« Dans l’univers, on n’est qu’un pet. » — Un personnage bancal issu d’un roman tout aussi bancal.
On ne sait pas exactement trop comment Ray Badon a pu être « engendré ». En ce qui concerne les circonstances…
C’était un rude soir d’hiver, à l’approche des fêtes de fin d’année. Deux étudiants de magie acharné avaient tenté le coup : invoquer un Djinn à l’effigie de leur arrière-arrière-arrière grand oncle parce que « ça ferait cool ».
On ne sait les circonstances exactes de l’invocation, ni du rituel précis, mais l’on se rappelait d’un fait marquant.
Il leur manquait du sel.
« On n’a qu’à remplacer par du sucre ?
— Jean-Charles, t’es sûr de ton coup ?
— Non, mais on perd quoi à essayer ? Tu sais, Jean-Mi’, que les hommes font des découvertes de manière totalement fortuite ? Au moins on sera fixé. »
* * *
Mais qu’est-ce que ?!Je ne me rappelle pas très bien de tout, mais j’avais l’étrange sensation de déchirure, comme arraché à moi-même. C’est difficile à expliquer. Un peu comme si le calme plât, le néant, succédait soudain à quelque tonnement magistral, à un grondement divin. Puis une clâmeur venue d’outre-tombe.
Puis un bourdonnement qui s’évanouit au fur et à mesure que mes sens se manifestaient. Au fur et à mesure que ma vue se précisa, je voyais deux andouilles bouche bée qui me toisaient d’un air interdit, et à mes pieds un pentacle en forme d’étoile avec un nombre incalculable de bougies.
Je ne comprenais rien à tout ce bordel. Rien n’avait de sens. Absolument rien.
Pas même le charabia de ces deux personnes. Je le répétais machinalement pour comprendre ce dont il s’agissait, essayant d’apprivoiser mon environnement. Mais je ne comprenais rien.
Je me rappelle avoir eu l’apparence d’un cinquantenaire bien portant, au teint bronzé et aux yeux bleus. Je revêtais un trois pièces à l’ancienne qui sentait la fraise et j’étais le sujet d’une observation impromptue par mes deux fans alors que je m’aventurais au dehors dans une tempête glaciale.
Putain de merde, qu’est-ce que ça fait mal, ce froid mordant !
Toutes ces sensations d’un coup, c’était beaucoup.
Et puis les deux gus m’expliquaient au moyen de pictogrammes ce qu’ils voulaient de moi. C’était deux têtes de turc qui voulaient impressionner la galerie et faire de moi une sorte de baron de la drogue auprès de leurs camarades pécores ; pour les intimider afin qu’ils ne cherchent plus noise auprès de mes bienfaiteurs.
Plus les minutes passaient, plus mon esprit semblait prendre forme, et ma compréhension sommaire du monde se développaient.
« C’est sans doute ton cerveau qui commence à se remettre en marche, expliqua Jean-Charles.
— Et si t’arrêtais de dire des conneries et qu’on en finissait vite ? répondis-je spontanément. »
Oui. J’avais une irrépressible envie de terminer ce pourquoi on m’avait sollicité pour nourrir ma curiosité. J’avais un besoin pressant de comprendre ce qu’il se passait.
Je vais donc vous épargner les détails de ma mission, si ce n’est que les tocards qui ont cru bon me manquer de respect ont fait dans leur froc.
Puis je sentis comme mon corps s’affaisser et baigner en immersion dans un environnement chaud et agréable, en compagnie d’autres présences, elles aussi difformes, qui semblaient se mélanger, s’étreindre autour de moi.
On était un peu comme des tétards à l’étroit dans une gigantesque marre. J’étais bien, même si le contact de certains d’entre eux me paraissait moins agréable que d’autres.
Ce séjour dans cette drôle de voute ne fut que de courte durée. Bientôt je sentais mon être reprendre possession d’un corps avec une tête et des pieds.
Et ce costume cravate qui sentait la fraise.
« Aide-moi, je n’arrive pas à récupérer ma petite amie, que l’invocateur se plaignait.
— Mais tu te fous de ma gueule ? »
C’est que j’en avais rien à foutre de ses problèmes de cœur, au garçon. Et puis la donzelle qu’il convoitait était conne comme ses pieds. Il n’y avait rien que je pusse faire et au fil des jours passés, je sentais comme une douleur ineffable me prendre aux tripes. Sans que je ne comprenasse ce qu’il m’arrivait, j’avais déjà emprunté la silhouette d’un oiseau d’envergure : l’albatros.
Et mon invocateur s’était suicidé, faute d’un chagrin dont je n’avais réalisé l’intense amertume.
Merde. Faut être con, parfois.
Mon escapade aviaire n’était en rien remarquable, si ce n’est qu’elle estompait ce calvaire indescriptible et l’amertume d’avoir laissé un sale gosse chier sur sa vie.
Plus jamais.
* * *
Un homme passait par là, en bordure d’un champ dans lequel s’affairait un paysan à retourner la terre de sa houe. À son épaule se trouvait un énorme insecte, presque de la taille de sa propre tête.
Perplexe, l’homme s’approcha pour lui demander :
« Monsieur, comment ça se fait que vous avez un énorme insecte sur l’épaule ?
— Ah, ça ? C’est parce que j’ai consulté un génie dans sa cabane non loin, là-bas… »
L’agriculteur désigna au loin une petite habitation. Perplexe, le curieux haussa les épaules et s’y rendit et trouva un homme bien portant. Une odeur de fraise embaumait les lieux.
« Bonjour, jeune homme.
— Euh, bonjour, euh, pourquoi y a un fermier avec une grosse mite sur l’épaule ?
— Je lui ai accordé un vœu de son choix. Et puisque tu m’as rendu visite, autant en profiter, n’est-ce pas ? Avant que je ne regagne le plan astral.
— Ah oui ? Trop cool ? Je voudrais… Un milliard ?!
— Accordé. »
Ni une, ni deux, le génie fit apparaître, au dehors… Une magnifique table de billard. L’homme sortit, contempla la supercherie et lorsqu’il voulut se plaindre auprès du génie, il avait disparu, comme par magie !
Il traina sa table de billard jusqu’au fermier.
« C’est quoi cette arnaque ? J’ai demandé un milliard, et le génie m’a donné un billard…
— Parce que tu crois que j’avais demandé une grosse mite ? »
Le corbeau qui observait la scène répondit par un grand croassement, et s’envola au loin.