - privé d'une éventuelle descendance.
- Que de promesses ! Tu es très en forme ce soir, ma p’tite Kate. Ne t’inquiète pas, je n’ai pas prévu de pourrir ton moment d’intimité. La poignée se redressa.
Je tiens néanmoins à te faire remarquer que ton anatomie n’a plus de secrets pour moi depuis bien longtemps.M. Canard embrassa violemment le battant de la porte. Je suis certaine qu’il avait espéré finir sa soirée sous de meilleurs auspices et non, face contre sol, tel un vieux débris.
- Dégage ! M’emportais-je subitement.
Je pouvais l’entendre s’éloigner en gloussant ; fier comme un coq de son audace.
Imbécile ! Je fulminais encore quelques secondes avant d’éclater de rire à mon tour. Nos chamailleries avaient son lot de quotidien et malgré le temps qui passait, je ne m’en lassais pas. Elles étaient un brin de fraicheur et de folie que j’accueillais chaque fois avec joie ; même si, je devais l’avouer, l’envie de l’étriper me titiller parfois.
La première fois que j’avais rencontré Dimitri, je devais tout juste avoir une quinzaine d’année. J’étais dans ma période rebelle et lui… je dirais simplement qu’il avait la grosse tête mêlée d'un égo surdimensionné. Monsieur se prenait pour le roi du monde. Bref, ensemble nous étions explosifs.
Sa famille m’avait généreusement accueilli alors que je déambulais faiblement dans les rues parisiennes en quête de nourriture. J’étais leur petit chat errant pour lequel elle s’était donnée pour mission de remettre sur le droit chemin. Une idéaliste. A cette époque, j’essayais de fuir mon passé, d’oublier cet événement qui avait bouleversé toute mon existence et surtout de prendre mes distances avec cet homme qui sombrait chaque jour davantage – mon oncle. J’essayais de survivre à ma façon et cette étape nécessitait que je prenne mes distances avec cette boule de négativité qui m’entourait et me collait à la peau quotidiennement. Grandir auprès d’un homme qui dépérissait à vue d’œil et me confondais chaque jour un peu plus avec ma mère, me rappelant cette tragique nuit, n’était plus vivable. Un beau matin, j’avais préparé quelques vivres, puis m’étais échappée de cette cage étouffante.
Ce n’était peut-être pas la meilleure idée du siècle, mais sans elle, je ne serais jamais devenue celle que je suis aujourd’hui. Je n’aurais jamais rencontré cette incroyable famille qui m’avait aidé à me reconstruire, à devenir plus forte et à aimer, malgré les hauts et les bas qui se sont entremêlés à chaque étape. Je lui devais beaucoup. A Dimitri également, mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir. Avec son air suffisant, Monsieur se serait pavané tel un paon et me l’aurait ressorti à tout bout de champ. Vraiment, ce n’était pas nécessaire. J’avais une certaine fierté que je tenais à conserver ; hors de question de lui laisser une quelconque emprise sur ma personne juste parce que Monsieur avait eu un grand rôle à jouer et aussi, parce qu’il était le seul à connaitre ma véritable nature. Tout me paraissait si loin désormais.
L’eau du bain devenant froide, je décidais qu’il était temps d’en sortir. Je me séchais rapidement, tentais de démêler ma tignasse et enfilais un long T-Shirt agrémenté d’un sympathique flocage : « si tu trouves que je déchire, attends de voir mon chat ». Dimitri éclata de rire en le voyant.
- Et tellement vrai ! S’exclama-t-il.
Je grognais pour la forme et le rejoignais à table où je constatais que le repas du soir était des œufs brouillés avec quelques tranches de bacon. Je levais les yeux au ciel – ce qui n’échappa pas au cuisinier qui éclata de rire derechef. Mimi et son humour à la con dans toute sa splendeur !
- Comme je le disais tantôt… avant que tu ne me chasses tel un malotru… Se sentait-il obligé de préciser. Tu devrais te détendre.
Je faisais mine de ne rien entendre ; savourant mon plat avec un peu trop d’entrain.
- J’ai bien compris qu’un bon massage n’était pas une option, mais tu pourrais prendre un bol d’air ? Boire un p’tit coup ? Ou bien te dégourdir les papattes ?
- Me dégourdir les papattes ? Répétais-je bêtement. Il se foutait de ma gueule là ?
- Mais oui ! Ton truc là… marmonnait-il en balayant l’air de la main. Changer d’enveloppe charnelle et grogner au clair de lune pour montrer ô combien tu es badass.
Je manquais de m’étouffer avec un bout de bacon.
- Tu as fumée de la moquette ou quoi ? Demandais-je entre deux quintes de toux.
Autant parler à un sourd…
- D’ailleurs, maintenant que j’y pense, je me suis toujours demandé ce qui était arrivé à Rouky.
Ok, je l’avais perdu.
- Tu sais, le chien de Mme Martin.
Cette fois je manquais de m’étouffer pour une tout autre raison. Ou voulait-il en venir ? Je n’aimais pas beaucoup la tournure que prenait cette conversation. Si j’avais pu disparaitre soudainement, je l’aurais fait sans aucune hésitation. Dimitri remarqua mon désarroi et sembla prendre un malin plaisir à me torturer. Il savait que j’avais quelque chose à me reprocher et ferait tout pour me tirer les vers du nez. Je connaissais parfaitement ce regard malicieux pour en avoir déjà subi les conséquences.
- Il était toujours très calme, puis un jour, il a commencé à aboyer comme un fou dès qu’il te voyait. Il prit une mine songeuse. Quel acteur ! Tu faisais une de ces têtes dans ces moments-là, tu aurais dû voir ; c’était sublime. Si tu avais eu des revolvers à la place des yeux, je suis certain que tu l’aurais troué sur place.
Je lui laissais entrevoir ce fameux regard ; espérant lui fermer le claper et surtout éviter de glisser en terrain miné. Vraiment, je n’aimais pas le cheminement de ses pensées et j’avais beau me foutre de lui sur beaucoup de choses, Dimitri était loin d’être un idiot. Son sourire en coin ne présageait rien de bon.
- Et BAM ! Il tapa dans ses mains m’arrachant un subtil frisson. Il disparut.
- Et alors ? En quoi est-ce notre problème ? Rétorquais-je.
Il jubilait. Ses yeux brillaient d’excitation. Cette situation l’amusait au plus haut point, ce qui n’était clairement pas mon cas. Mon malaise ne cessait de s’intensifier. Il le savait et en jouait – cherchant à repousser mes limites comme à son habitude.
- Je vais te dire ce que j’en pense.
- Mimi, susurrais-je affectueusement avant de reprendre mon regard de tueuse. Je me fous de ce que tu penses.
Je me levais pour débarrasser mon plat et mettre un terme à cette conversation ô combien agaçante. Bien entendu, Dimitri ne le voyait pas du même œil.
- Premièrement : arrête avec ce surnom débile. Deuxièmement : je te le dirais quand même.
Pitié, achevez-moi ! Cet homme allait me rendre la vie dure.
- Un jour, ce chien t’a croisé sous ton autre forme. Il me lança un regard en biais comme s’il attendait que je confirme ses propos. Qu’il aille au diable. Comme c’est un imbécile et qu’il n’a pas compris qu’il avait affaire à un putain de prédateur, il s’est mis à brailler dès qu’il te voyait.
- Et donc ?
- Et donc sous le coup de l’agacement, tu l’as fait taire à jamais.
Il leva les bras en l’air, fier de sa déduction. Moi de mon côté, j’en restais comme deux ronds de flanc. Mon manque de réaction fut révélateur. Il y eu un moment de flottement dans l’air, puis Dimitri reprit soudainement vie.
- C’est vrai ? Tu as bouffé ce foutu clébard ?
Je notais une certaine fluctuation dans sa voix. De la crainte ? Tu l’as dit toi-même, je suis un prédateur. Mon pouls commença à s’enflammer, ce qui n’était jamais très bon signe. Je me dirigeais vers ma chambre, décidée à pendre de la distance.
- Tu t’enfuies ? Kate ! Un bruit de meuble suivi d’un juron grossier l’accompagna. Bon sang, Kate !
Je claquais la porte derrière moi et la fermais à clef. Je me laissais glisser le long du battant, mon cœur dansant frénétiquement. Je devais retrouver mon calme. J’étais presque certaine que mes yeux avaient pris cette fameuse teinte ocre – prémices d’une métamorphose. Inspire, expire. Je répétais cette pratique à plusieurs reprises tel qu’on me l’avait enseigné. Je n’avais pas tué cet être vivant pour une simple contrariété ; non, je l’avais fait parce que ses aboiements intempestifs à mon encontre avait commencé à attirer l’attention. Je l’avais fait pour… ma survie ; pour ne pas éveiller les soupçons, et surtout, ne pas rameuter un certain groupe d’individus, dangereux.
Lorsque j’estimais m’être suffisamment calmée, je tournais la clef, puis me laissais tombée sur mon lit douillet. Cette journée m’avait définitivement épuisée à tout point de vue. Ce que je ne savais pas encore, c’était qu’elle n’en avait pas encore fini avec moi et qu’elle prendrait subtilement la forme d'un cauchemar.
J’étais en train de faire mes devoirs lorsqu’un fracas de tous les diables résonna dans l’appartement. « Katalina ! » hurlait une voix désespérée. J’avais encore le stylo en l’air lorsque ma mère déboula dans la pièce. « Katalina, dépêche-toi ! » m’ordonna-t-elle. Me dépêcher de quoi ? Je ne comprenais pas. Que se passait-il ? Pourquoi cette soudaine urgence ? Devant mon air ahuri, elle s’empressa de préciser sa demande, même si, à vrai dire, je continuais d’être totalement étrangère à la situation. « Tu dois t’en aller ! » renchérit-elle. Mais pour aller où ? Voulus-je répondre. Ses mots ne franchirent jamais la barrière de mes lèvres. Je restais scotchée à ma chaise contemplant ma génitrice s’affairer au niveau de l’armoire pour en sortir une valise. Elle semblait totalement déboussolée. Moi aussi, mais certainement pas pour la même raison.
- Maman, qu’est-ce qui ne va pas ? Tentais-je d’une voix mielleuse.
Elle s’immobilisa subitement - l’air de réfléchir quelques instants, puis vint à ma rencontre, encerclant mes bras de ses mains poisseuses. C’est à ce moment-là que je remarquais qu’elles étaient en réalité ensanglantées. La vision me terrifia au point où respirer ne me paraissait soudainement plus naturel. Ma mère me parlait, mais je ne l’entendais plus ; les battements de mon cœur recouvrant tous les autres sons. Je retenais un cri d’effroi lorsque je remarquais la présence d’une entaille luisante sur son abdomen.
- Maman, tu es… - Viens ! Me coupa-t-elle. D’un mouvement sec, elle m’entraîna à sa suite ; tout en prenant soin de ne pas oublier la fameuse valise. Angoissée, je ne pouvais plus retenir les larmes qui menaçaient de couler depuis tantôt. Sa main ne cessait de glisser le long de mon bras, étalant un peu plus le liquide rouge sur ma peau. Cette vue me donna des hauts le cœur et je ne pus réprimer un gémissement rauque qui alerta ma mère sur mon état dégradé. Elle s’agenouilla devant moi. Des gouttes écarlates s’étalèrent sur le sol.
- Cariño, respire. Je sais que tu es totalement dépassée par les événements et que tu ne comprends rien à ce qui se passe, pourquoi je te demande de me suivre sans avoir le droit de poser la moindre question, mais… tu dois me faire confiance. Maman se préoccupe uniquement de ta sécurité alors je t’en prie Katalina, contrôle ton corps. Tu te souviens ? Inspire, respire… Voilà, c’est déjà mieux.
Elle déposa un tendre baiser sur mon front et nous quittâmes l’appartement.
Au pied de l’immeuble nous attendait Alonso, mon oncle. Que faisait-il là ? Tout se passait à une vitesse ahurissante ; ou alors, était-ce simplement moi qui m’était déconnectée de la réalité - un peu comme une sorte d’auto-défense psychique pour ne pas perdre pied. A peine arrivées, mon oncle chargea la valise dans la voiture. Ma mère, quant à elle, continuait de me tenir le bras comme si sa vie en dépendait. Ils échangèrent quelques paroles qui furent rapidement coupées par un bruit sourd. Qu’est-ce donc encore ? J’eus rapidement le temps d’entendre : « Emmène-là loin d’ici ! » qu’on me tirait vers le véhicule. Ce fut plus fort que moi, je me mis à hurler à plein poumon ; usant de toutes les cordes vocales à ma disposition.
Clac !
La gifle eut le don de me remettre les idées en place. C’était la première fois que ma mère me punissait de la sorte. Les yeux écarquillés, je la contemplais avec stupéfaction. « Pourquoi ? » est le seul mot que je réussissais à déglutir. L’espace d’une seconde, j’entrevis le regret à travers ses prunelles noisettes.
- Parfois il est nécessaire de faire des choix difficiles dans la vie, même si tout ton être se rebelle à cette idée. Elle poussa un long soupire. Celui-ci en est un. Pardonne-moi, Katalina. Je t’aime très fort.
Les larmes dévalèrent, intarissables. Alonso m’attrapa. Je me laissais faire à bout de force. Le véhicule démarra tandis que de nouveaux bruits alarmants et assourdissants retentissaient. Je jetais un dernier regard à ma mère et je sus à cet instant que c’était la dernière fois que je la voyais.
Je me réveillais en sursaut ; le souffle saccadé et la gorge irritée. « Chut, Chut » tentait de m’apaiser une voix masculine tout en me caressant les cheveux. Recroquevillée en position fœtale, je me sentais poisseuse et subitement vidée de toute émotion. Je passais une main tremblante sur mon visage ; lui aussi humide.
- Dimitri ? Croassais-je.
- Chut, souffla-t-il tendrement. Là, tout va bien. Tu n’as rien à craindre.
Il continuait de me caresser les cheveux inlassablement.
- J’ai recommencé, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas la première fois que je faisais ce cauchemar et certainement pas le dernier. Je tentais de me relever, mais Dimitri me cala plus étroitement contre lui m’intimant de rester calme. Peu à peu, je commençais à me détendre et arrivais même à marmonner dans ma barbe – le traitant de profiteur. Nous passâmes un long moment ainsi attendant que mes tremblements se tarissent et que mon cauchemar devienne un désagréable souvenir.
- Katalina, ce n’est peut-être pas le bon moment pour aborder le sujet, mais… Il sembla chercher ses mots. Je vais bientôt partir à Bray.
Je restais muette.
- Je sais que tu as été obligé de déménager à plusieurs reprises, mais si tu souhaites venir, tu…
- Qu’est-ce que tu vas foutre en Irlande ? Maugréais-je.
Un nouveau silence.
- J'ai une piste, fut les seuls mots qu’il prononça.