Ton regard glisse sur l’étendue d’eau. Tu es proche, trop proche…Six mois plus tôt tu n’aurais jamais osé briser cette distance te séparant de ta peur, de ton traumatisme. Plus de vingt ans plus tôt tu avais failli te noyer, ici même ; déclenchant une peur panique des vastes étendue d’eau, te laissant un gout amer au fond de la gorge. Et pourtant, ça, c’était avant. Avant que ton esprit ne déraille, avant qu’il ne fasse du grand n’importe quoi. Aujourd’hui, tu n’es plus le même jeune homme qu’autrefois. La peur, elle s’est effacée, estompée jusqu’à devenir invisible, insensible. Dangereux sentiment que voilà. Sans peur, l’homme est stupide, froid, incapable de réfléchir convenablement. Tu en es conscient, et là est la pire des choses. Pourtant, tu as beau chercher au fond de toi, encore et encore, tu ne retrouves pas cette peur qui te tiraillait les entrailles. Tu n’as plus peur. Ni de l’eau, ni du danger, ni de la mort. Barrières mentales qui se sont formées, ne laissant qu’un vide indomptable, insatiable. Doucement, tu approches un peu plus, ta tête légèrement penchée sur la gauche. Tu attends qu’elle te prenne aux tripes, mais jamais rien de vient. Nager ? Tu n’as jamais appris, refusant de t’attarder dans le lac ou encore dans une simple piscine. Alors oui, ce que tu fais es dangereux mais le réalises-tu ? Bien sûr que non, bien qu’au fond, tu saches pertinemment que plonger dans cette eau froide revient à te condamner à mort. Tes muscles se crispent, ta tête se redresse. Tes yeux ne quittent pas la surface lisse du lac, souvent remuée par le vent qui caresse ton visage, te rappelant que le temps ne se prête pas du tout à une baignade. Ecouteras-tu pour autant tes instincts ? Cette petite voix qui te murmure de reculer ? Non.
Doucement, tu enlèves tes chaussures, suivi de tes chaussettes. Le souci avec la peur c’est qu’une fois qu’on a plus rien à perdre, celle-ci n’a plus lieu d’être…Tu avais déjà tant perdu qu’au final, tu estimais que même ta vie n’est plus précieuse. Respirer, manger, vivre, exister. Un automatisme qui t’épuise depuis six longs mois. Ta veste glisse le long de tes bras, déclenchant un frisson léger devant la température du moment. Il est tard, très tard et tu ne connais pas spécialement les raisons de ta venue. Dans un sens, tu espères pouvoir la retrouver, elle, cette sœur perdue. Combien de fois ne l’as-tu pas regardé nager, explosant de rire en t’éclaboussant alors que tu restais allongé sur la berge, le nez plongé dans un bouquin. Combien de fois n’est-elle pas venue se glisser entre tes bras, complètement trempée, pour chercher à te désorienter et te faire lâcher ton livre…ça te manque. Ton haut rejoint ta veste, te laissant torse nu, alors que tes doigts s’appliquent à détacher ta ceinture, à enlever ton pantalon. Le froid, tu le ressens comme une douce morsure sur ton épiderme, mais ça ne t’arrête pas. Vêtu d’un simple boxer noir, tes pieds se mettent en mouvement, te rapprochant dangereusement de l’eau, ta pire ennemie. La peur, elle se tait, elle n’est pas présente. Tu sais que tu ne parviendras pas à nager, mais là n’est pas ton but, tu aimerais juste l’entendre une dernière fois, une fois encore, juste un murmure ou même un chuchotement. Qu’importe, tu veux la retrouver, ton Océane. Un pied entre en contact avec l’eau, le second suit le mouvement et rapidement, tu te retrouves dans l’eau. Le froid te fait frissonner, engourdi tes membres, rendant la chose désagréable et bien plus difficile encore.
Tu remontes une fois, reprenant de l’air sans jamais savoir rester à la surface. Beaucoup auraient paniqués…toi, tu finis par te laisser couler…C’est plus facile comme ça et ce, malgré le manque d’oxygène. Tu te perds, pensant à autre chose, laissant ton corps glisser dans l’océan. La lumière de la lune te parvient au dessus de ta tête. Tout semble calme, si calme…ça en est presque apaisant. Tu suffoques mais tu ne cherches pas à remonter, la peur, une fois de plus, elle n’est pas là. Tu n’as pas peur de quitter la terre ferme, de les rejoindre, à vrai dire, tu viens à penser que c’est la meilleure des solutions. Tes paupières se ferment et tu as l’impression d’entendre son rire, ses éclats de joies et la noirceur s’empare de toi et ce, jusqu’à ce que tu te sentes attrapé. Tu ne résistes pas, tu n’en as pas le force. Tu veux juste t’accrocher à ce chuchotement lointain qu’est le sien..
Tu y as cru. L’espace d’un instant, tu y as vraiment cru. Ce chuchotement lointain, comme une brise légère qui t’apporte son rire enfantin. Oui, l’espace de quelques secondes tu as crus que tu allais revoir son sourire, sentir de nouveau son odeur. Tu étais serein. Pour la première fois en six mois, tu te sentais juste…vide. Malheureusement pour toi, cette sensation n’allait pas durer. Tu ne te sens pas tirer vers la surface, ou encore, ramené sur la berge. Non, tu t’accroches à ce chuchotement, tu t’accroches à ce besoin maladif de retrouver ton double, celle que tu aimais tant. C’est donc ça être désespéré ? C’est donc ça vouloir mourir sans même le réaliser ? Peut-être que c’est mieux ainsi…Tu n’aurais plus à te préoccuper de quoi que ce soit, d’avoir mal constamment, de te réveiller en gémissant tant la douleur est oppressante, étouffante. Tu aurais aimé gardé cette tranquillité, ce sentiment de vide. Pas de douleurs, pas de larmes, pas de suffocation. Rien, juste le néant le plus total et tu pouvais clairement t’en contenter. Mais voilà, parfois, le destin décide de s’en mêler et tu sens ton corps reprendre vie. Tu essayes de respirer, l’eau encombrant tes bronches. Toussant comme un cinglé, tu ouvres les yeux, l’eau salée remontant pour être recrachée. Bordel, tu as envie de chialer. Pourquoi ? Pourquoi t’avais pas pu rester dans ce monde où rien n’avait d’importance ? De profil, tu tousses encore et encore, bougeant légèrement, complètement paumé. Tu sais ce qu’il s’est passé, tu n’es pas stupide, mais par contre, tu ne sais pas comment tu es arrivé là. Tu aurais presque envie de ramper vers l’eau pour y retourner, entendre de nouveau ce chuchotement, mais dans un sens, tu sais que Océane n’aurait jamais accepté de te voire partir de la sorte.
Si paradis il y a, elle t’aurait botté le cul une fois que tu serais arrivé là-haut. Tu te laisses aller sur le sol, chaque respiration étant pénible et douloureuse. Une voix résonne et, doucement, tu reprends conscience pour te focaliser sur la personne qui venait de te sauver la vie. Une serviette est posée sur ton corps trempé et tu sens le froid t’envahir, tremblant doucement, tes iris se posent sur un visage que tu reconnais petit à petit. Cette fille, tu l’as déjà croisée, tu en es pratiquement certain. Elle te parle, te dit qu’elle t’a tiré sur la plage, te demande ce qu’il s’est passé. Tu trembles de froid, tu reviens sur terre, ayant juste qu’une envie, retourner dans ce monde qui fut le tiens l’espace de quelques instants. Fronçant doucement les sourcils, tu commences à te souvenir d’elle. Tu t’étais occupée de la jeune femme à l’hôpital, lui procurant des soins divers avant qu’elle ne disparaisse. Il faut dire qu’elle était de passage, tu n’avais pas cherché à en savoir plus, elle n’était qu’une patiente comme une autre. Sympathique, certes, mais elle restait une patiente. « Je…oui ça va… » Tu avais dit ça d’une voix assez rogue en enrouée, ta gorge ayant été attaquée par de l’eau salée et donc, vachement irrité. Tu crèves de soif sur le coup, pas très malin. Poussant un léger soupire, tu passes une main sur ton visage, te redressant calmement en position assise. « Rien…il ne s’est absolument rien passé. » Comment aurais-tu pu lui expliquer ? Lui faire comprendre tes envies, tes pensées, tes attentes ? Elle n’était pas capable de les comprendre, personne ne peut être capable de comprendre de telles choses. Tu préfères te taire, garder le silence. Un secret comme un autre.
Tournant la tête vers elle, passant une main dans tes cheveux, les dégageant de ton front, tu plonges tes iris dans les siennes. « On se connait…t’es la fille de l’hôpital…t’as disparut de la surface de la terre, enfin, non apparemment… » Tu essayes de détourner la conversation, de poser ton attention sur elle et non pas sur toi. Tu ne veux pas qu’elle s’attarde sur ton cas, tu ne veux pas qu’elle te pose des questions auxquelles tu ne répondras absolument pas. « Et…merci… » Enfin, tu crois…Dois-tu vraiment la remercier pour t’avoir empêché de sombrer là où tu voulais secrètement aller ? Es-tu devenu suicidaire à la longue ? Apparemment. Un homme ayant toute sa tête ne se serait pas laissé aller dans l’eau, ne serait pas entré dans l’eau en ne sachant pas nager. Mais toi, si. Tu n’avais pas réfléchi, tu n’avais pas eu peur, tu étais juste entré en sachant que tu ne saurais absolument pas ressortir. Voilà la triste réalité des choses. Ils te manquent tellement que tu ferais tout pour les retrouver. Sentir le parfum de ta main, revoir ton père s’occuper du jardon, entendre le rire d’Océane alors que tu courrais après tel un gosse de quatre ans.
Tant mieux…Pourquoi cette phrase, ces deux petits mots sonnes si faux à tes oreilles. Oh, pas à cause de la jeune femme, non, mais plutôt à cause de ce que tu éprouves. Où est passée cette peur ? Où est passé ce sentiment qui t’aurait empêché de faire une telle bêtise ? Où est cette peur qui te rendait humain, qui te rendait toi-même. Elle semble s’être évaporée, elle t’a lâchement abandonnée sur le quai de cette gare invisible. Et toi, pauvre passager, tu as regardé le train s’en aller sans même chercher à courir après. Alors oui, tu avais approché de l’eau et tu t’étais laissé couler. Tu avais cherché à entendre une fois de plus sa voix, son rire, peut-être ses remontrances qui t’aurait fait réagir. Rien. Juste un chuchotement lointain venant d’un souvenir douloureux et heureux. C’est donc ça se sentir vide ? Ne plus rien avoir à quoi se raccrocher ? Tu n’as pas envie de devenir l’un de ces mecs mélancoliques, dépressifs, mais tu sais que ce que tu veux et ce que tu as, ce n’est pas la même chose, tu ne choisiras pas. Six mois que tu sombres, que tu deviens ce que tu n’as jamais désiré être. Peut-être que toi aussi tu as ton point de rupture ? Peut-être qu’au final, à force de tirer sur la corde celle-ci a fini par se briser, par se casser, ne te laissant qu’un bout minuscule auquel te raccrocher. Tu n’en sais rien et, de toute façon, tu ne cherches même pas à trouver une quelconque réponse. Heureusement, elle était venue te repêcher pour te traîner sur cette plage, t’éloignant de cette eau salée qui aurait pu être ta tombe. Après tout, quoi de mieux que cet océan pour reposer en paix ? Tu n’en vois pas.
Tu écoutes ses paroles, la gorge en feu, le froid te dévorant doucement mais sûrement. Ta peau réagit, t’offrant bien des frissons. Tu aurais pu sourire face à ses paroles, hors, rien ne vient. Tu restes de glace. Tu n’es pas méchant, tu n’es pas agressif avec elle, juste, mort. Oui, c’est exactement ça, tu es vide de toutes émotions joyeuses à l’heure actuelle et c’est ça l’un des nombreux soucis de ton existence depuis six mois. La lumière, elle s’est éteinte et malgré ton pouvoir, tu as l’impression que tu ne peux plus rien allumer. « J’y penserais la prochaine fois. » Sauf qu’il n’y aura pas de prochaine fois, tu le sais, tu ne te voile pas la face. Pourquoi ? Parce que la prochaine fois, tu feras en sorte de vérifier que personne n’est présent dans les parages, que personnes ne puissent plonger pour te secourir et te ramener à la réalité. Tu n’as néanmoins pas répondu à sa question, tu n’en ressens pas l’envie, pas le besoin. Elle ne pourra pas comprendre, elle ne pourra pas réaliser que d’une certaine façon aussi stupide soit-elle, c’était pour toi le moyen de retrouver un semblant de normalité. Puis, tu réalises que son visage te dit quelque chose et, comme toi, elle semble éviter le sujet avec quelques mots brumeux et sans grands intérêts. « Tant mieux. » Tu ne cherches pas plus loin, pas pour l’instant du moins et ce, bien que ta curiosité ait été piquée à vif. Tu la remercie, parce que c’est la moindre des choses. Tu ne lui en veux pas, tu n’es pas non plus heureux de te voir là, tremblant sous ce froid mordant, mais un merci n’a jamais tué personne et Rome le mérite amplement. Ce n’est pas tout le monde qui aurait sauvé la vie de quelqu’un.
Elle te sourit avant de filer pour prendre des habits. Toi, tu te replies sur toi-même, essayant de te réchauffer comme tu peux. Tes dents, elles commencent à s’entrechoquer. Bordel, tu n’avais pas imaginé avoir aussi froid l’air de rien. Peut-être était-ce ton corps qui réagissait également au choc, c’est possible. Lorsqu’elle revient, tu lèves les yeux vers elle, tournant ensuite tes pupilles vers le sweat. Secouant la tête d’une façon affirmative, tu prends la serviette de plage et commence à t’essuyer rapidement, enfilant les habits et le sweat pour te réchauffer le plus possible. « Pour ce qui est de la boisson chaude, je peux peut-être t’offrir un café, histoire de te remercier ? » Tu ne cherches pas à la draguer, à la séduire. Ce ne sont pas des avances et ça se voit, ton visage est toujours aussi fermé qu’au début et tu ne souris pas spécialement. Tes sourires, ils sont rares, tellement rares. Tu n’es plus le gamin qui hurlait en s’écroulant, riant de bon cœur face aux attaques de sa sœur, face aux blagues de ses parents. Tu n’es plus ce gamin s’abandonnant aux regards d’Hélios, souriant face aux sentiments qui te submergeaient. Non, tu n’es plus qu’une coquille amplement vide.