Never be enough - Tristan

Comme chaque soir, la scène m’accueille. Comme chaque soir, je ne vis que pour y monter et émerveiller mon public. Comme chaque soir, je sais que je vais faire salle comble. Pour une personne ou un millier, qu’importe. J’ai un public, cela me suffit. D’autant plus que je joue à Bray ce soir. Berceau de mon histoire. Je n’en serais que meilleur. Sans forcément en avoir besoin - je suis déjà le meilleur qui soit dans mon domaine. Personne n’est aussi passionné que moi. Personne n’a su à ce point mêler - avec brio, il faut le reconnaître - magie, hypnose, mentalisme et humour. Quelqu’un en a-t-il même eu l’idée avant moi ? Moi, Mortimer McQueen suis un précurseur. Je suis une personne qui devine ce qui va se passer. J’anticipe. Je ne subis pas - il vaut mieux quand on est mentaliste. Je déduis les choses. Je les devine. C’est pour ça que les gens me craignent. On apprécie monter sur scène, mais on apprécie moins entendre ses quatre vérités. Par contre entendre celles des autres… C’est pour ça qu’on aime mon spectacle. Parce que l’être humain est vicieux - et vicié. Parce qu’il se plaît à découvrir là où les autres ont pêché - tant que nos secrets le reste, tout va bien, pas vrai ? Je suis celui qui lève le rideau sur les secrets les mieux gardés. Je suis celui que tu admire tout en le craignant. Je suis roi dans mon domaine. Et personne n’est là pour m’égaler.
Mais pour briller, il faut s’entrainer. On n’obtient rien sans rien - c’est ce que ma mère avait l’habitude de dire. Une femme sage, ma mère. Sans elle, je n’en serais pas là. Bon, en même temps, sur trois enfants, y a eu deux échecs. J’adore Bonnie et Trévor, le problème n’est pas là. Mais entre Bonnie qui est partie faire on ne sait quoi à Paris et Trévor qui est sorti il y a peu de prison - bon, d’accord, c’est de ma faute et je m’en veux vraiment pour ça. Trévor, c’est un peu ma moitié. L’autre partie d’un aimant. On se repousse sans cesse tout en s’attirant. Indissociable. Je l’aime plus que tout. Je tiens à lui comme à ma propre vie. C’est Trevor. Mon frère quoi.
J’aurais aimé qu’il soit là. Qu’il m’assiste. Mais je me suis trop servi de lui. Je ne lui imposerait pas ça à nouveau. Plus jamais. Jamais. Mais au moins, lui, il était toujours là. Alors que la nouvelle assistante que j’ai embauché est une véritable incompétente. Comme si elle ne savait pas que j’avais besoin de m’entrainer. De répéter. Comment être parfait sinon ? Je soupire de façon bruyante. Bon, j’vais devoir trouver quelqu’un d’autre hein. Si ce n’est que je ne connais personne dans ce cirque. Bon, je n’ai plus qu’à faire de l’exploration. Heureusement, pas très loin, je finis par tomber sur quelqu’un. ‘Hey, toi ! Oui, toi.’ J’interpelle cet homme un peu comme je peux. J’ignore tout de lui. Qui il est. Ni ce qu’il fait là. Bon, on va essayer de bien présenter la chose. ‘Je suis Mortimer McQueen. Je suis censé me produire ce soir. J’aurais besoin d’aider pour répéter mon numéro. Tu pourrais me dépanner s’il te plait ? ‘ Ne pas dire ce que je fais pour attirer son attention. Histoire qu’il dise oui. Mais rare serait les personnes à dire nos dans ce genre de cas de toutes façons. Pas vrai ?

La musique s'arrête et Tristan se retrouve immobile sur la scène devant une salle vide. Son numéro n'est pas encore parfait mais il le sera d'ici demain soir, c'est le plus important. Quelques pas à modifier, un rythme à changer d'une demi-seconde, le plus gros du travail est fait, et c'est ça qui le rassure alors qu'il descend de l'estrade. Chaque artiste attend son tour, du moins ceux qui ont besoin de l'espace pour parfaire leur show, sagement, alors le français se décide à laisser la place à quelqu'un d'autre. Il n'en a plus besoin de toute manière. Si jamais, il se retrouvera à aller dans la salle de danse à l'autre bout de la ville, mais dans un endroit comme Bray, ce n'est pas non plus si loin. De retour dans sa loge, il prend le temps de prendre une douche. Il n'a pas de grands moyens, le cirque. Même trop peu, si on regarde bien. L'endroit est quelque peu insalubre mais il a de l'eau chaude alors c'est tout ce qui compte. Comme un membre permanent, la fée a droit à un peu plus que les intermittents de passage, et ça lui convient. Après tout, et vu le fric qu'il touche grâce à son spectacle, le patron a beaucoup trop intérêt à le garder pas loin.
Sans doute y passe-t-il un peu trop de temps, finissant tout de même par sortir du confort pour mettre quelques vêtements. Il serait temps qu'il rentre, mais l'envie lui manque. Après tout, il n'y a rien chez lui, rien de plus qu'un chat et la solitude qui finira sans doute par lui peser s'il ne la prend pas à petites doses. Mais d'un autre côté, le danseur n'a jamais su se lier aux autres artistes comme il aurait dû. Des collègues de travail, même pas, il travaille seul, toujours. Il n'a pas besoin d'être entouré pour vivre, mais paradoxalement, il a besoin du regard des autres pour exister. Ça a toujours été son problème, à Tristan. Ce besoin de reconnaissance, de notoriété. Mais dans sa branche, on peut dire que ça l'aide à avancer plus que de lui mettre une entrave supplémentaire.
Il finit par sortir, pourtant, de son endroit tout personnel, commençant à penser à retrouver sa voiture, son appartement et tout ce qui finira inévitablement par l'attendre au bout du chemin. Sans grande conviction toutefois. Il a le temps de tout, quand il ne fait rien, mais aucune idée d'où commencer pour avoir l'impression de respirer un peu plus.
C'est là qu'il l'entend, l'appel. Il se retourne alors même qu'il songe à ne pas y répondre. Juste par fierté, juste parce qu'il mérite un peu plus de considération que si on hélait un taxi. Mais l'ennui le fait patienter, l'ennui le force à regarder cet homme qui s'avance vers lui et qui semble avoir une idée bien précise en tête. Il hausse un sourcil, tout de même, le danseur, comme s'il doutait encore qu'il s'adressât à sa personne.
Mais il l'écouta, pour enfin finir par hocher la tête. Il n'avait rien de mieux à faire de toute façon, et lui même ne pouvait pas nier l'importance de l'entraînement, de la répétition, jusqu'à ce que tout soit parfaitement réglé, jusqu'à ce que rien ne puisse venir entacher les prévisions. « Pas de problème. » De toute façon, il le sait qu'il a le temps, qu'il peut bien donner quelques minutes ou plus que ça à un parfait inconnu. « C'est quoi comme numéro ? » Parce que même s'il y a peu de chances qu'il change d'avis, valait mieux savoir dans quoi on mettait les pieds. Et la prudence était sans doute ce qui l'avait fait rester en vie jusque là. Si l'enjeu n'était pas aussi fort, il ne fallait tout de même pas acquiescer à tout.

T’aurais quand même pu faire un petit effort Mortimer. C’est ce que tu te dis après coup. C’est vrai que ta façon de l’alpaguer n’a pas été la plus douce qui soit. T’es peut-être encore sous le coup de la colère passagère que tu as ressenti envers ton incapable d’assistante. Ca ne t’aurait pas coûter beaucoup plus de t’approcher et de toucher son épaule. Bon, d’accord, tu n’apprécies pas le contact humain. Ou plutôt, tu l’évites hors du cadre de tes numéros, quels qu'ils soient. Parce que vu ce que tu peux apprendre sur quelqu’un en initiant un contact avec lui, il peut en apprendre autant sur toi. Fort heureusement, il n’a pas l’air d’être quelqu’un de susceptible. Tant mieux pour toi. Tu aurais bien été malin sinon. Carrément ridicule même. Bon, d’accord, t’avais pas vraiment besoin de cet entraînement. Mais quand même…
Fort heureusement, cet inconnu est d’accord. A présent, c’est à toi de reprendre les choses dans l’ordre pour que tout se passe bien. ‘Merci ! Tu me sauves un peu la vie sur ce coup-là. ‘ Oh, d’ailleurs, il ne s’était pas présenté. Tu y remédiera pendant le numéro. Enfin, la répétition. Là, ce n’était pas la priorité. Tu l’invites à te suivre d’un geste de la main. Une fois sur place, ce serait sans doute plus simple. ‘Disons, pour faire simple, que je fais du mentalisme. Avec un peu de magie. Mais ne t’en fais pas, je ne te demanderai rien de trop personnel’. Une jolie tournure pour indiquer de façon subtile à son cerveau que, de toute façon, il n’avait plus le choix. Il s’était engagé. Un gentilhomme ne revient pas sur sa parole, n’est-ce pas ?
Une fois revenue sur le lieu de tes répétitions, tu lui proposes un fauteuil, pour s'asseoir. C’est la moindre des choses, non ? Avant de prendre place, tu retires ta veste, tu fais sauter tes deux premiers boutons et tu remontes tes manches. C’est mieux d’être à l’aise, non ? ‘Si tu veux bien, je te propose un petit numéro qui ne demande pas grand chose de ta part, si ce n’est de l’honnêteté. Est-ce que cela te convient ?’ Tu évites toujours le terme de détection de mensonge. Les gens ont peur qu’on rentre dans leur intimité. Alors que la chose qui devrait le mettre le plus mal à l’aise est le contact que tu vas initier. Tu lui présentes tes mains, paume vers le ciel, pour le laisser venir de lui-même. ‘Pour l’exercice, j’ai besoin de te toucher. De toucher tes poignets. Si tu es d’accord, bien sûr.’ Tu attends qu’il le fasse de lui-même. Tu refuses de le pousser. De le forcer. Ce n’est pas dans tes principes. ‘D’abord, j’aimerais que tu me dises ton nom et ton âge. Sans mentir. J’ai besoin que tu sois absolument honnête. Ensuite, j’aimerais que tu me racontes une histoire. Une anecdote. Une aventure. Qu’importe. Vrai ou non. Mon but sera justement de déterminer si c’est la vérité ou si tu m’as menti. Est-ce que l’exercice te convient ?’. Le principe était d’avoir un premier référent avec son nom et son âge. Un référent neutre sur lequel se baser pour pouvoir réussir la suite de l’exercice.