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 Trying to tell us this is a war ▬ kymily

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Cold misty evening, I watched you walking up the path up to the front door. Your footsteps in the grass, I could see you thinking and I had a notion that that wasn't good
But you put your boot on the first step and I could hear the creak in the wood


Cohabiter. Pour le meilleur et pour le pire. S’il n’y avait pas Andy, le pire serait déjà arrivé. Il se serait déjà tiré de cette foutue maison, de cette foutue ville, loin de ce foutu con de Madden. S’il n’y avait pas Andy, il aurait déjà foutu le feu à tout ce qui constituait cette misérable vie et serait parti. Où ? Il n’en avait aucune idée, mais il avait déjà planifié toutes les étapes de son grand départ une à une. D’abord, voler l’argent de poche de Zachary. C’était facile, ça, il suffisait juste de profiter d’un moment d’inattention, ou de viser son casier lorsque son « frère » était en cours. Monsieur était tellement un élève modèle, c’était facile. Un petit peu d’huile de coude pour faire sauter son cadenas et le tour serait joué. Ensuite venait l’étape du départ. Il l’avait déjà prévue, celle-là aussi. Il avait mémorisé les horaires de tous les bus en direction de Dublin, surtout les plus tardifs. Il lui suffirait de se faufiler par sa fenêtre, lorsque tout le monde serait couché. Il voyagerait léger, juste son sac à dos et quelques vêtements de rechange. Et le fric de ce connard de Madden. Ensuite, une fois à Dublin, il trouverait bien de quoi se loger. Il y avait bien des âmes charitables dans ce patelin qui seraient prêtes à accueillir un garçon à l’air aussi angélique que lui, non ?
Il avait tout prévu, sauf l’essentiel. Andy. Andy, qui était bien la seule personne qui parvienne encore à le retenir dans ce trou. Andy qui essuyait ses crises, Andy qui encaissait ses hurlements, Andy qui séchait ses larmes lorsque c’était trop, lorsqu’il n’en pouvait plus de lui-même, de sa colère, du reste du monde. C’était à cause, grâce, peut-être, de lui qu’il restait encore à Bray. Et si Kyle avait tenté plus d’une fois de convaincre son assistant social de le laisser prendre la tangente, ce dernier avait toujours su invoquer cet argument de poids. Andy était parfait. Andy avait su panser ses plaies comme personne, Andy ne se laissait jamais démonter par un mot de travers ou une insulte passagère. Andy était un roc solide, que Kyle aurait préféré garder jalousement pour lui tout seul.
Mais il y avait Zachary. Zachary et ses grands airs, Zachary et sa tête de fouine, Zachary et cette affreuse touffe de cheveux qui trônait sur sa tête. Zachary, et son année de plus, et sa manière de lui faire comprendre qu’il avait tout vu et tout fait. Sa manière de lui faire comprendre qu’il n’était et ne serait de toutes façons jamais à sa place dans cette maison, et qu’il se porterait bien mieux s’il s’en tirait. Oh un jour il verrait. Un jour il se tirerait.

S’il n’y avait que Zachary, encore. Mais non. Il y avait aussi Emily. Emily qui tentait de s’attirer les bonnes grâces d’Andy à chaque fois qu’elle se ramenait chez eux. Elle est pas bien chez elle, tu comprends, la pauvre petite malheureuse. Est-ce qu’elle avait été battue pendant des années, elle ? Est-ce que son père avait été assassiné devant ses yeux à elle ? Est-ce qu’elle avait perdu sa mère et tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à ses parents aimants, elle ? Est-ce qu’elle avait enchaîné les foyers ? Mais non tu comprends. Sa mère est pas souvent là, son père est quelque part Dieu sait où, et il faut bien qu’elle puisse souffler un peu elle aussi. Tu parles. Andy avait beau dire, il avait un coeur bien trop grand. Un coeur où il acceptait la présence de cette petite prétentieuse aux airs faussement parfaits, alors qu’il ne devrait pas. Sous prétexte que c’était sa nièce, il lui offrait ce que eux, les enfants placés, n’auraient jamais. Elle avait eu un chiot, la petite Emily, du haut de ses grands airs et au nom de sa pseudo cécité. Un chien ! Alors que Zachary et lui avaient tenté, plus d’une fois, de faire céder Andy.
Elle était pire que Zach. Pire au point qu’elle était l’un des rares points d’entente entre les deux garçons. Un argument pour s’allier, quand bien même Andy aurait certainement préféré que ce soit dans d’autres circonstances. Paradoxalement, ils s’entendaient bien, quand on parlait de la faire tourner en bourrique. Elle avait eu droit aux insectes dans les chaussures, aux araignées dans les cheveux. Ils avaient craché dans son shampooing, ils avaient glissé plus d’une fois des punaises dans son lit, ils avaient même réussi l’exploit de bouger plusieurs fois les meubles dans la même journée pour la voir se casser la figure. Ce n’était pas bien, les deux ados le savaient. Mais c’était mérité.
Parce qu’Emily n’avait pas sa place ici. Elle n’avait pas sa place dans le coeur d’Andy.

C’était étrange d’avoir autant de complicité avec cet enfoiré de Zachary, mais comme le disait le dicton « les ennemis de mes ennemis sont mes alliés ». Pas amis, il faut pas non plus déconner. Ils avaient réussi un exploit de taille, ce jour là. Woody, le chien d’Emily, était toujours à côté d’elle. Il n’avait pas suffi de grand chose pour motiver l’animal à faire autre chose de sa journée. Ils avaient enlevé son harnais de travail et, la brave bête persuadée qu’elle était en congés avait joyeusement accepté une balade en laisse avec Kyle pendant que Zachary occupait la merdeuse. Kyle était ravi. Non seulement il avait la bête rien que pour lui, mais en plus il avait pu filer à fond de train avec son vélo à travers les bois environnant Bray, le Golden Retriever sur les talons. Une journée de repos pour ses nerfs, et ceux de Woody. Une promenade sportive improvisée qui avait pris toute l’après-midi, jusqu’au coucher du soleil. Quand il était revenu, le chien était épuisé, et Kyle nettement moins en colère contre le monde. Apaisé, même. Un état second provoqué par les endorphines, la sensation de flotter à chaque pas. L’odeur du repas que préparait Andy chatouillait agréablement ses narines, alors qu’il rangeait son vélo dans le garage et rejoignait le perron. Une bonne journée. Une de ces journées qui vous donnent envie non pas de vous tailler, mais bien de rester pour une période indéterminée.

Il venait tout juste de franchir le pallier et de libérer le chien de sa laisse que ce dernier se rua à l’étage, grimpant les marches quatre à quatre.

-Woody ! Reviens ici, saloperie de clébard !

Mais l’animal n’en avait cure. Sa queue touffue battant vigoureusement l’air, il se précipita vers la quatrième chambre, celle qu’occupait Emily à chaque fois qu’elle venait s’incruster chez Andy. Kyle le poursuivit, passablement agacé. Ses mollets commençaient à tirer, et il n’avait aucune envie de se faire engueuler à cause de son coup de grâce. La porte était ouverte, et il s’y engouffra. Woody se lovait contre sa maîtresse, se frottant à elle avec une intensité proche de l’hystérie. Il n’y a rien de plus ingrat qu’un chien. A part peut-être un chat.
Les bras croisés, le blond laissa passer un soupir exaspéré entre ses dents serrées. Allait tourner les talons, avant de remarquer les mouvements approximatifs de la nièce d’Andy. Elle semblait fébrile. Elle n’avait surtout pas l’air de l’avoir entendu, ses pas étouffés par le fracas des pattes du canidé sur le parquet. Considérant la valise à moitié remplie devant la jeune fille, il haussa un sourcil goguenard.

-Tu te casses ? C’est pas trop tôt !

Enfin. Elle était là depuis quelques jours à peine, et c’était déjà trop. Une bouffée de chaleur gonfla sa poitrine alors qu’un sourire satisfait s’étirait sur son visage. Un sourire bien trop confiant, bien trop fier quant à l’idée que ce soit à cause de Zach et de lui qu’elle se tire enfin.

-J’t’amène à la porte pour aller plus vite. Y’a un bus qui part dans vingt minutes.

Kyle ne lui avait pas décroché un mot de la journée, mais ceux-là étaient incroyablement jouissifs. Qu’elle se tire. Elle n’avait rien à foutre ici, cette garce. Il quitta sa position d’observation à l’entrée de la chambre et se rapprocha, le pas silencieux. Elle avait horreur de ça, et il le savait pertinemment. Pourtant, arrivé à sa hauteur, il réalisa que quelque chose n’allait pas. Quelque chose qui le poussa à froncer les sourcils. Des larmes.

-Ah putain, tu chouines...

Il se mordit la lèvre inférieure. Ce n’était pas le moment qu’Andy réalise qu’il avait fait une magnifique bourde, et encore moins qu’Emily était encore en train de jouer la comédie. Même si, étrangement, cette expression sur son visage il la connaissait parfaitement. C’était la même qu’il croisait dans le miroir accroché dans le couloir, les soirs de trop-plein, lorsqu’il se faufilait dans la chambre d’Andy en quête de bras qui le soutiennent alors qu'il craquait. Emily était en train de craquer. Et Andy ne devait surtout pas voir ça.
Alors il fit ce qui lui sembla le plus logique sur l’instant. Il partit fermer la porte à grands pas, avant de rejoindre la sale gosse. De scruter son visage, de guetter quelque chose, n’importe quoi, même de la hargne, dans son regard voilé.

-...T'es vraiment en train de te tirer, là ?
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Les vêtements s’empilaient dans la valise et je savais pertinemment que je n’aurais pas la place pour tout mettre. Mais j’essayais, sait-on jamais, peut-être aurais-je droit à un miracle pour une fois, et que la valise s’agrandirait d’un coup. Peut-être que je deviendrais Mary Poppins et que non seulement elle aurait une capacité infinie, mais qu’en plus je pourrais régler tous mes soucis en un coup de chansonnette et de claquettes. J’essuyai rageusement une larme, encore une, qui roulait sur ma joue, et reniflai un coup. Andy était en bas, il n’était pas monté me demander ce que je faisais et c’était tant mieux. Je ne voulais pas lui faire de peine. Il était bien le seul à qui je ne voulais pas faire de peine.
Je tâtai mon lit à la recherche de ma trousse de toilettes, emballée à la va-vite. J’y trouvai le jouet de Woody à la place. A peine entra-t-il en contact avec ma main que je poussai un nouveau gémissement. Cela faisait des heures et Woody n’était toujours pas là. Un des garçons l’avait emmené. Je ne voyais que cette possibilité, et honnêtement, ce ne serait pas étonnant. Ils avaient déjà été odieux, mais me prendre Woody, c’était le pire. C’était m’enlever une partie de moi-même, mon meilleur ami, l’unique être vivant qui ne me lâcherait jamais. De toute façon, Zach et Kyle n’était que des petits cons, ils n’avaient jamais voulu de moi ici. Personne n’avait jamais voulu de moi. Andy, il m’accueillait parce qu’il était comme ça, il accueillait les gamins esseulés et paumés. Mais il avait déjà les deux garçons à gérer et moi, j’étais de trop. J’étais de trop partout. C’était bien pour ça que la valise était sur le lit. J’allais quelque part où je ne serais pas de trop.

« Woody ! Reviens ici, saloperie de clébard ! »
J’entendis les bruits de pattes frénétiques puis ma boule de poils préférée me sauta presque dessus. Je laissai échapper un petit rire. Woody avait l’air content. C’était déjà ça. Je me lovai contre lui. Il était encore jeune, techniquement, mais c’était un énorme chien et bientôt il m’engloutirait toute entière. Je n’avais même pas eu le temps de profiter que des pas s’élevèrent dans les escaliers puis dans le couloir. Je soupirai, ne daignant pas me tourner pour faire face à celui qui venait.
« Tu te casses ? C’est pas trop tôt ! »
Evidemment, c’était Kyle. Avec sa tête de con et sa voix condescendante. Il ne m’avait, dans mes souvenirs, jamais adressé la parole autrement que de cette voix. Une des raisons pour lesquelles je partais. Ca et le fait que Kyle me détestait, qu’il m’accusait de voler Andy, qu’il me hurlait de partir régulièrement, et qu’il m’avait volé Woody. Je ne répondis pas, reniflai un coup, puis continuai à faire ma valise. Je voulais juste qu’il me laisse tranquille. S’il allait prévenir Andy, c’était une autre histoire, mais après tout, il voulait que je parte, alors pourquoi aller prévenir Andy ? C’était le meilleur moyen de me faire rester. D’ailleurs, il proposa même de m’accompagner à la sortie. Quel crétin. Mais je n’étais plus à ça près. Dans quelques heures, Kyle serait loin, Zach aussi, mes parents aussi, et je serais libre. Je pouvais bien subir les brimades de Kyle encore un peu.
« Ah putain, tu chouines.. »
« Observateur », lâchai-je de façon à peine audible. La présence de Kyle me hérissait le poil chaque seconde supplémentaire qu’il passait dans cette pièce. Qu’il me laisse m’en aller. Il serait tranquille. Il pourrait reprendre sa guerre stupide avec Zach. Il pourrait continuer à être ingrat envers Andy. Il n’aurait qu’à se trouver un autre souffre-douleur. Ce n’était pas ça qui manquait. Mais j’entendis le bruit de la porte se fermer et Kyle revenir vers moi. Il me regardait, je sentais le poids de ses yeux sur mon visage. Il allait encore trouver quelque chose à dire, une crasse à me jeter au visage, une petite dernière pour la route.
« ...T'es vraiment en train de te tirer, là ? »
Je levai la tête. Pour la première fois depuis qu’il était entré. Le ton de sa voix avait changé. Tout à coup, comme s’il s’était rendu compte que j’étais sérieuse. Que je ne faisais pas semblant.
« Oui, je me tire. Promis, ce soir, tu seras tranquille, vous ne serez plus que deux à vous partager Andy. Tu veux bien sortir maintenant ? »
Je secouai la tête.
« Sans emmener Woody. Je ne peux pas aller au bus sans lui. Maintenant laisse-moi. S’il te plait. »
Mais Kyle ne bougea pas. Enfin, pas assez vite à mon goût. Il restait là et la pression était déjà trop forte. Il suffisait d'un rien pour que je craque complètement. Une seconde passa. Suffisante.
"Tu vas rester planté à me regarder comme un crétin?", dis-je à Kyle, énervée, haussant le ton. "Qu'est-ce que tu veux, Kyle? Tu veux me dire que t'es content que je parte? C'est bon, je le sais, je l'ai compris, je suis aveugle, pas sourde, pas idiote. Tu cherches une dernière atrocité à me balancer avant que j'y aille? Sors d'ici, réfléchis, reviens quand tu auras trouvé, je serai encore là dans cinq minutes va."
Je pointai un doigts rageur vers Kyle. Enfin, vers ce que je supposais être sa position dans l'espace. Enervée, j'avais du mal à me fier à mes sens.
"Tu sais quoi, quand je serais partie, je t'oublierai, je vous oublierai Zach et toi, et ce sera mieux, pour tout le monde, et surtout pour moi. Tu te crois cool de t'en prendre à moi, vous vous trouvez tellement malins toi et ton frangin. Vous êtes pathétiques. Prendre Woody, sérieusement? T'as rien de mieux à faire? Je crois que je préfère encore l'indifférence de mes parents à votre méchanceté."
Ce n'était pas vrai, en fait. Je préférais mille fois l'enfer que me faisaient vivre Zach et Kyle. Parce qu'au moins, j'existais pour eux. Alors que pour mes parents, j'étais soit transparente, soit un poids trop lourd à porter.
"Maintenant que vous êtes débarrassés de moi, entretuez-vous avec Zach, le vainqueur aura Andy pour lui tout seul. Vous serez seuls et malheureux et ça me fera plaisir."
Je me pinçai les lèvres. J'étais allée trop loin. Je baissai la tête.
"Désolée. Je voulais pas dire tout ça."
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Alors c'était vrai. Ce regard, cette expressions, disaient vrai. Cette valise à moitié remplie, dans laquelle Emily continuait d'empiler des vêtements, était bien réelle. Ils avaient atteint le point de non retour, celui où la merdeuse n'en pouvait plus et leur donnait enfin ce qu'ils voulaient, Zach et lui. La regardant faire, ses mains fébriles au-dessus du contenant, Kyle se mordit l'intérieur de la joue. Parce qu'un de ses rêves les plus fous se réalisait, et quelque chose n'allait pas. Quelque chose ne collait pas. Il n'aurait pas su l'expliquer, ce quelque chose. Il n'avait ni les mots, ni le vocabulaire, juste cette impression que ce n'était pas à elle de faire sa valise en ce moment présent. Que c'était lui qui aurait dû la faire, une fois, douze fois, un milliard de fois, avant elle.
Que ce n'était pas juste, que ce soit elle qui parte. Ils avaient beau avoir été monstrueux avec elle, ce n'était pas juste qu'elle soit la victime dans cette histoire. Ce n'était pas juste parce qu'il était comme elle. A deux doigts de prendre la tangente à chaque fois que c'était trop, sur la brèche parce que c'était toujours trop. Mais qu'en savait-elle, de la souffrance ? A juger son expression, suffisamment pour qu'il se taise. Enfonçant ses mains dans ses poches, incapable de leur trouver une utilité, il resta à côté d'elle en silence. Au fond, il n'avait pas envie qu'elle parte. Au fond, il l'aimait bien, même si elle lui cassait les pieds. Mais il était incapable de le lui dire. Il n'aurait jamais su comment le dire.
Sa présence fut clairement la goutte de trop. Comme si elle lisait dans ses pensées, la brunette s'emporta brusquement, frappant tous les points de pressions qu'elle aurait pu trouver avec une précision chirurgicale. Ils étaient comme ça, dans cette "famille". Quand ça allait mal, ils ne pouvaient pas tout garder pour eux. Il fallait nécessairement que quelqu'un d'autre tombe à leur place. Il pouvait sentir la colère d'Emily envahir l'espace, comme une force invisible l'enveloppant toute entière. Tangible. Communicative. Se mordant l'intérieur de la joue, il encaissa, avec une patience qui le surprenait lui aussi. En temps normal, il aurait claqué la connasse et elle se serait tirée sans son aide. Mais ce n'était pas un temps normal.

-Non, connasse, je bouge pas.

Il n'avait aucune intention de se tirer, et elle pouvait gueuler autant qu'elle voulait, elle l'aurait dans les pattes. Parce qu'elle avait touché cette corde sensible, celle de sa culpabilité, et que rien que pour ça il la ferait chier jusqu'au bout. Tout du moins s'en persuadait-il. Parce que les sentiments confus qui valsaient sous ses mèches blondes étaient partagés entre la compréhension et ce besoin viscéral d'empirer la situation. Mais pas cette fois. La connerie était allée assez loin. Beaucoup trop loin.
Alors il prit sur lui. La laissa partir trop loin, elle aussi. Laissa la colère gonfler tout ce qui lui restait de dignité, la laissa enflammer tout ce qui le maintenait encore dans cette maison de merde au milieu de tous ces enfoirés. Chaque mot prononcé par Emily était du fiel, et il le comprenait parfaitement. Parce que tout ce qu'elle disait, il se le disait tous les jours. Tout le temps. Un jour, je me casserai. Un jour, je les oublierai. J'ai pas besoin d'eux. Je préfère être seul. Je préfère vivre seul tout le reste de ma vie parce que cette bande d'enfoirés hypocrites ne savent rien.
Ils ne savent pas qu'en réalité, je ne suis rien. Ils ne savent pas en réalité qu'au fond, tout ce que je veux, c'est pleurer, pleurer à m'en crever les yeux, hurler à m'en arracher les poumons, frapper à m'en bousiller les doigts, et finalement, finalement, que tout s'arrête.
Que tout s'arrête vraiment.
Ses poings étaient serrés dans ses poches, tant il bouillonnait. Tant l'envie était là, de lui fracasser la gueule, pour tirer un trait définitif sur ce qui était eux, ce qui faisait la pseudo-cohésion de cette pseudo famille de merde, et se faire envoyer dans un nouveau foyer ou en détention juvénile. Son regard se brouillait à mesure que son cœur bondissait dans sa poitrine, à mesure que la déception se transformait en rage, à mesure que la douleur hérissait chacun de ses sens. Parce que c'était plus simple. Mais il se retenait. Jusqu'à ce qu'il n'y arrive plus. Jusqu'à ce qu'elle s'excuse et que tout explose. Son poing serré se fracassa violemment contre le sommier, à défaut de la figure d'Emily. Parce qu'elle n'avait pas le droit.

-Tu sais ce que c'est, tout ce que tu dis ? De la merde !

Ca grondait. Sinistre et parasite. Ca grondait. Mais il ne la laisserait pas faire. Pas ce soir. Pas alors qu'il avait tout prévu. Pas alors que c'était pas à elle de se tirer.

-T'en penses rien, pas une seule miette, de ce que tu dis, et j'suis clairement pas le genre de con à qui il faut beugler ce genre de merde. Tu crois que tu préférerais l'indifférence ? C'est des conneries et on le sait tous les deux.

La douleur qui émanait de ses phalanges avait remis un soupçon de clarté dans ses pensées. Les larmes aux yeux, la voix tremblantes entre la hargne et la douleur qu'il ne contrôlait pas suffisamment, il poursuivit, sa voix montant en intensité sans qu'il ne le veuille. Parce qu'elle n'avait pas le droit.

-Alors quoi, tu vas te tirer parce qu'on est "méchants" ? Parce qu'on est une bande de connards ? Mais putain, Emily, si j'avais eu le quart de la moitié de l'attention qu'on te porte je serais resté. Et tu sais pourquoi ? Parce que l'indifférence c'est comme les coups de canne, ça te bouffe, ça te transforme,
ça te tue, merde !


Il se redressa brusquement. La colère était insoutenable, la douleur insupportable. La mâchoire serrée pour se retenir de hurler plus fort, pour éviter qu'Andy l'entende, il se donna un coup de poing dans la cuisse. Délocaliser la douleur. S'offrir une nouvelle minute de lucidité, le temps de poser un regard assassin dans les yeux voilés de sa "cousine".

-On sait toi comme moi que t'as aucune envie de te tirer, en vrai. Que tu te sens "chez toi" avec Andy. Alors t'es gentille, tu me casse la gueule si ça te fait plaisir mais tu ranges ta valise et t'arrêtes tes conneries.

Parce que ses coups seraient plus supportables que ses attaques. Parce qu'ils seraient plus justifiés, qu'ils feraient tout aussi mal, mais qu'il ne pourrait pas lutter contre eux. Parce que de toutes façons, c'était le seul, l'unique langage qu'il connaissait. Sans le vouloir il s'était rapproché. Sans le vouloir, il avait attrapé ses bras, et serré ses doigts sur ses chairs, à deux doigts de la secouer violemment. Parce que si c'était lui qui était en face, lui-même, il n'aurait pas hésité une seconde. Parce que si ce n'était pas elle qu'il tentait de convaincre, il espérait se convaincre lui-même.

-Frappe-moi. T'en crèves d'envie. Alors fais-le, mais fais pas chier Andy avec nos conneries.



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« Non, connasse, je bouge pas. »
Je soupirai. De mieux en mieux. Je me faisais traiter de connasse, maintenant. Un sobriquet bien sympathique, à l’image de Kyle et de toute l’affection qu’il avait toujours eue pour moi. Je demandais juste à faire ma valise tranquille, et partir. Pourquoi est-ce qu’il restait ? Pourquoi est-ce qu’il ne me laissait pas partir ? On serait tous mieux. Moi la première. Mais lui ne s’en plaindrait pas, a priori.
Au contraire. Il s’énervait. Mais ce n’était pas juste de l’énervement. Il y avait quelque chose de différent dans sa rage. Des larmes que je ne pouvais pas voir, mais que j’entendais. Que je sentais. Qui me surprirent, parce que je n’avais jamais senti Kyle comme ça. Il était toujours sur le fil, en équilibre instable, prêt à exploser dans la colère. Mais jamais dans les larmes. J’étais effectivement allée trop loin, et je n’allais pas tarder à le regretter. Le poing de Kyle s’écrasa près de moi, trop près, m’arrachant un sursaut et un cri de stupeur et de peur mélangées. Et Kyle explosa.
« Alors quoi, tu vas te tirer parce qu'on est "méchants" ? Parce qu'on est une bande de connards ? Mais putain, Emily, si j'avais eu le quart de la moitié de l'attention qu'on te porte je serais resté. Et tu sais pourquoi ? Parce que l'indifférence c'est comme les coups de canne, ça te bouffe, ça te transforme, ça te tue, merde ! »
Les yeux baissés, fermés, j’inspirai doucement. Les mots de Kyle étaient crachés, m’arrivaient au visage comme autant de lames de couteau, douloureux, intenables. Mais je tenais. Parce que je n’avais pas le choix, parce que je l’avais cherché aussi. Parce que nous en étions arrivés au point de rupture, lui comme moi. Et aussi parce que je comprenais ce qu’il disait. L’indifférence c’était pire que tout. Celle de mes parents m’avaient détruite, plus d’une fois. Et oui, Kyle avait raison, leur attitude, à Zach et lui, étaient tellement préférable. Ils étaient horribles envers moi. Mais ils savaient au moins que j’existais. J’ignorais ce que Kyle avait pu vivre, pour ressentir la même douleur que je ressentais. Mais de toute évidence, il était là, chez Andy. Il n’avait pas eu les parents du siècle. Et il était un outsider. Il jouait aux gros durs, mais il serait toujours le gamin placé aux yeux de ceux qui avaient une famille stable et heureuse. Toujours quelqu’un en dehors de la normalité. Comme moi. Pire que moi, peut-être.
« On sait toi comme moi que t'as aucune envie de te tirer, en vrai. Que tu te sens "chez toi" avec Andy. Alors t'es gentille, tu me casse la gueule si ça te fait plaisir mais tu ranges ta valise et t'arrêtes tes conneries. »
Je relevai la tête. Avisai ma valise, sur le lit, qui n’attendait plus que quelques affaires. Le bus passerait bientôt. Je connaissais déjà l’itinéraire. Le reste, je pourrais voir sur place. Je pouvais partir. Le laisser parler, et m’en aller, comme j’avais l’intention de le faire. Woody me donna un coup de tête dans le bras. Comme pour me faire comprendre quelque chose. Comme un « il n’a pas tort ». Je n’avais aucune envie de partir. Qu’est-ce que j’allais dire à Andy ? Que j’étais quelque part, sans aucun plan, seule ? Que plus rien ne me retenait ici ? C’était injuste envers lui. Andy s’était toujours occupé de moi. Et Kyle l’avait dit, il me faisait me sentir chez moi. Il était la seule personne qui me faisait penser que j’avais une famille. Mon cœur et mon esprit se battaient dans un duel qui tournait au carnage. J’étais perdue, ne sachant plus quoi faire.

Les mains de Kyle m’attrapèrent les bras, les serrant, me secouant presque comme un prunier. Je sursautai une nouvelle fois.
« Frappe-moi. T'en crèves d'envie. Alors fais-le, mais fais pas chier Andy avec nos conneries. »
Etait-ce moi qui avais envie de le frapper ? Ou est-ce qu’il voulait, lui, que je le frappe ? C’était difficile de deviner les intentions de Kyle. Agissait-il pour moi ? Pour m’aider ? Parce que quelque part, il en avait quelque chose à faire ? Ou faisait-il tout ça pour ne pas s’attirer les conséquences de ses actes auprès d’Andy ? Parce qu’il avait peur des représailles ?
« Lâche-moi, Kyle. », dis-je dans un souffle.
C’est au moment où ses mains lâchèrent mon bras que j’eus la vision. Elle dura quelques secondes, comme en accéléré. C’était plus une sensation qu’une vision à proprement parler. Quelques images floues et hystériques, et une sensation horrible. Qui s’immisça sous ma peau et descendit de ma nuque jusqu’à mes pieds, me glaçant le sang. La sensation qui donnait envie de hurler mais ne laissait aucun son dans la gorge.
« Tu veux partir aussi. »
Les mots avaient été lâchés rapidement, dans l’urgence. Parce que c’était de ça dont il s’agissait. Kyle qui partait, l’euphorie de la liberté. Et ça se terminait mal, très mal, quelque chose d’horrible. Je ne savais pas quoi, mais ça me terrifiait. J’attrapai la main de Kyle à mon tour.
« Ne fais pas ça, Kyle. Je ne pars pas, ok ? Je reste ici. T’as raison, j’ai pas envie de partir. Mais tu ne dois pas partir non plus Kyle. Quoique que tu aies prévu, annule. S’il te plait, annule. »
Je devais transpirer l’angoisse par tous les pores. Mais ces deux sensations, celle, heureuse, de celui qui part suivre son chemin, et l’autre, horrible, ne me quittaient pas. Les visions me frappaient souvent sans prévenir. Mais là, c’était autre chose. Peut-être parce que c’était Kyle, qu’il était proche, je l’ignorais. Le mal de crâne commençait à poindre, doucement. Je m’en fichais. Il fallait que Kyle me dise qu’il ne partirait pas. Il fallait que je lui évite ça, à tout prix.
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Il ne hurlait pas. Pas encore. Mais son ton était empreint de ce cri en sourdine qui résonnait dans son esprit. Un cri d'impuissance, un cri de rage, toujours le même, celui qui l'animait dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses paroles. Cet appel qu'il ne faisait qu'entendre depuis qu'il avait atterri chez Andy : l'appel de la liberté, la frayeur exquise d'une fuite sans fin sur une durée indéterminée. L'affront d'Emily n'était pas d'avoir voulu fuir, elle aussi. C'était seulement d'avoir voulu le faire avant lui, et pas pour les bonnes raisons. Raisons qu'elle lui avait données avec une simplicité bien trop pure, bien trop honnête, tant ses raisons étaient à des années lumière d'être justifiées aux yeux du blondinet. Ah, elle voulait partir. Ah, c'était parce qu'ils étaient trop cruels, trop cons, sûrement, envers elle. Mais réalisait-elle tout ce qu'elle avait déjà, qui n'attendait que son propre consentement ? Réalisait-elle tout ce qu'elle risquait d'abandonner en esquissant le geste si simple de fermer définitivement sa valise sur sa vie avec Andy ?

Emily n'avait rien répondu aux accusations de Kyle. Pas un mot n'était sorti d'entre ses lèvres ourlées, pas un son sinon une légère plainte, étouffée, quand il avait saisi ses épaules et l'avait secouée. La preuve que son projet à elle n'était pas aussi abouti le sien. Que c'était une réaction spontanée d'enfant, un caprice passager juste dans le but de se faire remarquer. Emily lui avait toujours paru être ce type de gamines, de toutes façons. Une petite merdeuse mal dégrossie qui n'avait pas pris suffisamment de claques pour comprendre à quel point la vie c'est de la merde. A quel point il peut être nécessaire de prendre la clé des champs, à un moment donné, pour éviter aux autres de souffrir.
Emily était une capricieuse. Kyle était un poison. C'était là, toute la différence. Si elle voulait partir, c'était bel et bien pour qu'on la voit. Si Kyle voulait disparaître, c'était pour qu'on arrête de le voir. Une différence cruelle, profonde, qui avait fait monter des larmes de rage dans les iris océan du Triton. Elle n'avait pas le droit, non, elle n'avait pas le droit de faire ça à Andy. Il n'en avait pas plus le droit mais sentait une plus profonde légitimité dans ses projets : c'était pour protéger Andy. Les protéger tous les trois, Andy, Zachary, Emily aussi, les protéger de son besoin persistant de destruction. Il n'était pas seulement question de se tirer loin d'une situation problématique. C'était aussi une nécessité d'empêcher ses proches de se détruire à son contact. Dépité, il relâcha les épaules de sa cousine par obligation. Renifla, l'air mauvais, en la voyant tenter de se recomposer.

Pendant un bref instant, les yeux déjà voilés de la brunette semblèrent fuir plus que d'ordinaire. Elle avait l'air ailleurs, comme si ses yeux aveugles étaient capables de voir des choses qui n'appartenaient pas à cette strate de la réalité. Kyle grogna entre ses dents. Voilà qu'elle allait prétendre une syncope ou une connerie du genre pour ensuite appeler Andy à l'aide, et tout lui mettre sur le dos. Guettant la porte et Emily, alternativement, il se prépara à bondir. Partagé entre l'envie de lui coller une baffe pour la faire revenir à elle et celle d'appeler Andy en premier pour prévenir les dégâts, il resta sur le qui-vive jusqu'à ce qu'elle semble revenir à elle. Son coeur battait la chamade. Pourvu que cette petite pute de comédienne ne lui fasse pas ce coup-là. Déjà qu'il ne la tenait pas franchement en estime, ce serait quand même sacrément une belle connasse. Parce que tout ce qu'il avait voulu faire, même maladroitement, c'était de l'aider.

Quand elle reprit la parole, il fallut un temps d'adaptation au blond, tant il ne s'attendait pas à ça. Fronçant les sourcils, il jeta un dernier coup d'oeil à la poche avant de se pencher vers elle. De répondre à voix basse, certain que personne ne les entendrait.

-T'as fouillé dans mes affaires ? T'as trouvé mon sac ?

Menace. Sa voix était lourde de menaces, mais la précipitation dans l'intonation de la brunette ne laissait pas de place à l'interprétation. Quand bien même, il s'était arrangé pour que personne ne le repère dans ses préparatifs. Son sac était bien caché au fin fond de son armoire, et il s'arrangeait toujours pour empaqueter ses affaires dans la plus grande discrétion. Et si son projet n'était inconnu de personne, s'il avait déjà fait quelques fugues depuis son arrivée chez Andy, ces préparatifs là étaient pour de bon. Et personne ne devait être au courant.
Alors comment ? Comment pouvait-elle savoir ça ?

Les doigts d'Emily agrippèrent subitement sa main, le faisant sursauter. Elle savait, cette saleté. Elle savait qu'il avait horreur d'être touché, qu'il ne devait jamais être touché et que les rares qui s'y étaient essayés s'étaient pris un bon retour de flammes. Mais c'était Emily. Alors il se retint, retint sa main de voler et de s'écraser sur sa joue ronde. Se contenta de repousser brutalement son étreinte, sans concession. Ce qu'elle racontait ne faisait aucun sens. Strictement aucun. Ne pas partir, et puis quoi encore ? Il en rêvait. Il en crevait, de rester dans cette maison. Elle ne réalisait pas ce qu'elle lui demandait, et le deal était tout sauf considérable.

-Non mais t'es complètement barjot, va falloir te faire soigner !

Elle exsudait la terreur, dans ses gestes, dans ces grandes billes ouvertes comme des soucoupes, et pourtant il n'avait aucune envie de l'écouter. Parce que tout avait l'air trop réel, trop concret, depuis son espèce d'attaque. Parce que ça lui foutait les foies au point où il allait éventuellement reconsidérer ses projets, juste parce qu'elle avait l'air sincèrement perturbée par quoi que ce soit que ses yeux laiteux aient pu voir.
Mais non. Parce que c'était Kyle. Parce qu'il se savait supérieur à quelque type de conneries que cette merdeuse pouvait lui lancer en pleine figure. Une assurance qu'il se précipita de prouver, d'une voix trop rapide, trop sèche.

-J'sais pas c'qui te passe dans la tête, la morveuse, mais va falloir que tu te calmes. Tu parles comme une psychopathe.

Et elle réussissait à lui faire peur au point que son coeur battait la chamade. Peu rassuré, Kyle jeta un dernière coup d'oeil en arrière. Sur le lit, Woody croisa son regard et battit joyeusement de la queue sur la housse de couette, atténuant tout bruit potentiel que Kyle aurait pu entendre dans le couloir. Con de chien. Une distraction sonore qui eut le don d'irriter d'avantage le Triton, alors qu'il se retournait vers sa cousine par obligation. N'y tenant plus, il empoigna son poignet et le serra, l'attirant vers lui. Elle n'avait pas le droit. Elle n'avait pas le droit de retourner la situation à son avantage.

-Bon maintenant on arrête les conneries. On les arrête vraiment. J'ai prévu de me tirer et c'est pas tes espèces de fausses crises à la con qui vont m'en empêcher, compris ? Par contre j'te jure, t'en baves un mot, un seul à Andy, et je te refais le portrait au point que ta bourge de mère te reconnaîtra jamais.

Menaces, de nouveau. Son visage était suffisamment proche du visage arrondi de la jeune fille pour qu'il puisse sentir la chaleur de son souffle sur sa propre peau. Pendant tout le temps qu'il avait passé à confesser ses projets, il avait resserré ses doigts en étau sur son poignet. Lâcha ce dernier avec brutalité, pour constater qu'il y avait laissé une marque. En espérant qu'elle disparaisse rapidement. Il n'avait même pas eu l'impression de serrer aussi fort.

-Que tu aies décidé de pas te barrer, c'est ton problème. Mais compte pas sur moi pour m'empêcher de me tirer. C'est pas comme ça que ça marche, j'ai pas signé de pacte avec mon sang pour toi. Donc tu me fous la paix, et si j'te choppe à baver à Andy, tu vas le sentir passer. C'est clair ?

Il aurait voulu que sa voix soit plus assurée. Que la portée de ses menaces s'imprime de manière indélébile dans l'esprit d'Emily, et qu'elle saisisse bien toute l'intensité de sa colère. Mais le doute s'était instauré dans sa voix, autant que dans ses attitudes. Parce qu'il y avait quelque chose dans le ton pressant de la brunette. Dans son attitude, dans son émoi. Une sincérité qu'il ne lui avait que trop rarement vue pour qu'elle n'atteigne pas Kyle.
Et elle l'avait atteint.
Connasse.




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« Non mais t'es complètement barjot, va falloir te faire soigner ! »
Kyle avait rejeté ma main, violemment. Dans ma panique, j’avais franchi une limite que je n’étais pas censée franchir avec lui. Mais mon cœur battait encore à tout rompre et oui, j’étais probablement en train de ressembler à une folle furieuse. Mais il fallait qu’il m’écoute. Il ne devait pas partir. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais je savais qu’il ne devait pas partir. Et j’avais beau savoir que les Oracles étaient destinés à voir le futur mais pas à le changer, je devais essayer. Je brisais peut-être une règle primordiale, et j’ignorais les conséquences de mon action. Mais je devais essayer de changer l’avenir, d’empêcher Kyle de partir de…le sauver.
Sauf qu’il ne m’écoutait pas. Tout ce qui lui importait, c’était que j’étais au courant de son projet, et ça semblait le foutre dans une colère terrible. Il se foutait bien de mes avertissements, au final. Ma réaction n’avait pas eu l’effet attendu. Ou plutôt, si, elle avait eu parfaitement l’effet attendu, mais pas celui que je souhaitais. Kyle se pencha vers moi et me serra le poignet, fort, trop fort, et j’essayai de le dégager mais sa pression était trop ferme. Je pinçai les lèvres.
« Bon maintenant on arrête les conneries. On les arrête vraiment. J'ai prévu de me tirer et c'est pas tes espèces de fausses crises à la con qui vont m'en empêcher, compris ? Par contre j'te jure, t'en baves un mot, un seul à Andy, et je te refais le portrait au point que ta bourge de mère te reconnaîtra jamais. »
Je déglutis péniblement. Kyle et moi nous connaissions assez pour que je sache que ce genre de menaces, il ne les proférait pas à la légère. Je l’avais vu menacer des gens avant. Il fonctionnait un peu comme ça, à la dure. Il ne faisait pas ami-ami. Kyle semblait constamment en colère. Et à raison, d’ailleurs, vu ce qu’il avait déjà enduré jusqu’ici. Mais les menaces ne me concernaient jamais, elles ne s’adressaient jamais à moi. Il était infect, souvent, entre les noms d’oiseaux, les moqueries et les blagues méchantes. Mais il ne m’avait jamais menacée directement, froidement, sincèrement. Un frisson me parcourut l’échine. De toute évidence, j’étais allée trop loin. Est-ce que c’était ça, les conséquences, quand on essayait de changer le futur que l’on voyait ?

Kyle me lâcha enfin le poignet, et la douleur reflua dans mon avant bras, m’arrachant un léger soupir de soulagement. Mais il continua ses menaces. Et je hochai la tête. C’était très clair. Je savais qu’il tiendrait parole, qu’il pourrait me faire du mal, pour de vrai. Même si on vivait parfois sous le même toit, même si Andy lui passerait un savon mémorable ensuite. Il pourrait vraiment me blesser. Et il me faisait peur. Je baissai les yeux, essuyai une larme rebelle. Je me sentais impuissante. A quoi ça servait, toutes ces visions, alors ? Pourquoi est-ce que je pouvais voir ce qui arrivait, y compris les choses horribles, si ce n’était pas pour agir ? C’était une torture. Je savais que Kyle allait souffrir, mais je devais l’accepter ? Quel était le but de tout ça, de perdre la vue, de se choper des migraines pas possible, de connaitre des secrets que je ne souhaitais pas connaitre, si ce n’était même pas pour faire le bien, de temps en temps ? Juste un peu, pour ceux qui comptaient, pour ceux qui ne méritaient pas le malheur qui allait leur tomber dessus ?
« Tu ne comprends pas… », dis-je d’une voix implorante. Partagée entre la peur de ce qui pourrait arriver ensuite et l’envie, non, le besoin de le sauver. D’essayer, au moins. D’essayer jusqu’au bout. « J’ai pas fouillé tes affaires, j’ai juste… » J’ai juste quoi ? Vu ? Senti ? Ressenti ? Comment est-ce que j’explique à Kyle que je vois des choses ? C’est n’importe quoi. Déjà qu’il me prend pour une folle, là, je vais être servie en moqueries. On ne parle pas de ces choses-là. Andy me l’a dit, dès le début, que je devais garder tout ça secret. Que c’était dangereux que les gens sachent, pour moi, pour eux aussi. Alors je hausse les épaules et je mens.
« Woody est tombé dessus. Je dirai rien à Andy, mais il faut pas que tu partes. Il faut que tu restes ici. T’es en sécurité ici, et si tu pars, tu ne sais pas ce qui pourrait t’arriver. Et puis ça ferait de la peine à Andy, et à Zach, et à moi aussi. Et c’est dangereux de partir comme ça. Tu comprends ? C’est dangereux. S’il te plait… »
Je relevai la tête. J’étais une bien piètre menteuse. Ca n’avait jamais été mon fort. Trop honnête, trop gentille, trop…des fois j’aimerais être plus comme Kyle. Plus égoïste. Plus réaliste sur le monde. Peut-être que si j’étais un peu plus comme lui, je pourrais l’empêcher de vivre ce que j’ai vu.
« En plus, où est-ce que tu veux aller ? »
Peut-être que s’il me disait où il allait, je pourrais prévenir Andy s’il partait. Andy irait le chercher. Andy le protègerait. Il saurait faire ce que je suis incapable de faire.
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Mon plan n’est pas vraiment super concret, même moi j’étais capable de le reconnaître, mais il avait du panache. Du chien. Préparer mes affaires et attendre le moment où toute la maison ne s’y attendrait pas pour me tirer. Putain, j’étais même en train d’apprendre tous les horaires de bus par cœur rien que pour ça, même si ça relevait de l’impossible. Les chiffres et moi, ça a toujours fait douze. Ca me rentre par une oreille, ça ressort par l’autre, et il faut tout recommencer depuis le début. Mais un jour j’y arriverai. Je me souviendrai de tous, sans exceptions, et je pourrai me tirer à l’heure qui m’arrange le plus. La fenêtre de ma piaule est un peu lâche, elle a suffisamment de jeu pour que j’arrive à l’ouvrir et que je me faufile sur le toit de la terrasse avant qu’elle ne se referme toute seule. De là, je n’aurai qu’à charger mon sac sur mon épaule, glisser le long des poteaux pour rejoindre la terre ferme et filer à l’anglaise. Quand Andy et ce connard de Madden viendront me voir, ils trouveront une piaule parfaitement vide avec une fenêtre bien refermée comme il faut. La porte d’entrée sera verrouillée, celle qui donne sur l’arrière aussi. Le crime parfait, si on parlait de kidnappeurs. Peut-être que je leur laisserai même un petit mot découpé dans des journaux : « Hasta la Vista, bande de cons ! » Le temps qu’ils appellent les flics, je serai déjà loin. Avec un peu de chance, dans une toute autre ville, à l’autre bout de l’Irlande.
N’empêche je me suis toujours demandé, est-ce que ces deux cons seraient prêts à payer une rançon si jamais je me faisais kidnapper ? Est-ce qu’ils iraient jusqu’à faire toute la route jusqu’à Dublin pour me retrouver ? J’en suis pas si sûr. Andy, Andy et son coeur gros comme le monde, il me l’a dit plusieurs fois. On est une famille, blablabla, ce genre de conneries pleines de bons sentiments et que personne ne pense vraiment. Même Madden a tenté de jouer de la corde sensible avec moi. Mais ça marche pas. Parce que j’ai pas ma place ici. Et plus je reste, plus ça me ronge. Je dois me casser, pour ma santé mentale, mais pas seulement. Pour les protéger, eux aussi.

Et voilà qu’Emily s’y met, elle aussi. Sainte Merdeuse avec ses airs de première de la classe, ses grands yeux marrons qui lui bouffent tout le visage remplis de larmes. Sauf que là, ça marche pas. Elle nage en plein délire, la merdeuse, elle se prend pour quoi ? Elle a dû se cogner la gueule contre trop de murs sans son chien, là, elle parle comme une allumée. Elle cherche à me faire flipper ou quoi ? Parce que même si ça me tue de le reconnaître, ça marche, putain.
En fait c’est ça, le problème. Pendant un quart de seconde, j’ai cru à ses conneries. Ses mots se sont ancrés tous seuls dans mon crâne, et ont réussi à secouer tout ce que je tenais pour acquis. Et j’aime pas ça, qu’on s’infiltre dans ma tête. Parce que c’est pas beau ce qu’il y a dedans, c’est sombre, c’est sinistre. Parce que si on secoue tout ça trop fort, comme elle vient de le faire, ça me fout les chocottes. Et avoir peur, ça me rend con.

Je l’ai peut-être secouée un peu trop fort, à voir comment elle se comporte. J’ai pas fait exprès, mais c’est vraiment venu d’un bloc, parce qu’elle a chatouillé là où il fallait pas. Mais je vais pas m’excuser pour autant. Si elle a fouillé dans mes affaires, je la bute. Simple, net et précis. J’ai pas la patience de faire de compromis, pas alors qu’elle déconne à plein régime.

-Ouais c’est ça, prends-moi pour un gland, t’as juste glissé et t’es tombée pile poil sur la boite bien cachée tout au fond de mon placard ? Tu me prends vraiment pour un con ?

Elle bafouille, elle se reprend, et je sens bien que ma voix est bien trop cassante. Qu’elle tape sur ses nerfs bien plus fort que si je lui en collais une. Pourtant c’est pas l’envie qui me manque, là, tout de suite. Parce que si effectivement cette connasse a fouillé dans mes affaires, je vais...
Et elle accuse son chien. C’est de mieux en mieux. J’ouvre la bouche pour rétorquer, mais elle poursuit. Il y a une sorte de précipitation dans sa voix, comme si elle devait caser le maximum d’informations en un minimum de temps. A l’écouter, c’est presque comme si ma vie dépendait de son coup de tête. Alors quoi, je vais faire du mal à Andy, à Zachary, à elle ? Je le sais, tout ça. J’suis un p’tit con ingrat, tout le monde le sait, et ça va pas empêcher la planète de tourner. Parce que tout le monde est au courant, clairement. Les profs, les pions, les deux gars chez qui je squatte, tous mes potes. Y’a qu’Emily qui atterrit vraiment, faut croire. Mais elle m’apprend rien de nouveau. Elle m’apprend pas que rester ça pourrait changer les choses, ou que partir les rendrait pires. Parce qu’au fond, on sait tous les deux que tant que je suis à Bray, rien n’ira jamais bien. Que la peine, ils l’ont déjà, Andy et Zachary. Et qu’il n’y a qu’une seule solution pour que tout s’arrête vraiment.
Pourtant ça l’empêche pas de continuer, comme un vieux disque rayé. Elle saute une piste et y revient, encore, encore, encore, elle tourne en boucle et ça me tape sur le système. Mon poing s’est serré contre mon flanc, parce que j’ai de nouveau envie de la secouer. Sauf que vu son état de nerfs, si je la touche, je sens qu’elle va se mettre à hurler. Et ça, ça m’arrange absolument pas.
Alors je marmonne, entre mes dents serrées. A travers ma mâchoire si tendue que si je l’ouvre, je sens les tendons sur le point de craquer.

-Qu’est-ce que ça peut te foutre, où je vais ?

Lui dire pour qu’elle aille tout baver à Andy ? Hors de question. Ma voix est un raclement de gorge, un feulement rauque, chargé de toutes les menaces que j’ai envie de faire mais la flemme de vocaliser. Elle entre sur un terrain miné, et elle le sait parfaitement. Mais sa persistance, c’est ce qui a toujours caractérisé ma « cousine ». Elle ne sait jamais quand il faut s’arrêter, et encore moins avec moi.

-Je rentre chez moi, voilà où je vais.

Ma voix claque, sombre et orageuse, alors que je cherche bêtement à planter mon regard dans ses grands yeux marrons. Ce qui est très con de ma part, vu qu’elle est aveugle. C’est un truc que j’ai toujours trouvé chiant, ça, chez les aveugles. Les faibles, tu plantes un regard assassin dans le leur et le tour est joué. Emily, ses yeux partent tellement en couilles que c’est strictement inutile. Au moins l’avantage, c’est que si jamais un coup part tout seul, elle le verra pas venir. Même si j’ai pas envie de la frapper. J’ai plus envie de la frapper.
Parce qu’au fond, chez moi, c’est où en vérité ? C’est pas ici, dans cette maison familiale, c’est pas auprès de tous ces gens qui me tolèrent tout juste depuis des années. C’est pas chez Deirdre, certainement pas ! Mais alors c’est où, chez moi ? J’ai pas réfléchi aussi loin, c’est vrai. Chez le Père Matthews ? Ce serait un bon départ. Même si j’ai aucune idée d’où il crèche. Au pire j’irai m’échouer dans son église, il sera bien forcé de me recueillir pour éviter d’avoir un cassos dans son confessionnal. Charité chrétienne, ce genre de conneries. Ca ne peut que marcher, non ?
Me forçant au calme, je respire profondément par les narines. L’assistant social m’a filé un truc pour me calmer, des élastiques en caoutchouc sur mes poignets que je dois faire claquer contre ma peau pour me rappeler à l’ordre quand je pète un plomb. J’ai pas fait suivre. La première fois que j’ai tenté, j’ai tiré si fort sur l’élastique qu’il s’est pété entre mes doigts. Moins à même de la cogner, je me penche vers elle. Marmonne, de nouveau, la voix suffisamment basse pour qu’elle seule m’entende.

-C’est une blague en fait, ton élan de connerie ? Un truc que t’aurais prévu avec Madden avant que je rentre ? Genre caméras cachées, ce genre de merdes ? Non parce que j’ai vraiment l’impression que tu te fous de ma gueule. Et si tu comptes me faire cracher le morceau, tu peux bien crever, je te dirai rien.

Je ne la frapperai pas. Parce que ça foutrait beaucoup trop la merde entre nous, mais surtout Andy serait beaucoup trop méfiant vis à vis de moi. Et je sais qu’il me tient à l’oeil. Il est clairement pas habitué à distribuer les coups, mais je sens qu’il ne manque pas de grand chose. Que les gens trop gentils qui m’entourent ne sont pas si différents que tous ceux que j’ai toujours connus.
Il ne suffit que d’un déclic pour les rendre tout aussi cons que les autres.

-Avoue. Avoue connasse, ton p’tit truc de barjot c’était prévu avec Madden. Il est derrière la porte, j’ai pigé, me prends pas pour le dernier des cons.  

Ma voix tremble en y pensant, la colère gonfle ma gorge en même temps que la frayeur. Si Madden est au courant, il y a fort à parier qu’Andy sait déjà tout ce que j’ai prévu. Mon poing se resserre instantanément, sous la déception, la hargne et l’incrédulité. Un frisson de malaise me transperce alors que je tente, encore, de scruter son regard fuyant à la recherche de la moindre information. Peut-être même la moindre confirmation.
Parce que là, j’aurai une raison valable de péter quelque chose.


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« Ouais c’est ça, prends-moi pour un gland, t’as juste glissé et t’es tombée pile poil sur la boite bien cachée tout au fond de mon placard ? Tu me prends vraiment pour un con ? »
Non. Je ne le prenais pas pour un con, je ne le prenais jamais pour un con. Bon, occasionnellement, mais c’était mérité, parce que des fois, Kyle était con. C’était un fait, pas un reproche. Mais le plus souvent, je n’osais même pas le penser. Déjà parce que je pense que Kyle était plus intelligent qu’il ne voulait bien laisser paraitre. Aussi, parce que cela risquait de me coûter la vie.

Et puis, qu’est-ce que je pouvais dire ? Ma défense n’était pas très solide, il fallait l’avouer. Mais la vérité ne le serait pas bien plus aux yeux de Kyle. Déjà qu’il me prenait pour une folle, si je lui avouais que j’avais vu des bribes de son destin, j’étais fichue. Alors oui, je le prenais un peu pour un con. Pour son bien, pour le mien. Parce que mentir, parfois, était bien préférable à la vérité. De toute façon, la façon dont j’étais au courant importait peu, au fond. Ce qui comptait, c’est que je savais. Et que je devais l’empêcher de partir. J’aurais aimé, pour une fois, avoir une vision plus forte. Deviner où il allait, quand, comment. J’aurais eu des informations utiles pour transmettre à Andy et que quelqu’un de plus fort que moi puisse l’empêcher de se foutre dans la merde. Mais je n’avais rien que ces flashs et cette impression. Rien qui pourrait m’aider réellement. Une vision juste bonne à me mettre Kyle à dos et m’inquiéter jusqu’à ce que l’inévitable se produise.
Kyle refuse de me dire où il compte aller. Evidemment. Je suis une terrible menteuse, mais je suis une interrogatrice vraiment pourrie. Et lui est trop malin, il a vu clair dans mon jeu. Et il est en colère, tellement en colère. Tout en lui irradie la colère. Sa voix est persiflante comme jamais, et je sens d’ici ses muscles tendus. Je sais que s’il pouvait, il se déchainerait et me frapperait. Mais il y a Andy en bas, et des voisins, et il sait que s’il le fait, il ne sera jamais pardonné. C’est peut-être la seule chose qui le retient, les conséquences. Et je remercie le ciel pour ça. Jusqu’au moment où il pètera un plomb et ne pourra plus se contenir. J’ignore d’où vient toute cette colère chez Kyle, mais c’est comme si chaque cellule de son corps contenait de la colère, que tout son être n’était qu’une bouteille de soda qu’on a trop secouée. Qui attend qu’on ouvre le bouchon, juste un peu. Juste assez pour laisser tout s’échapper. J’espère que ce jour-là, quand Kyle explosera, je n’en serai pas la cause.

« Je rentre chez moi, voilà où je vais. »
La réponse me surprend. Comme un coup de poing dans les côtes. Chez lui ? C’est ici, chez lui. Ici, avec Andy. Avec nous. Et je ne comprends pas que Kyle puisse considérer un autre endroit comme chez lui. Pas avec tout ce qu’Andy a fait pour lui. Andy qui l’a recueilli, qui l’élève comme s’il l’avait conçu. Malgré toutes les emmerdes que Kyle a pu lui apporter. Malgré toutes les fois où Andy a dû aller le chercher chez le proviseur après une bagarre, une insulte, un « incident » comme ils disent. Andy va le chercher chaque fois, il le ramène ici. Il lui fait un peu la morale, puis lui sourit. Pardonne. Aime. Aime à en crever. J’ai des parents à moi, et jamais de toute mon existence ils n’ont été capables de me donner l’amour que me donne Andy. Et je ne suis là que quelques jours par mois. Le reste du temps, il donne tout cet amour à Kyle et Zach. Mais Kyle osait dire qu’il rentrait chez lui. C’était ingrat. C’était stupide. C’était….dire que j’avais failli faire la même chose même pas dix minutes. Moi aussi, je suis ingrate. Et stupide. Si Andy savait quel point ses protégés sont incapables de lui rendre ne serait-ce qu’un centième de ce qu’ils reçoivent. Mais Kyle m’avait sortie de ça. Il m’en avait empêchée. Je savais maintenant que c’était une mauvaise idée. Il me restait à le persuader de la même chose. Tache nettement moins aisée que dans l’autre sens, de toute évidence.
Mais avant que j’aie pu dire quoi que ce soit, j’entend les quelques pas de Kyle, le sent s’approcher. Trop près. J’amorce par réflexe un mouvement de recul, mais me ravise. Je risquerais d’empirer la situation en fuyant.

« C’est une blague en fait, ton élan de connerie ? Un truc que t’aurais prévu avec Madden avant que je rentre ? Genre caméras cachées, ce genre de merdes ? Non parce que j’ai vraiment l’impression que tu te fous de ma gueule. Et si tu comptes me faire cracher le morceau, tu peux bien crever, je te dirai rien. Avoue. Avoue connasse, ton p’tit truc de barjot c’était prévu avec Madden. Il est derrière la porte, j’ai pigé, me prends pas pour le dernier des cons. »
De quoi est-ce qu’il parle ? Zach ? Zach et moi ? Qui aurions monté un coup dans son dos pour se moquer de lui ? Il devenait complètement parano. Comment pouvait-il penser que Zach et moi nous entendrions assez bien pour faire ce genre de choses ? D’habitude, c’était plutôt Zach et Kyle qui montaient toutes sortes de coups contre moi, en général pour se moquer de moi, souvent pour me faire craquer et pleurer. Zach et moi, nous ne nous entendions pas. Enfin, plutôt, j’avais à peu près tout tenté pour me faire aimer de Zach, gamine, et il m’avait rejetée chaque fois. Alors en retour, je m’étais mise à le repousser aussi, l’accusant de tout. Tout ce que je pouvais pour l’embêter. Depuis des années, Zach et moi nous repoussions comme deux aimants. Zach et Kyle avaient eu du mal à s’apprivoiser, mais y étaient arrivés. Mais moi, non. Alors l’idée était du grand n’importe quoi.  
« Tu crois que j’aurais fait ça ? Avec Zachary ? S’il te plait, Kyle. Je me fous pas de ta gueule. Je te dis la vérité. C’est pas une blague, tu dois rester ici. »
Je soupirai.
« J’ai vu ce qui….ca va être horrible. »
Je n’avais plus vraiment le choix. Il fallait que je lui donne une bonne raison de rester. Quitte à ce qu’il me déteste. Il me détestait déjà, pas vrai ?
« Je peux pas dire exactement, mais ça va être horrible. J’essaie de te protéger. Je veux pas…ces trucs que je vois, je peux pas ne pas te le dire. On est…On est une famille. Ici. Chez nous. S’il te plait, il faut que tu restes. »
J’inspirai un grand coup.
« Ou je vais tout dire à Andy. Tu pourras me frapper, il t’empêchera de partir. Je te laisserai pas partir. »
Et sur ces mots, je me dirigeai d’un pas décidé vers la porte. Il fallait que quelqu’un sache. Quelqu’un d’autre que moi. Quelqu’un qui saurait faire quelque chose de Kyle, parce que je n’arrivais à rien. Mon cœur battait la chamade, j’étais morte de trouille. Les conséquences. Elles s’appliquaient à moi aussi. Je me préparais mentalement aux coups, à la douleur. A la furie de Kyle. Mais si c’était le prix à payer pour le sauver, je le sauverais. Je n’avais pas pu sauver les autres. Mais lui, je le sauverai.
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Ses yeux, son regard fuyant me saoulent prodigieusement. A deux doigts que je suis présentement de la renvoyer chez sa mère à grands coups de poing dans sa gueule de merdeuse, Emily a tout intérêt à commencer à faire un tant soit peu de sens. Au moins attention à ce qu'elle raconte. Sauf que, forcément, ce n'était pas vraiment ce qu'elle avait prévu. Au contraire, tout ce qui sort de sa bouche est abominablement nébuleux. Je veux bien être con, je le sais parfaitement, que je suis con, tout le monde me le dit, mais de là à ne pas être foutu de comprendre des phrases basiques ? Mes capacités intellectuelles ont beau être limitées, je les connais bien. Certains diront que c'est un substrat d'égo qui reste, d'autres prétendront que je suis plus intelligent qu'il n'y paraît, mais c'est rien de tout ça. Je me connais, je sais à quelle proportion je comprends les assemblages sujet, verbe, complément. Et là, je sais que ce que raconte Sainte Merdeuse, c'est pas logique.

Je sais aussi que je le sens, tout mon corps qui se tend. Je la sens qui cavale dans mes veines, la colère, puissante, ardente. Elle embrase tout, mon corps, mes nerfs, mes muscles. Elle me donne envie de la reprendre par les épaules et la secouer un peu plus fort, voir si ça lui permettra de mettre ses phrases dans le bon ordre comme par magie. Mais non, non, je me retiens. Pas pour Andy. Pas pour Zach. Juste pour pas avoir plus d'emmerdes que j'en ai déjà.
A mes questions, la gamine baffouille. D'aveugle, elle est passée bègue. De bègue elle est passée insupportable. Ca commence à faire vraiment beaucoup pour une seule personne, ça.

-Mais qu'est-ce que tu racontes... ?

Les informations tombent au compte-goutte, affreusement longues à venir, et pas assez touffues pour que je puisse discerner le moindre message constructif. Elle a vu des choses, des choses horribles, mais quoi précisément ? Non parce que déjà il va falloir qu'elle m'explique comment une aveugle est capable de voir des trucs, et ensuite si c'est aussi horrible que ça, pourquoi est-ce qu'elle n'est pas foutue de me dire carrément de quoi il s'agit ? Non parce que bon, si c'est juste les délires d'une adolescente sur le retour, ou une énième de ses hallus, ça m'intéresse pas.
En vrai, ça me frustre, de ne pas savoir. Ca me frustre de ne rien comprendre. Ca alimente ma colère, ça la galvanise, ça la fait couler plus violemment dans mes veines. Mon coeur bat la chamade alors que je réalise que je suis pendu à ses lèvres, bien plus désespérément que je n'aurais voulu l'admettre. Tendu, je l'observe faire. De paniquée, elle semble reprendre du poil de la bête et je vois passer dans son regard fuyant cette étincelle que je ne connais que trop bien. Celle du vent de connerie. Alors je me tends. Alors mes nerfs déjà à vif s'aiguisent, et j'entrevois ce qu'elle compte faire avant même qu'elle n'ouvre la bouche. Sainte Nitouche esquisse un pas vers la porte. Un pas qui veut tout dire.
Elle va jarter. Cette pute va tout raconter à Andy, à Zach, et je vais être dans la merde la plus noire de toute ma vie. Tout ça à cause d'une hallucination.

Mes gestes sont plus rapides que ma parole, plus rapides que ma pensée. Je me redresse, enjambe le chien, parcours la distance qui nous sépare de la porte bien plus vite que je n'aurais dû. La merdeuse ouvre la porte, et ma main se fracasse sur la sienne. D'un mouvement brusque, je claque aussitôt la porte et l'attrape par le bras. La tire vers moi, parfaitement conscient qu'en faisant comme ça, elle ne va plus avoir de repères. Pour ce que j'en ai à foutre, de son équilibre, de ses repères ou de son bien-être. Toute cette situation est trop merdique pour que je sois autre chose qu'égoïste.
Et j'ai rien à perdre.

Ma voix se module au fond de ma gorge. Une intonation particulière, à mi-chemin entre le chuchotis et le chant, légèrement gutturale à cause de la pression qu'exerce la colère sur mes cordes vocales. Mon chant habituellement si pur est empreint de cette hargne, de cette frustration de l'incompréhension. Les modulations de ma voix s'échouent au creux de son oreille alors que je la tiens fermement contre moi. Je suis plus grand, plus fort qu'elle. Elle ne pourra pas m'échapper facilement.
Alors je chante. Parce que je n'ai plus d'autre alternative.

-Oublie. Oublie ce que tu comptais faire. Oublie ce que tu comptais dire à Andy, à Zachary. Parle-moi. Dis-moi ce que tu as vu.

Je me suis rendu compte, avec la pratique, que le chant avait sa petite efficacité sur les autres. Que des fois il ne suffisait que de ça pour les faire plier à ma volonté. J'espère juste qu'Emily ne cumule pas la surdité en plus de toutes ses autres tares. Parce que là, ça ferait vraiment beaucoup. Mes bras l'entourent puissamment autour de la taille, un étau dont je suis pas fier mais qui est nécessaire. Les pointes rauques de mon chant se mêlent aux soupirs qui secouent mes propres épaules. Je ne lâche rien.

-Raconte-moi tout. A moi. Et oublie que tu voulais le dire aux autres.

Je ne fais que gagner du temps, en vrai. Parce que mes pouvoirs ne sont pas assez puissants pour lui faire tout oublier. Peut-être que certains membres de mon espèce sont capables d'effacer les souvenirs des autres comme les Men in Black, mais qu'au lieu d'utiliser un flash ils se servent de leur voix. La mienne, elle, n'est que temporaire. Et ça fait chier, parce que j'avais pas l'intention de prendre mon sac à dos et filer vers Dublin ce soir.
Mais si c'est vraiment nécessaire, je n'hésiterai pas une fraction de seconde. Ca fait déjà trop longtemps que je laisse traîner, peut-être que Sainte Merdeuse était le coup de pied au cul dont j'avais besoin pour enfin concrétiser tous mes projets.
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J’étais à moitié décidée. D’un côté, si j’allais en parler à Andy, il empêcherait sûrement Kyle de partir. Il comprendrait que je ne mentais pas et il protègerait Kyle. Kyle ne m’écoute pas, mais il écoutera Andy. D’un autre côté, je risquais gros. Il n’hésiterait pas à me faire payer cet acte. Et si Kyle m’en voulait, Zach m’en voudrait aussi. Je perdrais ma relation avec eux. Et si Zach et Kyle me détestait, peut-être qu’Andy ne voudra plus m’accueillir, pour les protéger. Je risquais de perdre ma famille en la protégeant. Ironie de la vie. Bon Dieu, je détestais ces visions.
Mais je ne pouvais pas ne pas réagir. Laisser partir Kyle, sans rien lui dire, sans rien essayer, c’était être complice. Je ne pouvais pas faire ça. Alors j’étais là, à affirmer que j’irais voir Andy. Terrifiée à l’idée de ce qui allait se passer.

Pourtant, ce fut une douce sensation qui emplit mon corps. Une sensation de chaleur, de sécurité. Une partie de moi savait que ce n’était pas normal. Que la voix de Kyle avait changé. Qu’elle était….trop douce. Irrésistible, en fait. Kyle n’avait jamais utilisé sa voix de triton sur moi, en tout cas, je n’en avais aucun souvenir. Mais en cet instant, une partie de moi savait que c’était exactement ce qu’il était en train de faire. Utiliser ses dons sur moi, contre moi. Mais cette partie s’éteignit bien vite. Ne restait que le charme et l’envie irrésistible de lui obéir. C’est ce que je fis. Je reculai d’un pas, me rassis sur le lit, baissai la tête. Comment lui dire ce que j’avais vu ? Comment expliquer ce que j’avais ressenti ? Mettre en mots l’horreur. Je devais essayer.
« J’ai vu une ruelle. Il fait nuit, je crois. Tu es là et….il y a d’autres hommes. Je ne les connais pas. Ils…. »
Les larmes se mettent à couler toutes seules. Ce que je peux pleurer, c’est presque pathétique. Je m’efforce de continuer. Tout lui dire. Il l’a demandé.
« Ils te frappent, encore, et encore. Ca ne s’arrête pas. Et j’ai ce sentiment, Kyle, c’est….tu ne peux pas comprendre…. »
Non, il ne peut pas comprendre. Il ne peut pas ressentir ce que je ressens, cette horreur imprégnée dans mes tripes. Comme si l’univers tout entier me criait que cette scène ne devait pas arriver. Que c’était pire encore que ce que j’avais vu, qu’il y avait plus. Comme si, dans un élan de générosité, l’univers qui m’avait envoyé cette vision m’avait épargnée. Mais qu’il m’avait prévenue que je l’avais été. Sauf que Kyle, lui, il ne sera pas épargné, pas s’il part. Pas si je ne réussis pas à le sauver. Je relève la tête.
« C’est pire que ça. Si tu y vas, ils vont te briser. Ils vont…ils pourraient te tuer. »

J’ai mal au crâne. Comme si mon esprit tentait d’effacer cette vision, de la purger. Pour me protéger, moi. J’inspire longuement, tentant de faire refluer la douleur. Quelque part au fond de moi, je suis soulagée d’avoir parlé, d’avoir raconté. Une petite voix me dit que ce n’est pas ce que j’avais prévu. Mais impossible de remettre le doigt dessus. Je secoue la tête. Chasse un peu plus les images, le sentiment. Tente de revenir dans l’instant présent.
« Je…il y a… »
Je suis un peu perdue. Désorientée. La vision, probablement. Je me lève, passe une main dans mes cheveux. Quelque chose ne va pas, ne tourne pas rond, mais je ne saurais pas dire quoi. Je secoue de nouveau la tête.
« Désolée, je ne voulais pas. Mais je l’ai vu, alors ça va arriver si tu pars. Ca arrive à chaque fois… »
Jusqu’ici, quasiment toutes mes visions se sont réalisées. Les plus insignifiantes comme les pires. Et je sais que celles qui ne sont pas encore devenues réelles le deviendront, un jour. Y compris la mort accidentelle de mon père. J’espère au moins pouvoir éviter celle-là. Juste une. Juste cette fois-ci, ne pas assister impuissante à la réalisation de ce que j’ai vu. Voir l’horreur pour éviter à Kyle de la vivre.
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Trying to tell us this is a war ▬ kymily
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