Félins des rues, fait l'un comme l'autre // Jasper

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Félins des rues, fait l'un comme l'autre
Jasper & Zoya



La pluie et la ville. Un mélange infâme qu'il est difficile de supporter. Mais c'est encore plus compliqué quand on ne trouve pas ce que l'on cherche. La pluie. Le bruit qu'elle fait en s'écrasant sur vous devient presque obsolète. Obsolète à partir du moment où chaque fibre vestimentaire que l'on porte est entièrement trempées. C'est comme si notre corps décidait subitement de ne plus écouter, de ne plus sentir la morsure du froid et de l'humidité. Il n'est alors plus que question que du bruit de mes pas, qui frappe les flaques d'eaux de plus en plus nombreuses et des voitures qui passent trop vite et qui terminent de nous glacer jusqu'aux os. Sous ma capuche et mes mèches de cheveux trempées et collées à mon front, mes yeux regardent sans signe d'éveillement ce sinistre tableau gris. D'ordinaire, pour échapper au froid mordant, j’aurais pris forme féline. Mais en pleine ville, ce n'est simplement pas possible. Avoir comme animal totem un prédateur de plus de deux cents kilos n'est pas toujours un cadeau du ciel.
Il m’aurait été utile pour une seconde chose. Dans mes songes, déconnectée de mes instincts, j'ai laissée mon corps me traîner dans un coin de la ville qui me semble de plus en plus malfamée. Du coin de l’œil, je vois des âmes en peine qui se traînent elles aussi. Je ne m'attarde pas à essayer de comprendre ce qu'elles font là et ce qu'elles pourraient me faire. J'ai en moi une certaine confiance fataliste, un petit quelque chose qui me fait croire que je ne risque jamais vraiment rien. Qu'en cas de dangereux problème, j'ai une alliée de choix pour me défendre. Erreurs évidemment. Car la logique voudrait que je reste discrète et que j'évite instinctivement les situations à risques. Mais... je n'y parviens pas. J'ai comme toujours ce sentiment avec moi, que j'ai le droit d'aller partout et quand je veux. Que l'idée du danger ne doit pas m’empêcher de vivre ce que j'ai à vivre. Que je n'ai pas à éviter certains endroits par peurs.
De l'ego pur.

Mais là, j'ai vraiment froid. Je le sais car tous les muscles de mon corps tremblent au moindre coup de vent et que le claquement de mes dents devient de plus en plus dur à ignorer. L'inconfort que je ressens fait bouillir le sang dans mes veines. C'est énervent de ne pas se sentir bien et je sens clairement les effets de l'impatience effilocher les frontières de mon moral.

Par hasard, je finis par m’arrêter devant un porche. Sale et sinistre. Mais la nuit est tombée depuis longtemps et mes jambes sont fatiguées d'avoir trop marché. L'idée de somnoler ici, trempée et le ventre vide finit de me tordre le cœur. Mais... j'en ai vu d'autres. Beaucoup d'autres. Demain serra meilleure, c'est comme ça.

Assise sur le béton froid, je fouine dans mon sac pour me trouver un ou deux biscuits survivants. Rien de consistant, mais suffisant pour donner à mon estomac quelque chose à mâchouiller. J’abandonne l'idée de la couverture chaude, elle est comme tout le reste. Trempée. Alors j'enroule mes bras autour de mes genoux et pose mon menton sur ceux-ci. Pendant les longues minutes que je prends à savourer mon maigre festin, j'observe ce qui m'entour d'un œil neutre. Comme si je n'étais pas vraiment là et que les loubards qui traînent ici ne me concernaient pas. Presque blasée. Mais très vite, mes paupières baissent les rideaux. Morphée. Un corps fatigué ne peut rien contre elle. Et ceux même en plein cœur de l’enfer.
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Félins des rues, fait l'un comme l'autre
Jasper & Zoya



Tu marches à pas rapides dans les rues de Dragon Alley. Pour une fois, tu sais exactement où aller, ça fait bien des jours que t’as observé le manège du camion faisant des allers-retours. Avec Heather, vous étiez devenus maîtres dans l’art de les remarquer, de les chopper. Savoir où vous pourriez passer la nuit. C’est pas pour ça que vous dormiez pas dehors la plupart du temps, mais au moins, parfois, vous aviez de quoi vous mettre à l’abri avant que les flics n’interviennent. Elle est plus là pour t’aider alors ça t’arrive moins fréquemment, t’as l’esprit bien trop embrumé, bien trop paniqué pour vouloir te battre seulement pour toi. Tu le fais parce que tu veux la retrouver, et que ta mort n’aiderait certainement en rien, mais si ça n’avait été que de toi, sans doute que t’aurais pris le temps de te laisser crever sur un trottoir, abattu par la pluie froide qui tombait en trombes. A une époque, t’adorais la pluie. La voir tomber, s’écraser sur une fenêtre alors que toi t’étais bien protégé. Même la sentir sur ta peau te donnait comme un coup de fouet. C’était bien avant qu’elle ne devienne ton ennemie. Bien avant que tu sois obligé de la laisser s’infiltrer sous tes vêtements pour en extraire le peu de chaleur qu’il te restait. Des nuits comme ça, tu donnerais presque tout pour retrouver le confort d’un appartement, avant de te rappeler ce que ça te coûterait de réaliser ton souhait.

T’es pas loin de l’endroit que tu cherches. Si ton sens de l’orientation te fait pas totalement défaut, tu devrais te retrouver devant la bonne porte d’ici deux minutes. Bien sûr, c’est jamais là que le fun commence, mais c’est déjà un début. T’es crevé, t’as marché toute la journée dans l’espoir que quelqu’un, encore, ait entendu parler de Heather. Mais tu commences à perdre espoir, tu le sais. L’idée même qu’elle soit déjà morte te semble insupportable, mais celle de savoir que personne n’en a rien à foutre parce qu’elle n’est rien d’autre qu’une sdf l’est encore plus. ça n’intéresse personne de savoir que ceux que l’on ne veut pas voir disparaissent. Parfois, t’as même l’impression que ça les soulage. Un de moins pour gâcher le beau panorama d’Irlande. Parce que la vérité, c’est que vous n’êtes rien d’autres que des rejets, de ceux qu’on essaie de faire partir, peu importe où ils sont. Alors une sans-abri qui disparaît, c’est pas le plus dramatique, pas vrai?

T’es perdu dans tes pensées, ton chat qui grogne, presque en écho à ton ventre qui n’a rien eu pour le remplir depuis deux jours. Tu vas droit au but, et pourtant, à quelques portes de ton objectif, tu t’arrêtes. Parce que toi t’as plus de filtres devant les yeux, t’as arrêté de les ignorer, les sans-abris, quand t’en es devenu un. T’hésites, en voyant cette ombre recroquevillée sur elle-même. Parce qu’en fin de compte, t’as bien compris que c’était du chacun pour soi si tu voulais survivre. Tu vas même jusqu’à continuer ta route un peu. Mais tu fais machine arrière. Tu le sens le froid sur ta peau, qui engourdit tous tes muscles, la pluie qui tombe et qui finira par te rendre malade, tu ressens les douleurs dans le corps à force de dormir contre des murs froids, jamais dans de bonnes positions. ça et la faim, tout ce qui fait que tu es celui que tu es maintenant. Alors tu serres les dents mais tu vas t’asseoir à côté d’elle, assez brusquement pour la sortir de son assoupissement. “ Comment t’as fini dans la rue? “ Tu poses ton sac à côté de toi, sur ce porche qui mériterait bien un coup de propre - mais pour être honnête, toi et la demoiselle à qui t’as décidé de tailler le bout de gras aussi. T’aurais pu démarrer la conversation autrement. T’aurais pu directement lui dire de te suivre, mais déjà t’es pas sûr qu’elle l’aurait fait si elle a trois neurones de connectés dans le crâne, et puis t’as déjà donné dans la confiance aveugle, tu tendras plus la main à quelqu’un pour te retrouver enfermé la minute d’après. Il faut que tu sois sûr de toi, même si c’est que pour un squatt pas très confortable.

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