But I'm only human + Anthéa

Le silence règne dans la demeure Ò Murchù alors que tu te retrouves seul face au miroir de ta salle de bains personnelle. Ça fait beaucoup trop de temps que t’as pas franchi le pas de cette porte, t’aurais cru que ton père en aurait fait autre chose, l’utilité primant sur le reste, pour rendre cette pièce utilisable de nouveau, mais tu l’as retrouvée en l’état. Non pas que tu comptes y rester très longtemps cela dit. Pourtant, il a bien fallu que tu t’occupes de préparer la veillée funéraire. Phoebe était beaucoup trop obsédée par la vengeance pour être d’une quelconque utilité. T’évites de penser à ce qu’elle ferait lorsque la vérité lui exploserait en plein visage. Tuer un frère pour venger la mort d’un autre semble trop peu effectif. Mais quelque part, malgré les espoirs que tu tentes de mettre dans tes actions, tu sais qu’il est trop tard pour sauver ta famille. Tu répares juste les morceaux que t’arrives à chopper sur le sol, et encore ça semble jamais tenir bien longtemps. Tu soupires, te passe un peu d’eau sur le visage. Ces dernières semaines, t’as beaucoup trop pensé à ce qu’il se passerait en ce jour. Comment est-ce que tu fais pour même te pointer à l’enterrement, même ça ça t’échappe. Tu devrais être le premier à le fuir, c’en serait presque de l’irrespect si pour toi, c’était pas une nécessité. Peu importe ce qu’il s’est passé, peu importe la relation que vous avez entretenue. Ça avait jamais été rose entre toi et Nathan, tu le nieras pas, même pas aujourd’hui où tout le monde est sensé dire du bien d’un frère qui était loin d’être un ange. Mais quand l’as-tu été, toi ? Alors ouais vous vous preniez le bec pour rien, vous passiez votre temps à vous battre, mais tu lui aurais jamais fait de mal consciemment. Pourtant, t’as fait bien pire que ça. La scène passe en boucle dans ta tête et t’es pas encore sûr, même après trois ans, de supporter la pression. De regarder ces gens qui vont passer devant toi pour te présenter leurs condoléances comme s’ils s’en souciaient et ne rien dire, ne pas péter un plomb en leur disant d’aller se faire foutre. Parce que la plupart d’entre eux, ils ne le connaissaient pas, Nathan. Ils en ont entendu parler, ils l’ont aperçu lors des réceptions tenues par la famille où lorsque l’on était invités quelque part, ce mec discret qui se collait contre un mur en se contentant de faire la gueule. De son vivant, on se demandait comment il n’avait pas pu avoir le charisme de son frère et de ses sœurs, ni l’attitude d’ailleurs. C’était sûrement d’ailleurs cette jalousie qui vous avait séparés dès le départ alors que t’aurais tout fait pour lui. Lui aussi, en vérité. Mais vous aviez arrêté de vous le montrer bien avant l’incident. Et ceux qui l’avaient critiqué se feront aujourd’hui une joie de te montrer un visage compatissant en te vantant ses mérites. Le joyau de la famille qu’ils diraient, tu les vois d’ici, les connards. Et ceux qui ne seront là que pour se nourrir du malheur. Tu l’avais déjà vécu bien trop de fois, les enterrements, théâtre du malheur des Ò Murchù comme la punition pour être trop ce que les autres ne sont pas. Riches, puissants, prometteurs. Mais presque tous morts.

Tu finis par te reprendre, décide de descendre les escaliers. Tu sais que t’en as plus pour longtemps. T’attends pas à ce qu’on vienne pour toi avant quelques jours, mais tu te fais pas d’illusions, quelques jours, c’est tout ce que t’as. Après ça t’as aucune idée de ce qui se passera. Pour une fois, c’est pas à toi d’en décider. Pour une fois, tu te laisseras porter sans prendre aucune pression sur tes épaules. T’iras jusqu’à ta fin sans rien faire pour en sortir, parce que t’es crevé. T’as du mal à rester droit, tes traits sont tirés, le manque de sommeil n’aidant pas, et tu marches plus lentement que d’ordinaire. Tu sais même plus comment faire pour sourire proprement, t’as juste envie de t’enfermer dans le noir et oublier que le temps suit son cours. Juste une pause dans ta vie. T’envierais presque les djinns pour cette particularité de leur espèce. Ne pas avoir à vivre cette humanité qui te bouffe. T’aurais certes pu partir, quitter le monde terrestre et errer les océans, pour finir par te poser sur une île déserte quelque part. Mais t’as pas les couilles. Si tu dois vivre, il faut que ce soit à Bray. Pas faute d’avoir essayé d’en partir. Tu cherches Phoebe du regard mais tu ne la vois nulle part. Tu sais qu’elle finira par revenir, de toute manière aujourd’hui elle n’a pas le choix. Il n’y a personne d’autre dans la maison, Anthéa et toi ayant convenus que vous vous rejoindriez au cimetière directement pour que tu aies le temps de prendre toutes les dispositions nécessaires. Tu passes devant la chambre de Nathan. Tu sais pas combien de temps tu passes à observer le lit éternellement fait, les tableaux accrochés au mur, les photos des deux jumeaux en train de rire sous un soleil de plomb. Tu te souviens de ces vacances. Vous avez une maison en Italie où vous passiez beaucoup trop de temps, toi et Niamh sur le yacht, Phoebe et Nathan allez savoir où. Tu souris. Tu serais resté beaucoup plus longtemps si ton téléphone n’avait pas sonné.    « Je suis en route. Oui, je … Je sais que je dois y être en avance, t’y seras dans combien de temps ? … Okay. Anthéa est déjà sur place, t’en fais pas. » Tu raccroches d’avec ton père pour voir si tout est en place une dernière fois puis sors précipitamment du manoir.

Tu mets pas si longtemps à arriver au cimetière. Anthéa t’y attends sur le parking, regardant de tous les côtés. Tu sais que tu dois être là pour accueillir ceux qui daigneront venir. Autrement dit que les vautours sont nombreux, surtout à Bray. Mais tu la vois ton occasion. Personne en vue pour le moment. C’est pas le bon timing, c’est ce que tu te dis alors que tu t’avances vers elle, l’embrassant sur la joue.  « Tu es arrivée il y a longtemps ? Tu as vu quelqu’un ?» C’est pas le moment pour les révélations. Mais t’en dors plus. Tu sais que ce serait injuste de te faire embarquer devant ses yeux sans lui avoir donné une longueur d’avance.  « Théa, faut qu’on parle. Rapidement. » Tu sais qu’elle le verra à ton visage, de toute façon, qu’il y a quelque chose qui cloche. A mettre peut-être sur le compte de la mort « récente » de ton frère, peut être sur tes cauchemars … T’es même pas sûr de vouloir tout déballer maintenant. Mais c’est pas comme si t’avais réellement le choix, pas vrai ?

☾ anesidora

T’as les yeux qui passent frénétiquement d’une voiture à une autre sur le parking du cimetière, sans pouvoir t’en empêcher. T’en viens à te demander quand celle de ton père va arriver, comme une sentence s’abattant sur toi. Tu ne l’as pas vu depuis des semaines, et la dernière fois, la discussion était loin d’être des plus chaleureuses. ça n’avait rien d’étonnant, il fallait bien l’admettre, une décision prise sous le coup de la culpabilité et il pouvait tout aussi bien être la cible des retombées que toi. Mais ce n’était pas ce que tu voulais, parce que toi tu l’avais fait pour toi, sans vraiment te préoccuper de son rôle dans l’histoire. L’homme qui pensait trop n’avait pas réfléchi un brin, ce jour-là. Et bientôt, tu allais devoir le payer. Le pire, sans doute, était de ne pas savoir quand. De te poser questions sur questions, de regarder autour de toi comme si tu avais quelque chose à cacher à chaque seconde. Et c’est le cas. Si bon acteur pendant trois ans devenu piètre humain, c’est la définition même de ta personne. Tu souffles calmement; comme si reprendre ta respiration allait t’aider à te sentir mieux. Mais si ces conneries pouvaient marcher avec les autres, pourquoi pas avec toi, après tout? Si ton esprit sait parfaitement pourquoi tu te mets sur la ligne de mire, ton corps entier ne l’a pas encore accepté, comme un instinct de survie brusquement réveillé, qui te crierais de revenir en arrière, de supprimer les preuves pouvant t’inculper tant que tu en as la possibilité. Mais tu ne le feras pas. Pour Nathan, pour la mort qui l’a assaillie bien trop tôt, pour ce que tu as perdu ce jour là, il y a trois ans. Pour ton frère, pour ta famille, pour Hayley, parce qu’on en revient toujours à Hayley malgré tout ce que t’as voulu annihiler. Aucun des deux ne méritaient ce qu’ils ont reçu. T’as eu ta chance de venger la première jusqu’à te retrouver bien trop souvent en face de son meurtrier mais tu n’en as jamais rien fait. T’aurais pu éviter la mort du deuxième si t’avais pas pris la mauvaise décision. On dit que dans une vie, il n’y a souvent que quelques choix qui importent. Deux ou trois chemins que l’on prend et qui définissent tout ce que l’on sera. Sans nul doute que c’est le chemin qui descend aux Enfers que t’as emprunté ce jour-là, sans pouvoir réellement faire marche arrière. Alors t’essaies, on pourrait presque te donner une médaille pour ça, tiens. “ T’es toujours un connard mais merci d’avoir tenté le coup. Par contre ton frère est toujours mort. “ Alors tu te demandes réellement, parfois, ce que ça changera pour le monde, d’enfin attraper le tueur de Nathan. Sans doute rien. Les Ò Murchù, bons à se tuer entre eux, parce que personne d’autre ne leur veut autant de mal qu’eux-mêmes. Si tu le fais, c’est pour toi. Ni pour ta femme, qui deviendra bien trop rapidement une paria jusqu’à ce qu’elle se démerde pour effacer ton image du regard des gens posé sur elle. Ni pour ton futur enfant, qui ne connaîtra son père qu’à travers les barreaux d’une prison. Non, c’est définitivement pour ta propre culpabilité, pour éviter de faire disparaître cet instinct de survie qui te maintient, pour éviter de te retrouver pendu dans ta baraque qui vaut des millions.

T’as envie de vomir depuis le début de la matinée, rien qu’en sachant quel genre de journées celle-ci allait être. L’hypocrisie de devoir parler de la tragédie. Ce moment où tu devras prendre la parole face à la foule. T’as prévu de parler de ton frère. T’as prévu de dire à quel point il était fantastique, peu importe quel petit enfoiré ça pouvait bien être. T’as prévu de pleurer quand tu raconteras à quel point il était le ciment de la famille. Mais c’est pas le cas. ça n’a jamais été le cas. Ce qui tient ta putain de famille c’est toi, ça a toujours été toi, toi qui rame depuis des années pour que tous soient heureux, que tous se parlent, toi qui insistait pour que ton père laisse sortir Hécate, sans pour autant faire le nécessaire pour la voir marcher en pleine rue, toi qui protégeait Phoebe et même Nathan contre la rage paternelle, autant que tu le pouvais. Toi qui a couvert Niamh le jour de son mariage. Toi qui a tes torts mais qui a tellement voulu maintenir les apparences que tu ne sais plus comment t’arrêter. Tu soupires lorsque tu entends les paroles d’Anthéa.. “ Je m’y attendais. Tu sais quand Phoebe et Hécate doivent arriver?  “ Tu t’en inquiètes pour des raisons totalement différentes. Phoebe parce que s’il y a quelqu’un qui aura besoin de soutien aujourd’hui, c’est bien elle. Tu seras certainement pas la bonne personne pour le lui offrir, mais il faut que quelqu’un le fasse. Tu peux pas imaginer, pas réellement, perdre Niamh, l’état dans lequel tu serais te pousserait sans doute à t’isoler dans des océans inconnus pour ne plus en sortir. Ne pas céder à la mort mais renoncer  à la vie, c’est ce que tu deviendrais sans hésitation. Et Hécate … Hécate tu ne veux pas qu’elle se mêle de ce que tu peux dire ou non. En tant qu’avocate, elle te fait la morale depuis des semaines sur ce qu’il risque de se passer et comment tu te dois de réagir. Pas maintenant.

Parce qu’à l’heure actuelle, t’as juste besoin d’être honnête. Pour la première fois, tu te décides à ne plus rien cacher à ta femme, tout simplement parce qu’elle va être en première ligne quand tout te tombera sur la gueule. Tu regardes autour de toi, inquiet. Tu t’es peut-être dénoncé par un chemin détourné, tu ne souhaites cependant pas que quiconque puisse écrire tes aveux. “ Une bonne nouvelle lors de l’enterrement de mon frère ? T’en as vu beaucoup des funérailles dans la bonne humeur toi? Viens par là, on sait jamais. “ Tu l’emmènes sur le côté de l’office. Là, tu ne vois personne. Certains de ceux dont Anthéa parlait précédemment se trouvent à côté d’un trou, sans doute fait par le fils Egerton. Super, il ne manquait plus que lui dans le coin, la meilleure part de ta journée. Cependant, ce n’est pas ça que tu regardes et tu te rends bien vite à l’évidence que personne n’est aux aguets. Alors tu la fixes, tu la regardes dans les yeux, et c’est sans doute l’un des moments les plus durs de toute ta vie. Parce que t’es pas chamboulé, t’es pas en crise comme quand t’as avoué la vérité à Josh et Hécate. Non. T’es en souffrance mais t’as toute ta tête, tu serais presque un peu trop détaché, même. “ Je savais que Nathan était mort. C’est moi qui ai appelé les flics pour leur donner l’emplacement du corps.  “ Bien sûr, un appel anonyme, mais c’était tout comme.Tu continues pas, pas pour le moment. Parce qu’il faut qu’elle réagisse. ça fait des semaines que tu fais comme si t’avais appris la nouvelle, comme si tu pensais que Nathan était parti de Bray. Et d’un coup, tu lui avoues que non seulement tu connaissais la vérité mais qu’en plus tu n’as décidé de prévenir les autorités que maintenant. Faut avouer que ça soulève des questions, et pas des bonnes.

☾ anesidora