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 « Can't kill us » KylexZach

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« Rêveries »
Y a Kyle, au milieu de la morphine. Quand je me la ferme, que la drogue prend le dessus et que le plafond commence à tourner un peu trop. Kyle qui parle trop froidement, qui m'irrite un peu les tympans. Si j'avais pu, j'aurais fait siffler ma langue entre mes dents mais là, à part baver, j'suis plus capable de grand chose. Alors je souffle, difficilement. Je m'arrache les poumons en tentant de faire un truc aussi simple que respirer pendant que lui, il dit des conneries qui me font encore plus mal que toute la douleur physique que je ressens.

J'aimerais lutter, un peu plus, un peu plus fort. Lutter pour lui prouver que j'ai raison. En fait non, j'aimerais avoir la force de me lever et lui casser la gueule jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il a tort, c'est plutôt ça. Mais j'peux pas bouger, je suis même pas sûr que les derniers mots que j'ai dits avaient du sens, je suis même plus sûr des dernières minutes qui sont passées. Tout ce dont je suis sûr c'est que Kyle, jamais je l'abandonnerai. Que c'est mon frère, que si je dois y laisser mes dents et y briser tous mes os, et bin je le ferai, encore et encore sans hésiter. Mais j'peux pas lui dire, j'peux plus trop parler. Y a tout qui se mélange dans ma tête et j'ai l'impression qu'il y a un type qui la prend et qui la secoue encore et encore. Un peu comme le truc qui tire les boules de loto, sauf que y a pas de numéro gagnant dans ma tête. Mais y a quand même des trucs qui sortent, des trucs qui sont pas trop liés les uns avec les autres. Un grand bordel. J'sais plus trop si j'ai mal, si j'suis triste ou si j'ai juste peur de perdre mon frère. Mais je pose des questions en me demandant si c'est moi qui viens de les poser. Comme par rapport au match, j'avais même oublié qu'il y avait eu un match.

La beauté de la morphine, c'est ça. Oublier qu'il y a un avant. Bon, j'oublie aussi un peu qu'il y a un maintenant et surtout, surtout qu'il y a un après. Je parle sans réfléchir, je bouge sans réfléchir. Pour moi, il n'y a que l'instant présent. Celui où j'en chie mais où, sans trop savoir pourquoi, je veux parler, agir plus que jamais. J'ai fait plus de gestes et dit plus de mots à Kyle que pendant cette année toute entière. Et si, il y a de grandes chances que j'oublie la plupart de ce qui vient de se produire, j'ai tendance à négliger un peu trop que lui, il n'est pas sous morphine. Et le pire, c'est que je m'en fous. Lorsque la petite part de conscience qu'il me reste arrive et me murmure de fermer ma gueule, moi j'lui dis que Kyle il a besoin de l'entendre et que c'est à elle de fermer sa gueule. S'ensuit un combat impitoyable entre moi, et moi. De longues secondes de blackout total avant que Kyle ne me ramène à moi, avec sa voix fatiguée et bizarre. Il me parle d'un bain de sang, et je ris, un peu bêtement. J'ai mal, putain. Vraiment.

Il se vante de leurs performances. J'arrive plus trop à savoir si on faisait un sport ou une baston générale mais comme un réflexe d'un autre moi, celui qui a encore une dignité et un espèce d'ego ou je ne sais quoi je sors. « Ouais, j'vais te croire tiens. » Je m'étouffe dans mes mots sans comprendre qu'ils m'appartiennent. Décidément, plus va, plus la morphine elle me fait des trucs bizarres. Mais c'est pas désagréable. Alors je continue, je me perds dans les méandres de mon crâne qui papote tout seul, de mon corps qui me rappelle à l'ordre sans que j'en ai quelque chose à foutre puis je m'arrête à nouveau sur lui. Il a vraiment pas l'air en forme, le blondinet. Une gueule de cadavre, comme qui dirait. Alors je me décide à faire quelque chose, ce serait un crime contre l'humanité de le laisser dans cet état, pas vrai ?

Mais y a sa main qui vient plaquer la mienne. Je grogne de douleur et je lui lance un regard vraiment très désapprobateur. Non mais il est con ou quoi lui ? Sa grimace est moche, et il devient encore plus blanc, alors je marmonne difficilement. « Mais tu branles quoi là. », ça n'a pas vraiment d'intérêt, parce qu'on joue à tout, sauf armes égales là. Y a ses doigts dans les miens qui m'empêchent de bouger et malgré toute la force que j'y mets, j'arrive pas à passer au dessus des forces qu'il lui reste. Je soupire, et il dit une énorme connerie, encore plus grosse que lui. Normalement, j'aurais pas trop réagi. C'est le genre de connerie qu'on répète à longueur de journée, Kyle et moi. « Je vais parfaitement bien. » Rien ne nous atteint nous, rien ne nous fait mal. On est plus forts que les coups et les mots, plus forts que tout. On ne nous fera ni plier, ni casser. Faudra nous voir mort, pour voir quelqu'un chialer. On est le genre de type qui lève le menton après s'être pris une raclée. Qui crache son sang au sol et qui en redemande, juste pour montrer qu'il sera le plus fort, le plus con, le plus dur et le plus grand. Enfin, surtout le plus con, en vérité. Mais aujourd'hui, la morphine elle met tout ça de côté. Elle laisse son ego, le mien, sa connerie et la mienne, bien au fond dans un coin et elle me fait éclater de rire.

Genre vraiment. Un éclat de rire comme j'ai du rarement rire dans ma vie. Parce que c'est hilarant qu'il ose me faire croire qu'il va bien alors qu'il est plus pale que le mur derrière lui. Franchement, je savais qu'il me prenait pour un con mais j'avais pas idée que c'était à ce point. Mais c'est tout ce que je fais, parce que j'ai plus de force, que je crache encore mes poumons et que les douleurs parviennent encore suffisamment à parcourir mes nerfs pour me clouer au lit, pour ne pas forcer sur sa main et plutôt glisser mes doigts dans les siens. J'ai une larme qui perle au bord de l’œil, une larme d'une joie débile pour une blague qui n'en était même pas une. Mais j'ai mon frère avec moi, alors j'm'en fous un peu, ça va. Je soupire une fois de plus et je lui dis, doucement. « Alors bouge pas, reste là. » Un murmure avec mes doigts dans les siens, qui montre que je me suis pas moqué, j'ai juste pas cru à ses mots, mais j'lui laisse pourtant la victoire. Parce que j'ai plus envie de me battre, plus trop la force non plus. Surtout parce qu'en fait, j'ai envie qu'il reste et que si j'insiste, que par miracle j'arrive à forcer suffisamment pour aller atteindre le bouton, il va partir, se barrer et me laisser. J'ai pas envie, alors je dis plus rien, juste ma main avec la sienne et ce mensonge qu'on connaît tous les deux – et qu'il a sans doute conscience que j'aurais oublié d'ici quelques heures, un truc du genre.

Puis me voilà perdu à nouveau, si je cligne des yeux, la pâleur de Kyle le rend transparent avec le mur derrière lui. Je me bats encore avec moi même, jusqu'à ce qu'il me sorte de ma tête, qu'il lâche ma main et que je me demande pourquoi sans oser lui demander. Alors je le regarde, lui et ses grands yeux tristes, bien trop triste. Je reste fixé sur lui, à voir l'océan qui fait des vagues dans ses yeux. Puis il parle, il ouvre encore la bouche et j'écoute, comme si ma vie en dépendait. Il détourne le regard, me fait perdre l'océan qui me fascinait et me concentre juste sur sa voix, qui prend le pas sur la drogue pendant quelques instants. De précieux instants.

Je respire lentement, et j'écoute, comme un enfant. Il parle de blessure, les mots résonnent dans mon corps sans qu'ils n'y fassent écho. Parce que je sais pas ce que c'est, que j'ai beau essayer, j'arrive pas à comprendre ce qu'il a pu vivre, même si j'aimerais. Si j'comprenais, j'pourrais l'aider, vraiment l'aider. Il compare son histoire à la mienne, que j'oublie d'avoir racontée, que je me souviens trop d'avoir vécue. Je scrute ses gestes, le voit hausser les épaules. J'entends les mots sans comprendre totalement la douleur qui va avec. Il parle de rêves, de magie. De parents qui viennent te chercher et te sortent de ton cauchemar. Et ça, ça je comprends, ça je me souviens, même si c'était y a longtemps, et que j'ai arrêté de chercher cette magie là. Alors je baisse les yeux, je regarde le bout du lit en face de moi. Kyle le sait, que j'ai pas de parent, mais on en parle jamais. Parce qu'on s'est toujours dit et répété qu'on était différent. Que notre différence ferait qu'on serait jamais frère, alors qu'au fond, on savait qu'on était juste trop pareils et que ça nous faisait peur. Peur de se dire qu'on avait trouvé quelqu'un qui parfois pouvait comprendre, avoir les mêmes sentiments.

Puis ses paupières se ferment dans un coin de mon œil, une seule petite seconde. Celle qui brise le cœur et qui dit que le souvenir il fait vraiment très mal, trop mal même. Mais je sais pas quoi faire, en vérité. Je sais pas quoi faire pour l'aider, pour lui faire un peu oublier. Alors j'attends, encore en silence, encore sans bouger. Mes yeux remontent lentement sur son visage qui vacille un peu, et puis j'écoute. Des gros mots pour une humaine qui valait pas mieux qu'un déchet. Qui valait clairement pas sa haine, et certainement pas son amour. J'aimerais lui dire que j'suis désolé. Que j'aimerais lui enlever ça de la tête comme dans les films, avec de la magie. Mais ça, j'peux pas le faire et il le sait. Sinon je l'aurais déjà fait, j'espère qu'il le sait.

Il me parle de biologie ou j'sais pas quoi. Il me parle d'un truc dont je me fous et qui en plus, ne m'intéresse pas. Parce que c'est des conneries ce qu'il dit. Alors j'ignore le moment où il parle de mon père qui arrive ou un truc du genre, et je reprends, comme je peux. « Si c'est une histoire de sang, j'crois que j'ai le tien dans les veines, Kyle. Alors ça marche pas non plus, c'que tu dis. », et puis j'ajoute. « Puis c'est con, en plus. C'est super con c'que tu dis. Enfin, le truc du mur j'sais pas mais qu'on est pas frère... mais mec, c'est tellement con que j'espère que j'hallucine c'que tu dis. » Je cherche à me relever, encore à gigoter. Brusquement, je saisis sa main et tire sur toutes les perfusions. J'en ai rien à foutre. « Kyle, t'es mon frère parce que j'ai choisi, pas parce qu'on m'a forcé. C'est encore mieux que l'sang. »

Et puis je m'écroule, je tombe en arrière alors qu'Andy rentre enfin et se pose entre nous. Andy, notre sauveur, notre vrai papa, celui qui fera tout pour nous, je le sais, alors je souris, comme un abruti. Il dit qu'il a négocié qu'on rentre à la maison et qu'une infirmière vienne tous les jours. Qu'il s'occupera de moi et qu'on peut y aller. Alors je lève le doigt, et arrache définitivement l'un des fils qui s'accrochait à mon coude. « Attends, 'vant qu'on y aille. Prends des médocs et des bandages pour Kyle, faut qu'tu l'soignes lui aussi. »

Je parle pas d'infirmière, pas de se faire soigner ici. Andy approuve et le monde s'affole pour rafistoler tout ce que j'ai un peu dérangé. Je me fais un peu engueuler je crois mais mon regard croise celui de Kyle, une dernière fois avant que mes paupières se ferment et j'me dis que ça ira. Parce que c'est mon frère, et que ça finira toujours par aller.


Je me réveille, lentement, douloureusement. J'ai une toux qui m'arrache la gorge et j'ai envie de hurler. J'ai l'impression qu'on m'a cogné sur la tête, d'avoir oublié plein de choses, d'être dans un brouillard depuis des années. Je mets quelques minutes, trop longues, trop dures, à réussir à ouvrir les yeux sur des murs peints, des murs avec des trucs accrochés partout. J'ai mal partout mais je tente quand même de me relever, un peu en vain, avant de sentir le dessus de ma main et le creux de mon coude me gratter. Je tourne les yeux pour voir un pansement plein de sang au niveau du coude et une perfusion sur ma main.

Tout ça n'était pas un rêve ? J'ai vraiment failli crever sur un terrain de sport au lycée ? Je reprends mes esprits avec une lenteur qui m'exaspère, cherche un verre d'eau sans en voir et décide donc de détourner le regard de l'autre côté de mon lit, l'autre côté de moi, par extension aussi. Y a Kyle sur ma chaise de bureau et je hausse un sourcil alors qu'il a les yeux fermés. Je tousse la bouche fermée, me retiens de faire du bruit. Tout est encore flou mais dans mon souvenir, il s'est passé plein de trucs pas très jolis. Et je suis presque sûr que c'est dans un lit, qu'il a besoin de dormir lui aussi. J'aimerais avoir une notion du temps, au moins un peu, mais j'ai du mal à bouger suffisamment pour lire mon radio-réveil ou pour me pencher vraiment. Mais j'essaie, vraiment de toutes mes forces.

Je grommelle, tente de rester discret pour atteindre la table de nuit sur laquelle je vois un verre d'eau posé. Encore plus important que l'heure : boire. J'ai tellement soif que j'ai l'impression que je vais en crever. Mais je maîtrise mal mes mouvements, j'appuie sur des points dont j'avais oublié la douleur et le sentiment. Alors j'ai beau serrer les dents, je réveille Kyle avant d'avoir atteint mon objectif. Du coup j'arrête les frais, je cesse de forcer et me laisse retomber dans mon lit dans un soupir. J'ai la voix cassée, je meurs de soif comme jamais. Mais je parle quand même, parce que je l'ai réveillé. « Désolé, j'voulais pas te réveiller. » On dirait clairement un gamin de treize ans en train de muer. C'est ridicule, la moitié des syllabes ne sortent pas de ma bouche. Je roule des yeux comme je peux et me racle la gorge, cherche à reprendre malgré moi. « J'voulais juste boire un peu. » Ouais, histoire de survivre, j'ai passé trois semaines dans le coma ou quoi ?

Je regarde le verre à quelques centimètres mais pourtant si loin et honnêtement, je serai presque à deux doigts de pleurer s'il me restait encore un peu d'eau à l'intérieur. Mais au lieu de ça, je regarde Kyle, et je m'intéresse à lui, lui et son teint encore trop pale sur ce fauteuil inconfortable, sans doute beaucoup trop pour lui en cet instant. « Pourquoi t'es pas dans ton lit ? »

C'est un peu un merci. Merci d'être resté, de pas avoir pris la fuite. Merci de pas être parti en courant, de pas avoir fugué pour te donner raison. Merci d'être encore là, malgré tout. Parce que c'est ce que je veux vraiment, que tu sois là. Que tu restes mon frère et qu'on se foute sur la gueule à la seconde où je vais mieux. Mais pour ça, faut que tu sois là, que tu veuilles être là. Alors merci de pas avoir déserté, merci d'être resté. Merci de bien vouloir essayé, Kyle. Merci de me laisser une chance d'être le frère que tu choisis, pas celui qu'on t'impose. J'te jure que je ferai de mon mieux. Même si on m'a bercé trop près du mur ou j'sais pas quoi. J'arrêterai pas, parce que je crois en toi. Sincèrement, j'y crois. Un petit sourire qui se dessine comme il peut, qui trace son chemin entre la fatigue et la douleur, la morphine moins forte et le brouillard qui se dissipe.

Mon frère à moi.
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L'impression de tomber. L'impression que je vais me vautrer, à chaque fois que je fais un mouvement. Les bons coups bien placés de mon frère continuent de me déstabiliser, me rappellent qu'avant le calme, il y a bel et bien eu la tempête. Enfin, vu la tronche qu'il se traîne, c'est pas sur moi que ça a cogné le plus fort. Y'a pas que sur sa tronche que ça a cogné, aussi. Clairement quelques neurones se sont dé-jointés pendant la bataille, ont décidé de filer au gré du vent, vu ce qu'il est capable de sortir comme conneries. Ce qu'il est capable de me faire, aussi.

Parce qu'il est capable en peu de mots, juste ceux qu'il faut, de taper directement là où il ne faut pas. En quelques paroles à peine, il a réussi à me faire hurler, me faire pleurer, me faire me sentir plus con que je ne le suis déjà, me pardonner. C'était pour ça que je ne voulais pas qu'on s'approche, lui et moi. Parce qu'au fond, on était capables de se comprendre. Malgré tout ce que j'ai fait pour le repousser, malgré toutes mes tentatives pour qu'on ne soit jamais sur le même terrain d'entente.
Au fond, on n'a jamais été vraiment différents, lui et moi. Qu'il me dise que je dis de la merde a beau me vexer, sur le moment, je sais pertinemment qu'il a raison. Qu'il faut deux moitiés de cerveau pour n'en faire qu'un, mais qu'il faut surtout deux coeurs similaires pour qu'ils battent à l'unisson. Et même si ma putain de côte me tire, même si son ravalement de façade est insupportable à l'oeil nu, nos coeurs battent vraiment à l'unisson, cette fois-ci.
Et ça fait mal.
Et ça fait du bien.

Je ne sais pas quoi lui répondre, alors je me tais. Ma gorge est trop nouée pour que je rétorque quoi que ce soit, et je sais que ça ne sert à rien de tenter l'impossible. Il est convaincu par ce qu'il dit, et si, au fond, je préfère mettre tout ça sur le compte de la morphine et des quinze mille autres saloperies qu'il a dans les veines, je n'ai aucune envie de le contredire. Il ne se rend pas compte, Zachary, de la violence de ses mots. De leur justesse. Il ne se rend pas compte à quel point il a touché droit au but, directement là où je me terre vraiment, là où je ne souhaite pas être atteint. Cette envie dévorante d'être compris, d'être soutenu, d'être accepté. D'être aimé. Et c'est ça qu'il vient de m'envoyer en pleine figure, c'est cet amour disproportionné qui me vole en éclats en pleine figure. Une gifle d'amour, puissante, assénée sans la moindre retenue en plein dans la solitude.
Tu me fracasses, Zachary, tout autant que tu me construis. Vous me secouez trop, toi et Andy, vous ne vous rendez pas compte que m'arracher à cette carapace bien trop dure de petit con, c'est servir personne. Et pourtant, je ne dis rien. Je me contente de hocher la tête, comme l'enfant que j'accepte enfin d'être. La leçon de vie, la leçon d'amour de mon frère, c'est la seule que je devrai retenir de toute ma vie. Une certitude qui m'attrape à la gorge alors que je le vois s'effondrer de nouveau dans son lit, une fois qu'Andy a franchi la porte.
Ces deux cons m'aiment. Et j'aime ces deux cons. Et ça me fait autant chier que ça fait couler des larmes bien trop lourdes, bien trop rondes et trop grosses le long de mes joues alors que je croise le regard dubitatif d'Andy maintenant que Zach a craché le morceau sur mes propres douleurs. Ces deux cons m'aiment, et putain, je me séparerai jamais d'eux.

J'en ai pas envie, ce soir. J'ai pas envie de lutter.
J'ai plus envie de lutter.

On m'a filé un cachet au goût de vomi re-digéré. On m'a soulevé les bras, le t-shirt, des mains ont palpé mes côtes et je me suis mollement laissé faire. Mes membres étaient trop gourds, ma tête trop lourde pour que je me batte, autant laisser tomber. Pour une fois. Juste cette fois. Andy m'a parlé, peut-être. Des syllabes qui devaient probablement faire des phrases toutes entières, dont je n'entendais plus que le bourdonnement chaleureux. Elle était douce, sa voix, chargée de cet amour qui ne cessait de m'éclater en pleine figure. Un ronronnement constant d'où je tirais quelques mots, une ou deux interrogations, sans parvenir à réellement les distinguer. J'acquiesçais quand il prononçait mon prénom. A ses questions, je répondais un vague "Oui, M'sieur". Mais mon regard était rivé sur les paupières closes de Madden. Ses lèvres arrondies, à peine ouvertes sur un souffle régulier maintenant que la morphine l'avait entièrement assommé. Ses mains arachnéennes qui ne bougeaient plus d'un poil. Ses pommettes tuméfiées qui se paraient progressivement de pourpre et de noir, les couleurs de mon équipe de bras cassés. Le goût du cachet sur le palais se mélangeant à celui de ma propre bile, je serrai les dents. Si Zach était capable de survivre, je le pouvais aussi.
Pour lui donner raison.
Pour le faire chier.


Le vague à l'âme ou l'âme dans le vague, je ne sais pas trop. Après des heures interminables à surveiller Zachary, une infirmière a fini par se rapprocher de nous avec un sourire aussi maigre qu'elle-même. Ses grands yeux d'azur, chargés d'une douceur polie, se sont glissés sur les traits tirés d'Andy puis sur moi. J'ai détourné la tête vers Madden, histoire de. Histoire de quoi ? Histoire d'arrêter les frais. La compassion, c'est agréable quand c'est mérité.

-Vous allez pouvoir rentrer chez vous tous les trois, Mr Dunham. Une bonne nuit de repos et toute cette journée sera déjà oubliée.

Je sens son sourire, je sens la chaleur démesurée de sa voix. Elle a beau être sincère, ça me fait l'effet d'une coulée de lave à même l'épiderme. Ca suinte et ça brûle sur son passage. Sans demander mon reste, je me lève brusquement, pris d'un soudain regain d'énergie. Une saillie de douleur dans mon flanc. Je serre les dents. Je serre les poings. Alors que je rassemble les affaires de Madden, j'entends Andy qui remercie le personnel soignant. J'accélère le mouvement. Il est temps qu'on rentre, qu'on se terre, que je retrouve ma carapace.
Et parce qu'il comprend toujours tout plus vite que moi-même, l'asiatique pose une main sur mon épaule alors que je m'approche de Madden pour le sortir de son lit.

-Tu dois aussi te reposer Kyle. C'est à mon tour, maintenant.

Son tour. Oui M'sieur. Son tour. Oui Andy. Oui Papa...


Mon tour à moi. Je ne sais pas comment s'est passé le retour, comment on est entrés dans la voiture, si on a mis Zach dans un fauteuil roulant prêté par l'hosto ou si on l'a porté à bras le corps comme un blessé de guerre. Le monde tout autour de moi tourne si fort, entre le médoc et l'adrénaline qui a beaucoup trop coulé dans mes veines, que c'est tout juste si j'ai reconnu la maison quand on s'en est rapprochés. Avec cette aura que lui seul possède, Andy a annoncé que la journée était enfin terminée une fois Zachary alité. Un pouvoir rare, celui d'invoquer le début et la fin des journées. Le pouvoir que seuls les pères sont à même de posséder, et que les enfants écoutent religieusement.
Je l'ai écouté. Je l'ai cru, quand il a dit ça. Parce qu'il ne pouvait qu'avoir raison. La journée ne pouvait que s'achever ici et maintenant. Je lui ai dit que je voulais rester encore un peu plus au chevet de mon frère, et il m'a laissé faire.
C'est mon tour, à moi, maintenant. Avec d'infinies précautions, je tire la chaise du bureau et m'installe là où je peux voir Zachary dans son intégralité. Je croise les bras sur mon ventre, m'installe malgré l'inconfort de la position, de la chaise, de ma côte. Les médecins, les infirmiers, Andy, tout le monde a dit qu'il allait bien. Mais j'ai besoin de rester là. De le surveiller.
Pourquoi ? Pour le protéger. Du monde. De moi. Des cauchemars. Si sa respiration se bouche à cause des contusions, je serai là. Si un intrus débarque pour le kidnapper, je serai là. Si le monde tourne trop autour de moi, il ne tournera pas autant pour lui. Rien ni personne ne troublera son repos. Parce que je l'en empêcherai. J'en ai l'intime conviction, alors que je sais bien que c'est absurde.
Au fond, est-ce vraiment lui que je protège, ou juste moi ?

J'ai peur, en vrai. J'ai peur qu'on me l'enlève, ce grand con. J'ai peur que si je ferme mes paupières, si je détourne ne serait-ce qu'un peu mon attention, il ne soit plus là. Alors je le fixe à m'en brûler les rétines. Sa respiration est calme, et mon coeur bat à tout rompre, tambourine contre ma côte fêlée. Me coupe le souffle et fait grimper la peur, fait monter l'angoisse. La dernière fois que je me suis vraiment endormi, j'ai perdu mon père. Ca ne se reproduira pas. Pas ce soir. Tant que je l'ai sous les yeux, rien ne se passera. Tant que je reste à côté de lui, tout ira. C'est bien comme ça que ça marche, non ? Pour ne pas perdre ou oublier quelque chose, ou quelqu'un, il faut l'avoir constamment sous son nez. Pour ne pas souffrir, pour ne pas pleurer, pour ne pas rêver, il suffit de rester éveillé...

Mes paupières... sont... si lourdes...

Un bruit distant. Je marmonne, dans le noir absolu, gigote sur ma chaise. Un autre bruit, puis encore un autre. Quelque chose est en train de se passer. Putain, je me suis endormi. Pic d'adrénaline, mes yeux s'ouvrent trop vite, trop grands, sur un lit dont je suis terrifié qu'il soit vide. Et tout ce que j'aperçois, malgré le combat que livre mon propre sang contre le sommeil, sous mon crâne, c'est Zachary, la main en suspension, comme si on l'avait mis sur pause. Il est toujours là. Je respire enfin.
Des excuses. De l'eau. La torpeur reprend vite les rênes, ramollit mes mouvements alors que je me redresse, le dos et les côtes en compote, pour attraper le verre plein et le lui tendre. La brutalité du réveil, elle, fait trembler mes doigts. Elle et cette culpabilité qui vrille mes tympans, me rappelant que même le surveiller, j'en ai pas été capable.
Et la question tombe, une question naturelle qui rend toute la vie beaucoup plus simple. Pas un reproche, pas une remarque piquante, pas un procès. Juste une question.
Juste une question pour s'assurer que je vais bien.

J'ai envie de lui dire merci. Juste ça. Juste pour cette question. Alors je lui dis, avec mes mots, avec mes gestes, d'un haussement d'épaules parce qu'il doit certainement déjà connaître la réponse. Nos chambres sont à côté, il sait ce que je fais pour m'endormir. Il sait pourquoi je suis là, ce soir.

-T'en as d'autres des questions cons, comme ça ?

Ma voix est un infâme croassement, tant ma gorge est rêche. Tout mon corps est douloureux, et pourtant je retourne sur ma chaise une fois mon frère abreuvé et ma mission accomplie. Ce n'est pas que sa question, qui est con. C'est toute cette situation. C'est cette gratitude qui m'étouffe, parce que je le vois bien vivant devant moi. Il a beau être dans le cirage, avoir la tronche d'Elephant Man sans les tumeurs, il est beau. Beau parce qu'il est vivant. Parce qu'il est toujours là.
Un sourire fatigué étire le creux de mes lèvres, et j'ai aucune envie de le retenir. Parce que ce moment, même s'il ne durera pas, même si demain on recommencera à s'en mettre plein la figure, il est précieux. Et rien qu'à nous.

-Andy voulait rester, mais il était claqué, alors j'ai dit que je m'occuperais de toi. Mais en vrai, c'était juste histoire de tester ta chaise vu que j'ai l'intention de te la tirer.

J'arrivais pas à dormir en te sachant aussi mal. Je voulais pas te laisser tout seul. J'avais peur que tu disparaisses pendant la nuit. Ou que tu meures. Ou un peu des deux, je sais pas. Mais tu es là, et c'est tout ce qui compte.


-Bon par contre, vu comme elle me tape le cul, tu peux te la garder. La mienne est carrément mieux.

Je m'agite sur la chaise, grossièrement, pour prouver ma théorie. Un mouvement de trop, ma côte me rappelle son existence. M'arrache une légère grimace de douleur, pour laquelle je préfère accuser le meuble plutôt que ma connerie. Parce que je veux bien reconnaître être heureux qu'il soit là, je ne m'abaisserai pas à le lui avouer. Ou avouer que tout cet épisode a laissé des marques bien plus indélébiles dans tout ce que je suis que je ne souhaiterais l'admettre. Question de principes.

-Rendors-toi, si tu continues à boire tu vas pisser toute la nuit et j'vais pas changer tes draps.

Ca ne m'a pas empêché de remplir et de rapprocher son verre avec la carafe d'eau qu'Andy a glissée sur sa table de chevet, quand j'étais à côté de lui. Mais là aussi, on parle de principes. A quoi bon s'appesantir sur ce que l'on sait déjà ? Parce que cette gratitude, je la lis dans les yeux de Madden. De mon frère.
Quelque chose à changé, entre nous. Je peux le sentir tout le long de ma peau, ça fourmille au bout de mes doigts. Dans son regard, et dans le mien. A-t-on vraiment besoin d'en parler ? Non. On en a déjà trop fait pour ce soir.
Ma voix s'adoucit. Je recroise les bras sur ma poitrine, serre les dents et la douleur dans les tréfonds de mon corps.

-En vrai, dors, Andy a prévu d'appeler le bahut demain pour pas qu'on y aille. Grasse mat en milieu de semaine, mec.

Je ne veux pas partir de cette chambre. On s'en fout que je sois sur une chaise. Elle devient même plus confortable que le meilleur des trônes, à mesure que le regard de Zachary s'éclaircit. On s'en fout de la nuit, on s'en fout du sommeil qui menace de revenir me happer bientôt.
On s'en fout du reste, parce qu'il est bien là, et bien vivant. Et c'est tout ce qui compte.

Parce qu'au fond, c'est mon frère. Un peu. De loin. Il a pas tort, il a un peu de mon sang. Au sens propre comme au figuré.


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Pourquoi t'es pas dans ton lit ? Que j'articule difficilement, réellement interrogateur. Si les relations avec Kyle n'ont jamais été simples elles n'ont jamais frôler la haine non plus. Quelque chose en demi teinte, plus proche de la passion et de la réaction d'animaux blessés que de la haine, de la vraie, qui bouffe et qui tâche. Mais pourtant, la question est sincère. Parce que j'ai beau avoir la tête en vrac et le cœur à l'envers, je sais pertinemment qu'il a besoin de repos, c'est écrit en lettre lumineuses sur son front. Alors pourquoi il est là, pourquoi il reste avec moi ?

Il hausse les épaules et moi, je réalise ma connerie. Alors je tente un léger sourire, un truc caché derrière les contusions, déjà pas beau de base il n'est probablement pas visible en cet instant, mais le sourire est là. On a baissé les armes, j'ai des flashbacks par instants sans en comprendre le sens mais je le ressens, profondément. Peut-être qu'on se battra à nouveau dès le matin, sans doute même, mais pour le moment, on joue sans flingue sur la tempe. Juste lui et moi, rien d'autre que ça. Alors je tente un plus grand sourire quand il répond et je joue au plus con, sans mauvaise intention. « Un milliard et demi, si tu veux tout savoir. » Ça sert à rien et c'est même pas le but de la conversation mais j'ai beau avoir mal partout alors que je finis d'avaler l'eau qu'il m'a tendue, je ne veux pas que cet instant s'arrête, que la trêve disparaisse.

Le verre à nouveau tendu à mon cadet, je l'observe grimacer dans des mouvements clairement douloureux et un siège clairement pas approprié. Alors je soupire, lentement et je réfléchis encore plus lentement. C'est compliqué, d'être cohérent lorsqu'on a pas toute sa tête, encore plus quand elle se décide à nous laisser des black outs et des moments qui semblent irréels. Et puis lorsqu'il sourit, je souris en retour, comme un reflet enfin sur la même longueur d'onde, un truc du genre. Simplement du soulagement et de la douceur. Parce qu'il est là, il est pas parti. Il a pas bougé, pas fui. Je mesure même pas mes pensées mais elles me rendent tellement reconnaissant. Il parle à nouveau et je me redresse durement dans une dizaine de grimaces plus agréables les unes que les autres pour l'écouter. Il parle d'Andy, notre père, à nous. Celui qui a veillé sur lui comme sur moi. Qui a laissé ses fils se taper dessus parce qu'il savait qu'ils en avaient besoin. Qui a du chialer en fermant la porte de sa chambre, parce qu'il a eu peur et qu'il nous le dira pas. Peur de nous perdre, de plus nous avoir avec lui. Comme on a eu peur, nous aussi. La remarque qui suit m'arrache un rire, et bim, un déclic, une réaction trop brusque.

Ne pas réveiller Andy et ma main qui se colle violemment sur ma bouche pour me faire taire. Je marmonne de douleur. Mais quel débile, bordel. Je regarde mon frère dans les yeux, laisse ma langue tater mes dents savoir si j'ai pas aggravé mon cas et avant même que je réponde, il en rajoute. « Forcément, que je dis toujours en tripotant mes dents, t'as toujours été le chouchou. Place de petit dernier tu vois. » Et puis j'arrête, le regarde avec sa douleur qui le rappelle à lui. J'ai envie de parler, dire un milliard de choses mais je suis trop lent, trop assommé. Alors c'est Kyle qu'en rajoute, qui dit des conneries encore. Il me fait rire mais je me retiens, pour pas me péter les dents et puis me faire plus mal, un truc comme ça. Je reprends un peu conscience, en fait. Mais il s'arrête pas là, il insiste alors que moi je veux pas que ça s'arrête, j'veux pas dormir, j'veux pas qu'il dorme sur la chaise.

« Bin justement, que je dis d'un air un peu fier, puisqu'on se lève pas demain et qu'on sait toi comme moi qu'Andy viendra pas nous réveiller, autant en profiter un peu non ? » Je tends une main maladroite à ma droite et tapote mon lit deux places, bien trop grand, et puis je le regarde, avec de la douceur, ce Merci qui sort pas tel quel mais qui vit dans mes yeux abîmés. « Viens sur le lit Kyle, t'as besoin d'un truc confortable. Puis vu que tu veux probablement me le tirer aussi, ça te donnera l'occasion de le tester. »

C'est pas une question, j'attends pas de réponse tandis que je m'acharne à bouger, lui faire de la place et tirer le drap pour lui. Il le sait, plus il attend, plus il continue, plus je vais insister. Et ça peut durer jusqu'à ce que je tombe à nouveau dans les pommes de douleurs. Mais mes yeux croisent les siens, alors que je me dis que le connaissant, il veut pas qu'on s'attarde sur le sujet, s'il est prêt à faire le geste, on a jamais été trop bon dans les sentiments. Se dire merci, se dire qu'on tient l'un à l'autre. J'ai oublié la moitié des heures passées mais je sais qu'en cet instant, ni lui ni moi on pourra l'articuler comme ça. Même si un truc a changé, pas seulement nos os pétés, peut-être un peu nos cœurs réparés.

Du coup j'attrape le verre d'eau qu'il a servi et je lui tends, lentement. J'attends rien, alors je me mets à parler, prenant un peu plus le contrôle à chaque souffle qui passe. « Tu sais, Kyle, j'ai jamais trop su comment comprendre ma vie. » Une courte pause alors que je lui pose un oreiller que j'avais derrière la nuque dans quelques secondes de douleur et que je reprends. « Je veux dire, quand tu nais et puis même un peu après, t'as un espèce de schéma que tu dois suivre. T'as des parents, tout se passe bien, tu sais comme dans les séries quoi. Et puis bin, j'ai jamais eu ça. Et j'veux dire, j'suis bien ici, vraiment. Je pouvais pas rêver meilleure famille. Mais parfois j'me demande à qui on doit poser les questions pour avoir les réponses ? »

Je parle trop, je cherche trop. Mes questions qui parfois me brûlent le ventre ressortent alors que les médocs se baladent dans mon sang. « Je te demande pas la réponse mais je me dis que toi tu dois peut-être un peu comprendre. Parce que même si on a pas la même histoire, j'm'en fous Kyle. La vérité c'est qu'avant que tu débarques j'étais seul, affreusement seul. J'avais l'impression que le monde me comprenait pas et que personne le ferait jamais. » Je fixe le plafond et j'ajoute. « Puis y a eu toi. »

Et c'était pas facile, que je dis pas. Violent, dur et on a failli se tuer, ou alors t'as failli me tuer. Je sais plus trop, j'm'en fous un peu. L'important c'est que t'es là, t'es avec moi, près de moi. « J'veux pas perdre ma famille une deuxième fois. » Que je dis bêtement, comme un gamin qui s'accroche à des rêves qu'il réalisera jamais. Mais la suite sort pas, le merci vient pas. C'est déjà trop, c'est déjà énorme. Beaucoup plus que tout ce que je lui ai jamais dit. Et puis une larme, une de douceur et de joie. Une qui dit que j'suis plus seul et j'le serai plus jamais puisqu'il est là. Je la laisse couler tandis que je laisse ma voix m'échapper, mes pensées dérivées après avoir dit tout ce qui me semblait impossible à garder. « Tu penses quoi de Leana au lycée ? » Un sourire en coin et j'ajoute. « Elle m'a demandé si t'étais célibataire, figure toi. Paraîtrait que j'ai un frère sexy, elle a rougi mec c'était ridicule. Mais elle est prête à laisser Kieren pour toi, t'imagines ? », et puis mes yeux se tournent enfin vers lui, le fixent difficilement alors que je tente un haussement de sourcil, un truc un peu lié à la situation, qui colle bien quoi. « T'en dis quoi ? Tu veux briser le cœur d'un mec plus vieux que toi, lui voler sa meuf et lui péter la gueule ou tu réserves ça pour notre prochain match ? Je propose que tu te fasse un tshirt pour lui déclarer ton amour. Parce que putain, pour égaler le match qu'on vient de faire, va falloir viser haut pour le prochain... »

Aucune animosité, aucune rancoeur, non, rien de tout ça. Juste lui, et moi. Seuls face au monde. Mon frère à qui je tiens la main sans oser le faire, à qui je fais une promesse muette mais tellement réelle.

Tu seras plus jamais seul, petit frère. T'es pas mon sang mais t'es mon cœur, maintenant. Alors arrête de croire que je vais te faire du mal volontairement, arrête de croire que je vais partir. Parce que je bouge pas, mon frère, je reste près de toi. Et ça, jusqu'à mon dernier souffle, crois-moi, j'peux plus vivre sans toi.

Mon frère à moi.
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La violence des dernières heures n'est plus qu'un très lointain souvenir. Je vois Zach qui est là, bien vivant, devant mes yeux. Il s'anime, et, même si la chambre est plongée dans la pénombre parce qu'on est au beau milieu de la nuit, j'ai l'impression qu'un feu tout entier illumine le fond de ses yeux. Une sorte de brasier bien réel, bien là, que je pourrais presque toucher du doigt. Que je ne tenterai pas de toucher du doigt au risque de lui crever un œil, et, pourtant, c'est pas l'envie qui m'en manque.
Je le vois bouger, je le vois sourire, rire, même, à mes conneries. Avec ses membres trop grands et la morphine, il plaque violemment sa main contre sa bouche et ça m'arrache un ricanement. Pas que j'aime qu'il ait mal. Non, j'ai compris que ça me plaisait pas vraiment comme vision, qu'il souffre de le martyre. Que ce soit de ma faute. Mais j'y peux rien, le ricanement sort tout seul. Ça file à travers mes côtes douloureuses, ma gorge trop serrée, ça libère ma voix et mes épaules nouées. Ça a de faux airs de bonheur, et, tout aussi étrange que ça puisse être parce que c'est à cause de Zachary Madden, ça me fait du bien. Au fond, il a peut-être raison. On a mis bien trop de temps à se chasser, l'un et l'autre, alors qu'au final, on est pareils sur bien des aspects. Trop cons pour savoir où sont les limites. Trop cons pour réaliser qu'il ne faut pas les franchir.
A peu de choses près, j'aurais pu perdre cet idiot qui a fracassé ses lèvres avec sa propre main en ne souhaitant faire aucun bruit. Cet idiot au regard qui brille plus fort que la nuit, et plus fort que les rêves.

Sa voix se fait plus goguenarde, et je pressens le regain de connerie. Sans le vouloir, sans même m'en rendre compte, je me suis légèrement penché dans sa direction pour capter le murmure qui s'échappe de ses lèvres. Il a repris du poil de la bête, je le vois parfaitement, et si j'aurais préféré qu'il se repose je ne compte pas le repousser dans son lit. Ni même l'assommer pour qu'il sombre directement. Au contraire, je l'écoute, je l'écoute alors qu'il raconte ses conneries. C'est pas prudent, Zach. Tu devrais dormir, encore, te reposer pour récupérer de tout ce que je t'ai fait. Peu importe que je reste sur ma chaise, peu importe si on parle pas de tout et de rien ce soir. C'est encore tout frais, tout ça, je suis pas encore habitué à... A ça. A toi.
Alors j'ouvre la bouche pour protester, mais tu me coupes dans mon élan. Tes grands membres s'agitent et tu te tortilles dans ton lit, et je vois la catastrophe arriver à grand pas.

-Non arrête Madden, déconne pas...

Et j'ai beau dire, il s'agite encore, ce connard. Peu importe que je veuille bien faire, peu importe que pour une fois je m'improvise la voix de la raison, il a quelque chose en tête et il ne compte pas le lâcher. Comment je le sais ? A cette tonalité qu'elle a, sa voix. Une tonalité bien trop réveillée, la même que lorsqu'il est parfaitement conscient qu'il fait une connerie et que personne n'aura son mot à dire sur la question. Et là, entortillé sur ma chaise comme je suis, soumis à son regard et ses multiples mouvements qui lui arrachent grimace de douleur sur grimace de douleur, je sais que je n'ai pas le choix. Si je veux qu'il arrête, si je veux qu'il ne se fasse pas plus mal que nécessaire, je dois obéir.
Et putain, j'ai horreur de ça.

A contre-coeur, je finis par me lever. Ma côte fêlée me rappelle si fort son existence que le simple fait de me redresser me file le tournis. Il a raison, Madden. Il sait parfaitement qu'à cause de cette saloperie de fêlure, je ne tiendrai pas longtemps sur ma chaise. Alors j'obtempère. C'est pas comme s'il me laissait le choix. A tâtons dans l'obscurité, je finis par trouver le bord du lit. Le drap ploie sous mes doigts, il est encore chaud partout où le brun se trouvait. Il empeste la sueur, le musc, Zachary tout entier. Mais je prends sur moi. Parce qu'en vérité, j'ai envie d'y aller, dans ce lit. Il est confortable. Il tient chaud. Il est sacrément mieux qu'une chaise, et, si j'y reste, si j'arrive à ne pas dormir, je pourrai veiller sur lui pendant toute la nuit. Alors je prends sur moi, en me glissant sous les draps. Je prends sur moi pour attraper le verre qu'il me tend avec conviction, mais dont je sais que si j'en avale ne serait-ce qu'une goutte, ce sera pour tout rendre sur sa couverture tant ma gorge est nouée.
Ce n'est pas qu'il me révulse, Zachary. Loin de là. C'est juste que... Je ne suis pas habitué à tout ça. Ce n'est ni ma vie, ni mon univers, tout ça. La gentillesse, le partage, l'amour, peut-être même qu'il appellerait ça comme ça. Une espèce de sensation douceâtre, bien trop agréable, à laquelle j'ai appris à ne pas me fier. Parce que ça ne dure jamais longtemps, tout ça. La compassion, le partage, la fraternité. L'amour filial, ce n'est pas fait pour durer. D'un moment à un autre, ce verre qu'il m'a tendu va se briser. D'un moment à un autre, toutes ces sensations agréables vont éclater.
L'amour, ce n'est jamais fait pour durer. Ca fait mal, on se le fait arracher. Trop vite, trop tôt. Trop souvent. C'est pour ça que je suis aussi tendu, dans ce lit immense et trop doux. Pour ça que je repose le verre en silence sur la table de chevet, bougeant à peine alors que je suis mal installé. Je peux sentir la chaleur qui émane du corps tout entier de Madden, et ça me brûle tout entier. Son souffle alors qu'il se remet à parler, qui secoue toutes mes certitudes et m'empêche de respirer. Sans me demander mon avis, il enlève un des oreillers que j'ai mis mille ans à glisser sous sa tête et l'installe sous la mienne. J'ai envie de me tirer. De hurler.
Pourtant, au contraire, je l'écoute.

Madden a toujours eu ce petit quelque chose dans la voix qui fait que l'on s'arrête pour entendre ce qu'il raconte. Comme un souffle aux teintes métalliques, une forme d'aimant qui capte l'attention. Je m'en suis rendu compte plus d'une fois, sans jamais le dire à quiconque. Il n'est pas un grand orateur, il ne le sera probablement jamais. Mais là, peut-être parce que c'est tout ce qui me retient de foutre le camp, je me laisse bercer. Ses paroles n'ont aucun sens, je ne comprends pas la moitié de ce qu'il raconte. Je ne comprends même pas pourquoi il me dit tout ça, et pourtant, au fond de moi, je sais ce qu'il dit. Plus que des mots, c'est des ressentis. Une impression tenace qui me tient tout entier depuis toujours, et pour laquelle je n'ai jamais pu trouver de qualificatif. Il dit tout haut ce que je ressens depuis des années, et tout ce que j'arrive à sortir c'est :

-Mec, ce que tu dis n'as aucun sens.

Au contraire, ça en a trop. Mais est-il vraiment nécessaire d'approfondir ce sujet, surtout maintenant ? On pourrait en faire mille fois le tour qu'on n'arriverait jamais à s'exprimer. C'est pas comme ça qu'on est, lui et moi, et c'est ça que j'essaie de lui dire. Nous ne sommes pas des intellectuels, des cérébraux ou des orateurs, lui et moi. Nous sommes deux êtres faits de nerfs et de muscles, de mauvaises décisions et d'orage, et, pourtant, nous sommes branchés sur la même fréquence. Et, même s'il est clair comme du bitume, je le comprends, vraiment.
Il n'y a pas de réponse à donner parce qu'il n'y en a aucune, en vrai. Juste ce je te comprends qui flotte entre nous, pendant cet instant de silence maladroit que j'instaure. Je sais ce que c'est.  

-Tu la perdras pas.

Ca sort tout seul. Comme une évidence, ça tranche l'air, le silence, cette larme que je vois rouler le long de sa joue tuméfiée. Non, il ne la perdra pas. Tout du moins pas tout de suite, pas maintenant, pas ce soir. Je n'ai l'intention d'aller nulle part, et si le concept de famille est encore tout nouveau pour moi, je ne veux pas lui enlever cette belle illusion. Un jour, qui sait, elle pourrait devenir concrète. Sur le moment j'ai envie d'y croire, en tous cas. Une belle illusion de douceur, de partage. D'amour. Je ne sais plus ce que c'est mais ça me manque. Et ça serait pas si mal de pouvoir combler le manque avec Andy, avec Zachary, et leur cœur d'artichaut bien plus gros que le monde tout entier.
Au moins pour ce soir. Pour demain, aussi. Et on verra pour les jours qui suivront.  

Étrangement, la tension retombe doucement. Un abcès semble avoir été percé, un parmi tous les autres qu'on a allègrement piétinés ce soir. Me laissant aller, je me tortille lentement dans le lit pour trouver une position plus confortable sans trop agiter le grand blessé qui marmonne à côté de moi. Dans la semi-pénombre, je peux apercevoir son profil sans mal. Ses immenses yeux marrons, encore brillants de cette émotion qu'il contient difficilement. Son nez droit, son menton fuyant, son cou de girafe. De tout le temps que j'ai passé dans cette maison, je n'ai jamais eu l'occasion de voir Zachary d'aussi près. Et il a peut-être la tronche en vrac, je le trouve beau, ce soir. Il est beau, mon frère.
Et il recommence à divaguer. Je ricane. Leana, elle est pas glorieuse mais comme on dit, un trou est un trou. Non, ce qui me dérange dans cette histoire c'est son mec. Il fait une tête de plus que moi, et je sais ce qu'il vaut au combat pour avoir eu l'occasion de m'être fait rentrer dedans plus d'une fois parce que je tournais justement autour de la susmentionnée. Il a pas l'air comme ça, mais il cogne fort. Sûrement son côté Braveheart, il en faut de la force pour manier des cornemuses.

-C'est pas un thon, c'est une rascasse, Leana. Non, si je veux jouer dans la cour des grands, faut que je vise plus haut. Genre la meuf de Teo. Personne ne toucherait à Teo, tu peux être sûr que là pour la peine je vais bien me faire rentrer dedans !

Teodem, l'innocence incarnée. Un mec tellement à côté de ses pompes que je suis certain qu'il est pas de cette planète. La cible idéale si tu veux te faire haïr de l'intégralité du bahut.

-Après si tu veux vraiment que le match vire au bain de sang, suffit de dire à Babar qu'il est pas tout seul dans sa tête. T'as une chance sur deux qu'il t'arrache la tienne.

Testé, approuvé. Ce mec est un fou furieux qui agit selon une logique qu'il est le seul à connaître. Quoi que je suis vraiment pas sûr de moi sur ce dernier point. Je love ma joue contre l'oreiller, soupire un grand coup. La main de Zach est trop proche de la mienne, si proche que je peux sentir le frôlement de ses doigts contre ma peau. C'est pas contre lui que je retire la mienne, de main. C'est juste que j'aime pas ça.
Que je suis pas prêt pour ça. Et tant d'autres choses.

-En plus j'aurais juré qu'il était gay, Kieren. Mais peut-être que je me fais des idées.

Cet étrange coup de poing en plein torse à chaque fois que je croise son regard. Comme un radar à pédés, depuis que je suis tout petit. J'ai jamais compris pourquoi, mais eh, faut croire que je suis un détecteur sur pattes. En tous cas, j'me suis encore jamais planté. Mais Madden a beau être mon frère depuis ce soir, on n'est pas encore assez proches pour que je lui en parle, de ça. Chaque chose en son temps.

-Et toi, t'as pas une minette en vue ? C'est bientôt le bal de fin d'année, j'te vois pas assumer d'y aller en tête à tête avec ta main droite.

Cette conversation me laisse une drôle de sensation. Comme un soupçon de normalité. Alors c'est ça, d'avoir un frère, en vrai ? C'est ça, d'avoir quelqu'un d'encore plus proche que de simples potes, sur qui on peut compter ?
Mais si c'est ça, d'être des frères, est-ce que ça signifie que ça peut durer ? Parce que ce soir, je trouve ça si agréable que j'aimerais. Et même si je me suis promis que ça ne serait que temporaire, est-ce si grave si le temporaire dure un peu plus longtemps qu'une simple soirée ?
Parce que je suis bien, ici. Je suis bien, dans ce lit, à côté de ce grand con. Je suis bien dans cette maison, avec lui et Andy. Je suis bien, pour la première fois de ma vie, et j'ai pas envie de perdre tout ça.
Pas tout de suite. Pas comme ça.

Une vraie famille. Ca durera le temps que ça durera, mais autant en profiter tant qu'on l'a.




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Y a quelque chose d'étrange avec Kyle, quelque chose qui traverse la raison et toutes les notions logique de la Terre. Quelque chose qui dépasse la science et qui fait part de l'inexpliqué. Quelque chose qui fait qu'on se comprend sans se comprendre, qu'on s'apprend l'un et l'autre sans savoir qu'on le fait. Mais il ne lâche pas, malgré la douleur et la peur, malgré la haine et la peine, malgré tout ce qui peut exister et ne plus exister entre nous, il est là, à côté de moi. Il est là, son corps qui plie le lit, me tord dans des grimaces silencieuses alors que je tente de faire taire les douleurs qui se ravivent encore trop violemment à mon goût, malgré les médocs et leur étrange saveur, malgré tout cet effet qui manque d'apesanteur. Et puis, les mots s'enchaîne là où d'habitude y a les silences. Les peurs dans ma tête et les questions qui m'empêchent trop souvent de dormir qui se disent à voix haute pour la première fois, pourquoi ce soir, pourquoi comme ça ?

Parce que je sais pertinemment qu'il comprend, qu'il sait au fond. Je sais que malgré sa répartie, sa négation sans trop d'hésitation, il a compris. Ce silence qui en dit plus que tous les mots, ces mots qui en cachent d'autres. Là où j'ai des tonnes de morphine pour m'accompagner dans la folie d'éclater les barrières et d'oublier les faux semblants Kyle lui, n'a qu'une réalité bien trop présente et persistante. Alors je souris, un peu bêtement, comme pour lui dire que c'est bon, c'est pas grave, il a pas à le dire, je sais qu'il le sais. Ou alors je m'en persuade, pour palier à mes propres peurs tout seul, pour continuer d'avancer sans m'écrouler. Et puis y a l'aveu qui change tout, celui qui dépasse les limites de son côté malgré la réalité. Une promesse qui balaye toutes les peurs et tout le reste aussi, une promesse qui se grave comme rien ne s'est jamais gravé. Mes yeux qui trouvent difficilement les siens alors qu'il a laissé planer dans l'air ses mots qui ont plus de sens que tout ce qu'on a jamais su se dire et tout ce qu'on s'est toujours trop dit. Ne pas perdre ma famille, plus jamais. Ne pas le perdre lui, ce frère, ce pilier qui n'a de sens que lorsqu'il semble invincible et impossible à écarter. Celui qui me connaît plus que je ne me connais moi-même, qui me fais le détester tellement il sait, qui me fait l'aimer tellement il comprend. Celui qui est unique et qui n'est pourtant qu'un hasard. Un hasard qu'Andy a choisi parmi tant d'autres. Ce hasard qui a changé ma vie et m'a sorti la tête de l'eau là où rien n'y arrivait jamais. Il a réussi à prendre une place qui ne semblait même pas exister, être une nécessité sans que le besoin ne pointe le bout de son nez. Mais y avait toujours ce doute, parmi les autres, ce doute qui planait au dessus de ma tête jour et nuit, celui qui disait que ça aurait une fin. Qu'il pouvait pas être réel et qu'il pouvait pas vouloir rester avec moi. Celui qui disait qu'il était probablement mieux sans moi, avant ça. Il avait connu une famille lui, l'amour du sang, des liens qui dépassent l'entendement. Alors pourquoi moi je serai important ? Pourquoi moi j'existerai vraiment ?

Mais tout ça c'était avant, avant ces quatre mots qui changent la face du monde et d'une vie. Ces quatre mots qui ont un goût d'infini. Je déglutis, soupire et laisse cette larme glisser, emportant avec elle le poids de doute de toutes ces années. Mais pas un mot de plus sur le sujet, parce qu'il est tellement sensible qu'on ne peut le toucher qu'avec des pincettes, morphine ou non. Y a des choses qui s'étalent pas, qui se disent pas pendant des heures, y a des choses qui se vivent sans se dire et celles ci ont été dites pour tout ce qu'elles avaient à dire. Alors la tension tombe lentement, les maux s'apaisent pour laisser place à deux frères dans une pièce, deux frères qui se lient comme si rien ne pouvait les séparer, du moins pas ce soir, pas tout de suite. Ça a quelque chose d'incroyablement réconfortant au final, de plus douter, de plus se demander si en un clignement d’œil tout va changer. Kyle bouge et me laisse me mordre la lèvre et me faire encore plus mal tout seul, stupide que je n'articule pas alors qu'il s'installe enfin. Y a son regard qui se pose sur moi et mon cœur qui sait que je dois pas lui rendre, que pour le moment, on y va un pas à la fois. Alors le plafond en ligne de mire, pas forcément droit mais qui laisse un bon point d'appui, je laisse ses yeux se poser dans un silence de quelques instants avant qu'une nouvelle pensée ne traverse mon esprit. Une pensée qui vaut moins que les autres, qui n'a pas ces poids attachées, une pensée qui sert à rien mais qui vient se poser là, comme une poussière sur le nez, comme une goutte d'eau un matin de rosée. Mais sur le coup, elle me semble plus importante que tout le reste, lui dire ça, un truc insignifiant que j'avais gardé pour moi. Une histoire qui n'avait rien d'un secret et qui pourtant n'était restée qu'entre la fameuse Leana et moi. Pas jaloux, juste pour pas lui parler, pas prétendre qu'on sait se parler. Parce qu'on était pas ultra doués pour faire semblant. Et parler à mon frère comme si on allait pas se sauter dessus pour s'arracher sang et larmes ça semblait improbable. Avant ce soir, aucun espoir et après ce soir, une nouvelle vie pour quelques doses de morphine et quelques os pétés. Un frère, un vrai. Celui qui dit ce qu'on lui a dit, qui dit ce qu'il pense et qui n'a pas peur, qui n'a plus peur.


Et le blond répond comme le frère qu'il est. Dans un rire qui m'arrache les poumons, je le laisse insulter Leana sans même le corriger. Il a pas tort, la gamine s'amuse à chauffer les autres pour que son mec aille les tabasser. Complètement tarée celle-ci. Et puis il en rajoute, parle de Teo, je souris et le laisse finir, les images qui s'enchaînent dans ma tête. Un mélange entre Teo, Kieren et leurs copines respectives. Pas plus maligne l'une que l'autre. Alors je hausse les épaules, perdu dans mes pensées en m'imaginant comment réagirait l'illuminé si on lui piquait sa meuf et Kyle me ramène à la réalité en parlant de Barney. Les éclats de rire qui traversent ma gorge sont teintés du goût du sang, des teintes de douleurs et pourtant, j'en ai rien à foutre, il a raison, Kyle. « En même temps, appeler un fou un fou, y a bien que toi pour essayer. » Une pointe d'ironie dans la voix, lui comme moi on était clairement réputés pour pas s'attaquer aux bonnes personnes. Péter les plombs quand il faut pas, se battre avec le fils du directeur ou je ne sais quoi. Mais on s'en fout, et puis un con est un con. Un coup est un coup. Faut arrêter de voir plus loin que ce qui se passe vraiment, que vivre sur l'instant. Puis je sens sa main qui quitte la mienne, sa proximité qui s'en va pour laisser place à de nouvelles habitudes sans même qu'on le réalise. Sans un mot, je relève la main qui se retrouve seul et la pose difficilement sur mes côtes dans une énième grimace toujours aussi dégueulasse. On peut la jouer comme ça, on doit la jouer comme ça, trouver un nouvel équilibre au milieu des nouvelles limites. Je soupire doucement alors que le contact de ma propre main réveille certaines douleurs et que mon frère lui, parle à nouveau pour me déconcentrer de ce qui fait trop mal.

Une remarque sur Kieren, sur sa sexualité. Un sujet qu'on aborde jamais, un sujet normal parmi les autres quand on a confiance, qu'on montre sa confiance. Mes yeux toujours sur le plafond qui tourne doucement, je réfléchis au fameux gars. J'essaie de me rappeler de ses attitudes, ses mots, des trucs idiots, des trucs qui pourraient donner des indices là où j'ai pas la moindre idée de comment savoir qu'il préfère les courbes masculines plutôt que féminines. Du coup j'attends encore trop longtemps et Kyle change de sujet. Sans réaliser la lenteur de mon cerveau sous morphine je suis capable de comprendre qu'il parle sans que je lui réponde la plupart du temps parce qu'il me laisse pas le temps. Mais ça, je le dis pas, je le garde pour moi alors que la question tombe comme une fatalité. Une obligation débile de société, un truc qui n'a pas de sens et qui malgré le mal me fait rouler de yeux dans un soupir un peu lourd. Quelques longs instants avant que je prenne le temps d'articuler, de prendre ma place dans la pièce et d'enchaîner plus de quelques mots cette fois. « Pfff... Mec, m'en parle pas. J'sais pas quoi te dire, entre les stupides et les maquées je suis sensé viser quoi au juste ? Non parce qu'entre nous, cette année on est pas gâtés. M'enfin, j'sais pas on verra. Peut-être que m'être fait casser la gueule devant la moitié du bahut va m'offrir la belle porte de la pitié. Pour un soir, ça suffit la pitié, tant qu'elle l'ouvre pas trop et qu'elle sait faire deux plus deux. »

Sale con, maladroit et mal à l'aise. Y a des choses que la morphine peut pas changer, mes conneries avec les autres en premier. Derrière une belle carapace de protection, c'est suffisamment dur d'avoir un frère, quelqu'un qui perce tous les sentiments alors même qu'on les nie profondément, alors laisser cette place à quelqu'un d'autre, je suis tout sauf prêt. Prêt à affronter ma propre réalité et l'avouer, l'assumer et être moi-même. Alors je préfère être le sale con que je suis. Ne surtout pas laisser une chance qu'une fille se glisse dans ma vie. Et puis je repense à ce qu'il a dit, à Teo, à Babar et à Kieren, à ces observations que je ne le savais pas tellement capable de faire. « Putain mais en fait, t'es bien plus attentif que tu le laisses paraître. Teo, Barney, Kieren... tu t'intéresses plus aux gens que tu le laisses croire. » Un rire, une douleur qui rappelle à la réalité et une pensée qui s'échappe pour en laisser une autre prendre la place. « Parce que t'as quelqu'un en vue, toi ? Ou tu fais l'impasse et vous y allez en meute avec mon cadavre comme cri de victoire ? » Un sourire, de la compétition qui n'en est plus, de la douceur qui remplace toute l'amertume et toutes les choses qui ont pu se passer.

Et puis je bouge, tente de me poser sur le côté, dos à lui pour atténuer certaines douleurs. Mouvements hasardeux et grimaces toujours plus moches, la démarches prend quelques minutes, le temps pour moi de tenter de parler et d'aligner mes pensées, un moyen comme un autre de se ramener seul à la réalité, provoquer les douleurs et recadrer l'esprit. « P't-être que je vais... pas... y.... aller. » Les mots s'enfoncent entre les mouvements, se glissent au milieu des bruits du matelas et des draps, entre les souffles et les conneries. Et puis me voilà installé, mal, au final. Tout ça pour rien. Évidemment. Je m'agace et respire longuement malgré tout ce qui cogne pour tenter de trouver un vrai confort avant de reprendre. « C'est des conneries tout ça, puis t'façons si c'est pour encore finir à se foutre sur la gueule avec des connards, j'ai pas envie. T'as vu la dernière fois, Liam ? Le mec était en train de peloter une nana qui n'avait rien demandé, trois ans de moins que lui. J'ai fini exclu pendant trois semaines pour avoir cassé le nez de monsieur sous prétexte que son père c'est je sais pas qui. » J'aime pas les cons, riches ou pauvres. J'aime pas les cons et j'aime pas qu'ils jouent aux cons. Alors il a pris mon poing dans la gueule et s'est étalé sur le punch sans alcool. Il a une belle grande gueule mais surtout aucune capacité pour se battre. Je soupire, gigote trop, incapable de me calmer, de tenir en place alors que la morphine cesse lentement de faire son effet. Je sais plus ou me mettre et plus quoi faire de moi. « J'sais pas comment m'foutre putain. » Que je grogne comme une évidence, comme ces non dits qu'on se dit ce soir. Et puis je soupire, me retourne violemment pour lui faire face dans une douleur qui dépasse toutes les autres et qui me laisse jurer entre les dents. Et puis mes yeux se posent sur les siens, chacun d'un côté du lit, l'espace pour deux comme nous entre lui et moi. Mais ça suffit, parce qu'il est là, parce qu'on est là. « Change moi les idées, j'vais péter un plomb sinon. » Une ordre qui n'en est pas vraiment un, plutôt un supplice qu'autre chose en vérité. Et puis je lance, parce que je sais qu'il aime pas ça, parler de lui-même, faire tout lui-même. Se livrer tout seul comme si y allait pas avoir de retour, que le sujet soit important ou non. Deux mecs seuls qui tentent d'être à deux. Deux frères qui trouvent les mots.

« Tu m'as jamais dit si t'aimerais faire quelque chose de précis, dans ta vie. Tes rêves, ces trucs là. Je dis pas que tu dois me dire des trucs profonds, de toutes façons je pigerai probablement rien. Mais j'sais pas, un truc que tu veux voir ? Un truc que tu veux faire ? » Et puis je ferme les paupières, comme pour lui enlever le poids de mes pupilles abîmées ou lui offrir la possibilité de croire que je m'endors à moitié. Des trucs du genre, un minimum pour le faire le sentir en sécurité. « Ou alors parle moi de ce que tu veux, j'sais pas. » Parce que tout fera l'affaire. Même des mensonges, même un truc complètement stupide comme le cours de mathématiques de Andersen. Peu importe, tant qu'il parle, tant qu'il reste là, tant qu'il occupe ma tête et mon cœur.

Peu importe ce que tu dis, mon frère.
Peu importe ce que tu fais, mon frère.
Tant que tu restes près de moi.
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« Can't kill us » KylexZach
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