Hé, Bonnie, tu es qui, toi ? Mortimer est intelligent, Trevor est sensible, mais toi ? Toi t'es celle qui fait que de crier, t'es celle qui court partout, fait que de se vautrer et a toujours un truc cassé. T'es celle qui hurle qu'elle a raison car, de vous trois, c'est toi qui fais preuve du plus de bon sens. Enfin, tu es lucide mais tu t'en fous. Tu es clairvoyante mais tu fais un double nœud à ton bandeau autour des yeux. Bonnie, tu plonges la tête la première et te heurtes au fond du bassin, tu colles toujours la première droite et tes genoux raclent contre le bitume. Hé, Bonnie, pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu aimes avoir mal, comme ça ?
T'es une violente, c'est en toi, t'as le sang en ébullition, le sang sur tes mains et plus de lait dans la bouche. Il faut que tu te mettes en danger, il faut que tu casses des choses et des gens. C'est en toi, et tu peux rien faire contre. Comme une petite voix qui murmure au creux de ton oreille : «
bousille-les. »
Et cette chance insolente qui te retient par le col quand t'as déjà un pied dans le vide...
Mais j'y reviendrai plus tard.
Oh, Bonnie, en plus d'être agressive, t'as jamais été une jolie fille. Ce qui te sauve, c'est peut-être ce truc que tu as au fond des yeux, ce truc qui veut dire « je vaux mieux que vous tous mais je suis fatiguée de vous l'expliquer », ce truc qui ressemble surtout à de la colère. C'est peut-être ça, la clé de voûte de ta personne. Cette colère qui t'étrangle. Qui t'a toujours étranglée. Ta haine est sincère et ne se dirige nulle part en particulier, ta rage est chaotique et suinte par tous tes pores. Tu es le cratère d'un volcan et ta lave coule dans toutes les directions. Infatigable. Trop preste.
Mais, Bonnie, toute cette hargne, il faut la museler. Toi, ta solution, c'est de bouffer des cachetons. Tradamol, Lexomil, Xanax, paracétamol codéïné, tout ce qui peut t'assomer un minimum y passe. Et tu fumes des joints comme si c'était des clopes, et tu gobes un carton un jour sur deux. Et, si jamais tu te sens un peu faiblarde, un trace de cocaïne suffit à te requinquer. Y'a pas de secret. C'est dangereux, tout ça, Bonnie. Heureusement que tu ne bois pas, ce serait le pompon. Mais, Bonnie,
tu as de la chance.
Ça parait pas, mais t'as le cul bordé de nouilles. La fortune est entre tes doigts, autant pour trouver un pochon de weed par terre que pour jouer au casino. Du moins, ceux où l'on t'accepte encore. Bonnie, t'as de la chance, personne ne sait pourquoi. T'as toujours eu de la chance, tu as toujours échappé de trop près aux catastrophes. Le nombre de fois où tu as failli mourir foudroyée, noyée, étouffée, la nuque brisée. D'overdose. Le nombre de fois où on a appelé l'hosto parce qu'on s'inquiétait pour toi.
Mais, Bonnie, ça flatte ton égo.
Alors, Bonnie, on ne t'a pas porté assez d'attention quand tu étais petite ? Ça t'a rendue malade qu'on se désintéresse de toi ? Un légère peur de l'abandon, peut-être ? Permets-moi de faire de la psychologie de comptoir car c'est un fait : tu aimes que l'on se fasse du souci. C'est le seul moyen pour toi d'obtenir ce que tu veux. Tout. Un endroit où dormir, de quoi te buter le crâne, et parfois même de l'amour. Ou de la pitié, parce que tu confonds encore les deux. Ton comportement les chagrine mais c'est tant pis pour eux. Tu te dis que ça fait partie de ton plan de vengeance soigneusement échafaudé au fil des années pour qu'ils regrettent tous de t'avoir négligée. De t'avoir oubliée.
Hé, Bonnie. Toi, tu es celle qui ne veut plus rester sur le carreau. Tu es celle qui ne peut pas mourir.
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1. Quand t'étais petite, un médecin a décrété que tu étais une enfant hyperactive. Alors tes saints parents se sont dit que ce serait sympa de t'offrir un instrument de musique histoire de te canaliser un peu et que tu arrêtes de détruire tout ce qui te tombait sous la main. Contre toute attente et à leur plus grand malheur, tu as choisi la trompette.
2. Allant de paire avec ton apprentissage des arcanes de la trompette, tu as développé au fil des années un goût certain pour le jazz. De Count Basie à Ellington, de Calloway à Sinatra, tant d’icônes que tu vénères encore ! Et puis au sommet, le top du top, ton idole parmi les idole, trône Louis Armstrong. Tu es plutôt orientée new-orleans et ta préférence va au swing.
3. T'es métamorphe chat. Certains diraient « oh trop mignon » mais toi tu sais bien que t'es pas mignonne : t'es qu'un vulgaire chat de gouttière. Noire, rachitique, couverte de blessures, les yeux globuleux, les oreilles trop longues. Ç'aurait pu être pire, mais ç'aurait clairement pu être mieux.
4. Tu te ronges encore les ongles mais tu essaies de t'en empêcher en les badigeonnant de vernis. C'est pas super efficace, tu finis toujours par l'écailler trop vite.
5. Dans le même genre, tu es plutôt myope et ça fait peut-être dix ans que tu te traînes la même paire de lunettes que tu ne portes même pas car tu te trouves vilaine avec ça sur le pif.
6. Comme tes frères, tu as un sommeil agité. L'un ronfle, l'autre parle, et toi tu ne t'arrêtes pas de gigoter. Tu prends toute la place, tu tires la couette pour toi et tu grinces des dents. Dormir avec toi est toujours un plaisir.
7. Tu tires la langue quand tu es concentrée. Tu ne t'en rends jamais compte et ça t'agace qu'on te le fasse remarquer.
8. T'adores manger. Et tu adores qu'on cuisine pour toi. Surtout quand ce sont tes frères qui s'y collent. C'est peut-être une des seules choses que tu acceptes encore de partager avec eux.
9. Ai-je déjà mentionné que tu as été foudroyée petite ? Des séquelles t'en as, à commencer par le point d'impact sur ta poitrine et le point de sortie sous ton pied gauche. Deux tâches noires, des perforations dans ton corps si léger. Inutile de mentionner ton arrêt cardiaque ni les brûlures thermiques qui courent sur ton ventre puis le long de ta jambe comme les nervures d'une feuille de chêne, alors que ton audition a pris un sacré coup ce jour là. Tu ne sais toujours pas si ta vue s'est rétablie, si les couleurs que tu vois sont les bonnes. Et avec la quantité de LSD que tu consommes, tu sauras jamais je crois.
10. Mais, si je dois aussi lister les autres restes de tes autres
accidents, il faudrait que je parle des méduses qui ont lacéré ton dos si pâle, des lésions que tu as aux poumons à cause de ta quasi-noyade, de toutes les fois où tu t'es brisé un membre (ou plusieurs), ou encore de tes côtes fêlées et tes articulations qui ne fonctionnent plus qu'à moitié.
11. Tu ne fréquentes plus de cercles de jeu mais tu es incapable de refuser une partie de cartes s'il y a quelconque mise. Tu tentes de compenser avec des tickets à gratter sur lesquels tu gagnes toujours au moins cinq balles.
12. De même, tu consommes moins d'anxiolytiques depuis que tu es rentrée en Irlande. T'as un peu plus de mal à en trouver, et c'est franchement pas plus mal.