Bartholomew

Mon plus gros problème c'est d'avoir vingt mille idées à la seconde. Je suis brouillon et désorganisé parce que mon cerveau va trop vite. Tout se bouscule et je passe d'une idée à l'autre. Surtout que tout est musique, et tout peut être une idée. Je marche dans la rue et le métro me fait penser à un rythme. Tout est rythme. Battement de coeur. Battement de cils. Bam. Bim. Bam. Boum. C'est super dur de me concentrer, à part quand je bosse avec un groupe, et là, là rien d'autre ne compte que de rendre leur musique le mieux possible. Attenuer une basse, renforcer une batterie, tout ça. Sinon je suis sympa, pas prise de tête et j'en ai absolument rien à foutre de ce que pensent les autres de moi. Ca me dérange pas d'aller faire mes courses en pyjama avec mon perfecto en cuir et une clope au bec, ou de passer trois heures dans mon bain à essayer d'apprendre la trompette. A part ça j'aime faire la fête, j'adore écumer les clubs de Londres ou d'Edimbourg pour découvrir de nouveaux groupes ou écouter ceux que je connais déjà, et mon nom est connu dans le monde de la musique et de la nuit. Sinon je suis bordélique. Ouais c'est une vraie maladie, et une fois par semaine je m'oblige à passer le temps d'un vinyle à ranger. Je suis aussi tête en l'air. Comme je passe d'une idée à l'autre j'oublie vite et je suis obligé de tout noter. Partout. Du coup mes mains ont toujours des écritures, et mon bureau, ma voiture et mon appart sont constellés de post-it qu'à force je ne regarde même plus. J'aime mes potes et ma maison est pas mal une auberge de chats errants où j'accueille ceux qui sont dans la merde, qui traversent une mauvaise passe ou qui sont juste là un temps. Dans un sens j'aime bien avoir du monde, j'en ai besoin, parce que parfois on doit me rappeler que je dois manger, ou dormir,ou me laver, sinon je me perds. Un peu pathétique? Non monsieur, je suis un artiste moi.

Je suis GunPowder ! J'ai 107 ans. On me verra dans les parages trois nuits par semaine. Je suis fier de dire que j'ai découvert le forum sur la page FB Je suis RPGiste , d'ailleurs je le trouve super sympa et les gens ont l'air super gentils! Je rajoute aussi que je suis un inventé!

Duke Ellington. Led Zeppelin. Les deux en même temps. Merde c'est génial. L'oreille contre mes platines, j'essaie de synchroniser les deux vinyles ensemble pour tenter de me prouver un truc. Dans la douche, un peu plus tôt, le bruit du camion de livraison m'a fait penser à la chanson de Duke. Et quand j'ai commencé à la fredonner un Klaxon m'a fait penser à Led Zep. Et le bruit des deux ensemble m'a fait penser à ce que je devrais faire un mashup de tout ça. Merde si les deux avaient bossé ensemble en secret? La théorie du complot! Je le savais! Mais merde non en fait. Chier. Argh je déteste ça, quand une de mes idées s'avère fausse, même si ça m'arrive dix fois par jour. J'ai l'impression de passer pour un débile. Pourtant... pourtant je peux pas faire autrement.

Déjà, parce que je suis né dans une famille de musiciens. Et de tempestaires. Plus précisément des tempestaires d'air. Plus précisément encore, spécialisés dans le son. Notre truc à nous, c'est de jouer avec ces petites ondes super géniales qui partent des instruments de musique ou des baffles d'un ordi, avant qu'elles arrivent dans vos oreilles. On a ce pouvoir fantastique de pouvoir l'étirer, l'enrouler autour de nos doigts, de le faire bondir et rebondir de là où on veut, vers qui on veut. Tous les membres de ma famille sont liés à la musique, à des degrés divers et variés. Ma grand mère était cantatrice et a chanté devant les grandes têtes couronnées, comme mon arrière grand-mère, qui donnait des récitals au Far-West, devant des cow-boys illettrés qui chiquaient du tabac et pour qui la seule forme de culture était celle du maïs. Certains ont bossé dans l'industrie de la musique, développant des trucs assez cool comme l'ampli ou le synthé, d'autres ont été producteurs, musiciens, techniciens, faiseurs d'instruments, accordeurs de piano, guitaristes, bassistes, trompettistes, ma tante Clarisse est harpiste au philarmonique de Berlin et mon autre tante Bertie travaille chez Sony à Manhattan. Ouais, sacré pédigrée, j'avoue. Depuis tout petit, enfin, depuis même avant ma naissance, j'ai baigné dans la musique autant que dans le liquide amniotique, et maman me racontait de temps en temps que je donnais des coups de pieds en rythme en fonction du morceau qu'elle écoutait, ou que mon père dirigeait. Oui parce que mes parents ne dérogent pas à la liste. Mon père est chef d'orchestre, et maman est une des plus grandes restauratrices d'instruments de musique anciens sur la planète. Les musées du monde entier lui envoient leurs trésors les plus précieux, et elle passe des semaines, des mois, à les ramener à la vie et à les faire sonner comme jamais. C'est d'ailleurs pour ça qu'on a pas mal bougé, en fonction des boulots de papa, et de maman. Dans un sens, encore gosse, j'étais un peu comme une boule de pâte à modeler et je m'habituais à tout. Ou comme du chewing gum. J'aime bien le chewing gum. Surtout celui au poivre. Ouais j'ai découvert ça un jour où j'attendais un pote à Amsterdam et je. Merde. On s'en fout. Je disais quoi? Merde je sais plus. Ah oui. Maman et papa. Ailleurs. Donc ouais j'ai appris à parler japonais à cinq ans après deux ans au Japon, anglais, normal, et bientôt italien, vu que papa a dirigé le philarmonique de Rome jusqu'à ce que j'aie sept ans. Et puis à sept ans c'est maman qui a eu une opportunité: le musée du Caire lui confiait tout le département de musique, et elle avait à restaurer des instruments datant de l'Egypte antique. Les pharaons merde. Bien sûr elle a pas pu dire non, donc on a plié bagage au Caire. Et ok le Caire, j'aimais pas ça. J'aimais bien le calme du Japon, j'aimais le joyeux bordel de Rome, où on pouvait jouer au foot au milieu de cailloux qui ont vu passer César, autant le Caire...C'était trop bruyant et trop sale. Et même si l'air sentait les épices et que les souks étaient pleins de couleur... les gens étaient trop bruyants et j'aimais pas l'arabe, même si je l'ai appris, par la force des choses.

C'est aussi là que m'est arrivé un truc assez dingue... Hassan. Bien sûr, je savais qu'il y avait d'autres tempestaires, et d'autres créatures surnaturelles, mais j'étais trop petit pour en avoir croisé et m'en souvenir. Jusqu'au jour où maman m'avait emmené au bord de la mer, à Rosette ou Alexandrie, je sais plus. Papa donnait des cours à l'université du coup on partait de temps en temps tous les deux dans un vieux taxi aux sièges recouverts de couvertures de laine et à la plage arrière garnie de moquette, et puis on allait passer l'après-midi à se baigner et à jouer. Là on était installés dans une petite crique à l'écart, qu'un ami du coin avait conseillé à maman pour qu'elle puisse se baigner tranquille, et elle dormait sur sa serviette. Moi je voulais arriver à nager jusqu'aux rochers et revenir sans m'arrêter. Ouais à l'époque c'était le plus grand challenge : atteindre les rochers à quelques centaines de mètres au large et revenir. Et alors que j'étais en plein dans ma brasse, j'ai senti un truc me frôler les jambes. Un gros poisson. Maman m'avait dit qu'il y avait pas de requins donc je savais que ça pourrait pas me manger. Mais j'avais quand même la trouille. Et puis j'ai vu deux yeux verts, une tignasse noire et une peau cannelle. J'ai pensé que c'était un gamin du coin qui avait réussi à me battre, et sur le coup j'étais super fâché parce que j'y croyais à fond et que je m'étais entraîné durement. Avant de comprendre que si le gamin en question nageait clairement plus vite que moi, c'est que c'était pas un simple gamin. C'était un triton, le premier que je voyais.

Il faut croire que sur le coup il était pas motivé pour me croquer, ou qu'il avait déjà mangé son compte de maquereaux parce qu'au lieu de me sauter dessus, eh ben on a joué. On s'amusait bien et on a passé l'après-midi à inventer tout un tas de trucs, entre chateaux de sable et mondes fabuleux. Au début maman était un peu réticente de voir que je m'étais fait un triton comme meilleur copain, et ensuite, quand elle a remarqué qu'on s'entendait bien et qu'il avait pas l'intention de me croquer comme une sardine, ça allait mieux. Deux fois par semaine maman m'emmenait à la plage, jusqu'à ce que j'aie quinze ans. Sur la fin, je prenais même le taxi de temps en temps pour y aller quand j'avais pas cours ou quand maman était occupée. Mine de rien, pendant sept ans elle a travaillé principalement pour le Caire, même si elle recevait aussi des instruments venant d'un peu partout. Et de mon côté, même si j'avais des copains à l'école, Hassan était comme moi, un particulier, un surnaturel. Et il m'a fait découvrir plein de trucs. On parlait aussi de tout et de rien pendant des heures, il me racontait les légendes de son peuple, les contes de sous les mers, et je faisais pareil, sauf que je lui parlais de bouquins, de films ou de séries. Et avec lui, l'arabe était une langue que j'aimais parler, parce que là elle avait le goût des cornes de gazelle ou des ghoribas aux noix.

Le jour où maman m'a annoncé que son travail était terminé et qu'on partait pour New York, j'étais dévasté. Et Hassan aussi, quand je lui ai raconté ça. On voulait pas se quitter, et pendant des heures on est restés à chuiner dans les bras l'un de l'autre. Avant la fin. On est restés quatre ans à New York, où j'ai continué mes études, et ensuite on est rentrés en Irlande, leur patrie d'origine. Avec toutes les choses qui arrivaient aux créatures surnaturelles, mes parents avaient décidé de rentrer là où on était le plus en sécurité. Bray. Maman pouvait travailler depuis n'importe où où il y avait un système de poste plus développé que des pigeons voyageurs et papa allait diriger le philharmonique de Dublin. Mais perso... j'étais encore trop jeune pour me fixer dans une si petite ville, alors on est arrivés à un compromis. La semaine j'étudiais à Londres, et le week end je montais les voir. Bientôt j'ai eu mon diplôme d'ingénieur du son et j'ai finalement décidé d'ouvrir mon propre studio. Dans un coin comme Bray ça revenait pas trop cher, et maman était rassurée de me savoir pas trop loin, et surtout, dans une ville où les gens comme nous venaient se réfugier. Je m'occupe de petits groupes que j'aide à enregistrer leurs albums, et petit à petit on vient de plus en plus loin, à cause du son de dingue que j'arrive à avoir.