“Bonjour, y’a quelqu’un?" Ma voix était timide, et personne ne répondit sur le coup. C’était la première fois que j’entrai dans la salle des archives. Je n’avais jamais osé y mettre un pied. Déjà, parce que j’étais bien incapable d’y retrouver un dossier, aucun n’étant en braille ou presque. Ensuite, parce que cette salle semblait effrayante de l’extérieur. Un genre de sanctuaire intouchable. Et puis, on m’avait dit que celui qui s’occupait des archives des adoptions n’était pas facile. « Il est beau comme un cœur, mais on dirait qu’il a une armure impénétrable », m’avait dit ma collègue de l’accueil. Beau comme un cœur, je n’avais aucun moyen d’en avoir la preuve. Ma collègue avait peut-être des goûts tout à fait différents des miens, mais sur ce coup, je devais lui accorder toute ma confiance. Pour l’armure, disons que je savais à quoi m’attendre, j’avais grandi avec Zach et Kyle. Mais j’avais toujours soigneusement évité les archives des adoptions, envoyant parfois ma collègue à l’aventure quand j’avais besoin d’un document. Courage, fuyons. Sauf qu’aujourd’hui, je n’avais pas bien le choix.
Tout ça pour Joshua. Trop gentille, Emily, trop gentille. Comme toujours. Josh était un ami d’enfance. Nous étions les deux gamins perdus au milieu de cette foule d’adultes chics. Coincés dans les réunions sociales auxquelles assistaient nos parents respectifs. Le genre de réunions où toute bonne famille se doit d’être, montrer les dents, faire quelques blagues politiquement correctes, montrer quel point ils réussissent dans la vie. Moi, j’étais mise très vite à l’écart. Mes parents ne voulaient pas montrer leur fille aveugle en proie à des cauchemars éveillés qui lui faisaient parfois piquer une crise de terreur. Josh, il était là aussi, alors on avait sympathisé, camarades d’infortune. Au fil du temps, et des réunions, on s’était liés.
Alors quand il était venu me demander un service, je n’avais pas vraiment pu lui dire non. Il voulait un acte de naissance. L’acte de naissance de Zach, en fait. Parce que Zachary et Joshua était frères. Ca faisait des mois que je le savais, bien avant que Josh ne passe la porte de la mairie. J’avais eu une vision, j’avais tout appris. Mais je n’en avais jamais parlé, ni à Zach, ni à Josh. C’était trop gros, et j’avais trop peur. Peur d’apprendre à Joshua que son frère était celui avec qui j’avais grandi. Peur d’apprendre à Zach qu’il avait une famille. Peur de ce que cette nouvelle pourrait avoir comme impact sur ma relation avec lui, en fait. Je venais à peine de le retrouver, j’avais l’impression que l’on partait sur de meilleures bases. Je refusais de le perdre parce que mes visions m’apprenaient des choses que j’étais censée ignorer. Mais quand Joshua était venu me voir, je n’avais pas pu lui mentir plus longtemps. Alors je lui avais dit que je l’aiderais, tout en sachant qui était la personne qu’il recherchait.
Et me voilà, à chercher l’acte de naissance de Zach aux archives. J’enfreignais peut-être les règles en demandant un dossier, mais pour un ami, j’y étais prête. Par contre, pas question d’en informer une collègue. Donc je devais affronter le sanctuaire moi-même.
J’entendis des pas arriver vers moi. Woody jappa joyeusement, toujours ravi de voir de nouvelles têtes. Ce chien était l’enthousiasme même. Débordant, parfois. Ca aidait pas mal mes rapports avec les gens, je devais avouer. Mais là, son jappement résonna dans la salle et je regrettai presque instantanément son amour des nouvelles têtes. « Bonjour, je travaille au service juridique. J’aurais besoin d’un acte de naissance d’un enfant passé dans le système social… » J’espérais que je m’adressais à la bonne personne. Et que le joli cœur à l’armure accepterait ma demande sans broncher. Comment s’appelait-il, déjà ? Brady, je crois. Il fallait que ce soir Brady, sinon j’allais me ridiculiser pour la suite.
Peu de personnes comprenaient le fonctionnement des archives, leurs importances et le respect des conditions de confinement des documents. En général, Brady était un homme plutôt sympathique mais quand il s’agissait de son travail, il pouvait être un peu froid. Après tout son boulot, c’était toute sa vie et si quelqu’un manquait de respect à son travail, il le prenait directement. C’était pour ça qu’il avait installé une affiche sur la porte pour renvoyer les demandes directement à son bureau : afin d’éviter qu’on ne rentre dans les archives comme s’il s’agissait d’une pièce comme une autre.
Aussi quand il arriva dans la salle des archives et qu’il vit une femme l’y attendre avec un chien, il disjoncta un peu intérieurement. On se foutait vraiment de sa tronche… Il arriva derrière elle et le chien le remarqua immédiatement se mettant à japper joyeusement. En temps normal Brady aurait complétement fondu devant une démonstration aussi affective et se serait mis à caresser le toutou de bon cœur mais là, on était dans les archives et ce chien représentait un danger pour les documents. Il imaginait les poils qui s’éparpillaient dans l’air et qui allait se coller un peu partout, sans parler de la bave du chien ou même de l’air qu’il respirait et qui allait changer ne serait qu’un peu les constantes de la pièce si précieusement régulée.
La femme commença à expliquer ce qu’elle faisait là et ce n’est qu’en se retrouvant devant elle que Brady se rendit compte qu’elle était aveugle. Toute sa colère retomba comme un soufflet. Pas étonnant qu’elle n’ait pas vu son affiche… Quant au chien, et bien ça non plus ça n’était plus si surprenant. Encore décontenancé par son changement d’émotion soudain, c’est avec une certaine douceur que Brady s’exprima.
-Bonjour, je suis Brady le responsable de ces archives. Normalement, on ne rentre pas dans les archives comme ça. Est-ce que je peux vous prendre le bras pour vous conduire à mon bureau ou est-ce que votre compagnon à quatre pattes est capable de me suivre ?
En réalité, il se sentait un peu bête de s’être autant emporté. Heureusement pour lui, il n’avait pas laissé sa colère éclatait au grand jour mais quand même, lui savait de quels noms d’oiseaux, il avait traité cette femme et ce n’était pas beau à voir… Sur le chemin jusqu’à son bureau, il essaya de se montrer pédagogue en expliquant la procédure à suivre.
- On va étudier ensemble votre demande pour que je vois quels types d’archives, il vous faut exactement et si je ne peux pas vous fournir des documents complémentaires. En général, quand les gens m’expliquent leur demande je trouve toujours des archives supplémentaires à leur fournir auxquels ils n’avaient pas pensé. Ensuite, je vous apporterais les documents dont vous avez besoin.
Une fois arrivés au bureau de Brady qui se trouvait bien évidemment juste à côté des archives, il invita la jeune femme dont il ignorait encore le nom à s’installer sur un des fauteuils.
- Bien maintenant qu’on est là, est-ce que je peux vous offrir quelque chose à boire ? Thé, café … ? Est-ce que votre chien à besoin d’un peu d’eau fraiche ?
Après tout, c’était aussi ça l’avantage d’avoir un bureau, on pouvait s’occuper des gens un peu comme des invités quand on en avait envie sans pour autant que ce soit déplacé. De plus il aurait été hors de question d’apporter du café ou du thé dans la précieuse salle des archives de Brady. En tout cas, maintenant que sa colère était belle et bien passée, il attendait avec impatience de savoir ce que voulait la jeune femme. Chaque cas était unique et il était persuadé qu’il tomberait sur quelque chose de passionnant.
« Bonjour, je suis Brady le responsable de ces archives. Normalement, on ne rentre pas dans les archives comme ça. Est-ce que je peux vous prendre le bras pour vous conduire à mon bureau ou est-ce que votre compagnon à quatre pattes est capable de me suivre ? » Bien, donc maintenant je comprenais l’armure impénétrable. Je rougis légèrement. Brady avait un côté doux et rassurant, mais de l’autre il n’avait pas parlé avec beaucoup d’empathie. A priori, cela ne lui plaisait pas beaucoup que je sois entrée aux archives sans prévenir. « Désolée, je ne savais pas. Woody va vous suivre. »
L’intéressé confirma par un léger aboiement, presque silencieux cette fois-ci. Comme si lui aussi avait compris que nous étions entrées dans un lieu qui demandait du respect et du calme. Je suivis docilement le chien, qui lui-même suivait docilement Brady. En gardant bien mes bras le long du corps, et en espérant très fort ne pas faire tomber quelque chose sur la route. Heureusement pour moi, l’archiviste sembla se détendre un peu en chemin et m’expliqua la démarche. La procédure semblait relativement simple, et cela serait aidé par le fait que je savais à peu près exactement ce que je cherchais. Brady s’arrêta dans une autre pièce, qui devait probablement être son bureau, et je m’installai. Je fus un peu surprise de l’entendre me demander si je souhaitais quelque chose à boire, mais secouai la tête en signe de négation. Finalement, il n’était pas si bourru qu’il en avait eu l’air au premier abord. Pas si impénétrable que ça, l’armure, finalement. « Non merci, ça va. Je viens de prendre un café. Mais je pense que Woody ne serait pas contre un peu d’eau ! Pas vrai, mon vieux ? », demandai-je en ébouriffant légèrement le dessus de la tête de Woody en souriant. Relevant la tête vers ce que j’estimai être la hauteur de Brady, je me pincai les lèvres.
« Encore désolée pour être entrée comme ça…d’habitude j’envoie une collègue, et personne ne m’avait informé des règles. Et s’il y avait une affiche quelque part, de toute évidence, je ne l’ai pas vue », ajoutai-je avec un petit sourire. Ce n’était pas la meilleure entrée en matière possible, d’outrepasser les règles établies par quelqu’un dans son domaine. Dommage, faire une mauvaise impression sur Brady n’avait jamais été mon intention. De manière générale, je n’aimais pas donner une mauvaise impression aux gens. Un certain complexe de ne pas être acceptée, je suppose. Et puis, Brady était potentiellement quelqu’un que je voulais comme allié plutôt que comme ennemi. On avait toujours besoin de quelqu’un qui connaissait les archives, dans mon travail. Et cela pouvait même s’avérer utile sur le plan personnel, comme ma situation d’aujourd’hui.
Situation que je m’empressais de lui transmettre. « Je ne veux pas vous embêter longtemps. En fait, j’aurais besoin d’un acte de naissance. Il y a un Joshua Madden, né le 2 août 1992 à Bray, et son frère jumeau qui serait né un peu après lui. Le frère en question a probablement été place peu après. Vous pourriez me retrouver son dossier? » En réalité, j’aurais pu dire les choses plus simplement. J’aurais pu demander le dossier de Zachary Madden. Mais j’avais besoin de le voir, de le lire, d’en être sûre. Ma vision était assez claire maintenant, au fond. J’avais peu de doutes sur le fait que Zachary était le frère de Joshua. Mais je savais aussi que cette information allait probablement bouleverser la relation que j’avais avec les deux. Et j’avais besoin d’en être sûre à 100%, d’avoir un papier me le prouvant, avant d’accepter ces bouleversements. En espérant, un peu, au fond, que ma vision s’était trompée.
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Asking for a friend [Brady]
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